La série "Akissi" s'oriente vers des albums thématiques, stratégie plus commode pour exploiter au mieux des situations de la vie quotidienne susceptibles d'intéresser les enfants. Quels enfants ? Un des six récits de cet album nous informe qu'Akissi entre en CE 2, ce qui correspond à un âge moyen de 8 ans - l'âge d'Akissi, de ses copains, et par conséquent du public attendu. Trop vieux pour jouer les bambins qu'on emmaillote, trop jeune pour comprendre quelque chose à la sexualité génitale, en plein dans l'âge des essais-erreurs de confrontation au réel matériel, et des prises de conscience d'identité (de soi, des autres).

Les récits contenus dans cet album respectent ce cahier des charges. Le thème fédérateur est la rentrée scolaire, et la coexistence problématique avec un maître d'école sévère, Monsieur Adama, qui a l'air hargneux et les mâchoires crispées, et qui annonce tout de go la couleur : il n'aime pas les enfants ! (Drôle d'idée, dans ce cas, de devenir maître d'école primaire, mais il faut tenir compte du fait que, pour des raisons pédagogiques, les enseignants peuvent mentir à tour de bras sur leurs sentiments personnels, sinon les ennuis commencent pendant les cours).

Les aventures d'Akissi tournent donc autour de l'école : s'y rendre sans se fendre le crâne sur une planche qui dépasse n'est pas gagné d'avance, pas plus que de ne pas se faire écraser en traversant la route; ne pas se noyer à la piscine; se débarrasser d'un maître qui "chicotte" un élève... Plus sérieux encore : Akissi doit faire face à un "grand" qui rackette ses copains...

Le décor des quartiers populaires d'Abidjan est à la fois bien rendu et pédagogiquement intéressant, malgré le parti pris de simplification du dessin : marché aux légumes sur sol en terre battue émaillé de flaques d'eau; petites maisons de plain-pied en général bien enduites et bien individualisées; à l'école, sans qu'on puisse vraiment parler d'uniforme, les garçons sont en chemise et shorts longs (bonjour l'oxymore !) de ton beige clair, les filles en robe bleue à carreaux; le décor de la classe est sommaire: pas question de haute technologie ni d'ordinateur là-dedans : chaises, tables, tableau noir, craie, carte murale, et vogue la galère ! A méditer quand certains, en France, sont prêts à prendre le maquis parce que les tablettes payées par la commune ou le Conseil Général datent d'il y a déjà un an ! Par ailleurs, les méthodes pédagogiques de Monsieur Adama relèvent nettement moins qu'en France de l'obsession soixante-huitarde de ne surtout pas déranger le confort psychologique des petits chéris : "stigmatisation" spatiale des plus mauvais (on les place dans la classe dans l'ordre de leurs résultats); autorisation donnée par un parent d'élève de "corriger" son enfant (on est à mille lieues des débats liberticides sur l'opportunité de la fessée et des législations tyranniques imposées d'en-haut à ce sujet).

D'un album à l'autre, comme les personnages sont récurrents, leurs personnalités se précisent : Edmond (le cousin d'Akissi) s'identifie constamment à un super-héros de dessins animés, "Spectreman"; il se fait ici une réputation de cancre insouciant - le Ducobu du coin; Fofana (le frère d'Akissi), toujours en rivalité aigre-douce avec sa soeur; Akissi confirme qu'elle est considérée comme un garçon manqué, et prend sa première leçon de conditionnement aux rôles sexués lors d'une Saint-Valentin dans la cour de l'école.

On apprendra quelques notions de langue française telle qu'elle est parlée à Abidjan : "chicotter" (fouetter); "allocos" (plat de bananes plantains frites); de même que certaines formes de superstitions locales : manger des langues de poisson serait une manière d'apprendre à nager...

Intéressant et bien adapté à l'âge du lectorat ciblé.
khorsabad
7
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le 19 mars 2015

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khorsabad

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