« Ignis in nobis iam ardebat, at id nesciebamus. »

De Ignium Ultione


Acmé du second cycle de Murena, Revanche des cendres se montre en tout point à la mesure de son sujet.


Techniquement, tout d'abord. Delaby multiplie les tableaux grandioses de l'incendie de Rome, avec de nombreux plans larges, généreux et détaillés, très documentés historiquement. Bien plus aéré que les premiers volumes de la série, cet album est frappant par sa mise en page de qualité, avec de grandes cases qui soutiennent et mettent en valeur les sujets traités.


Dufaux a bien raison de relever en postface l'excellente mise en scène de son comparse. La variété des échelles adoptées permet en effet un récit de la catastrophe qui va au-delà de la multiplicité des points de vues (processus déjà utilisé dans le tome précédent, avec ces « Vie de... », un peu trop explicites à mon goût). Ainsi, tantôt les auteurs nous donnent à voir du drame une vision d'ensemble, où les quartiers flambent et les foules se bousculent, tantôt ils nous ramènent à l'échelle humaine, attachant nos pas à un personnage rencontré lors des tomes précédents, dont le destin nous est dépeint en quelques cases, tantôt l'on se penche sur l'abstraction d'une carte autour de laquelle s'élaborent de froides stratégies et où la tragédie est transmutée, par la magie du calcul utilitariste, en une politique estimation des pertes.


Nul besoin de la lyre accordée par Suétone pour être captivé et reconnaître qu'il y a là du grand art.


De Cinerum Vita


S'il devait être dédié à l'une des nombreuses déités du panthéon romain, c'est sans conteste à Janus que Revanche des cendres se rapporterait. Comme la divinité, il fixe ce qui a été et ce qui est à venir. Une vingtaine de planches ont traité de l'incendie proprement dit, de cette vie des feux qui couvait dans le tome précédent, comme le rappelle le centurion Ruffalo. Une autre vingtaine conte les retombées des cendres sur la Ville Éternelle qui, déjà, fourmille, terreau où tantôt l'on cicatrise, tantôt l'on purule, selon qu'on rebâtit pour alléger la souffrance d'autrui (Pierre, Lucius), ou pour l'exploiter (le Besogneux, Tigellin).


Toutefois, l'une des forces de Murena réside dans son absence de manichéisme. Certes, l'on y trouve des bons (les apparitions de Simon-Pierre dans la série en témoignent) et des méchants (difficile de trouver Tigellin sympathique), mais ces monolithes moraux sont assez rares. La plupart des personnages se débattent avec leur humanité, les anges et les démons qui y nichent, que ce soit Marcus Atticus, tuant pour survivre, Ruffalo, tuant par désespoir, ou Endymion, tuant par amour.


Cette ambiguïté est bien sûr particulièrement sensible en ce qui concerne les personnages principaux du récit. A cet égard, la scène de la tuile, qui évoque irrésistiblement Pyrrhus et Jacques Martin, est révélatrice. Lucius Murena, quoique se considérant comme un monstre qui « aime ça », ne peut se résoudre à assassiner son ennemi intime, malgré toutes les raisons qu'il se donne pour le faire. De son côté, Néron arpente les ruines et vient en aide à une anonyme qui ne lui est rien. S'agit-il de singer le Samaritain pour la galerie? Les rencontres précédentes avec Pierre permettent d'en douter.


En ce qui concerne le personnage éponyme, le va et vient moral, dans ce tome, est sans doute un peu rapide. Mais le traitement du Prince, tout en nuances, est à mon sens la grande réussite de cette série, à des milles des caricatures méprisables qui nous ont été présentées depuis l'Antiquité. Il y a dans ce Néron à la fois séduit, inquiété et écœuré plus d'humanité qu'on en prêtât jamais à Auguste, dont le cheminement semble aujourd'hui contraire à ce qu'on chantait jadis, que ce soit en littérature, en BD ou à la télé .


Revanche du temps?

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le 24 août 2016

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