Histoire réaliste qui joue avec le sordide, "Sarah Cole" est issu d'une nouvelle de l'écrivain étatsunien Russell Banks. Déjà, l'univers habituel de Russell Banks n'est pas super drôle : des pauvres en proie aux difficultés de la vie quotidienne, et c'est bien dans cette ligne que s'inscrit "Sarah Cole" : une pauvre femme qui peine à joindre les deux bouts pour élever ses gosses, qui vit dans un quartier miteux, qui n'a même pas assez d'argent pour faire réparer une portière enfoncée de sa voiture. En plus, elle n'est pas prédisposée à être star : la quarantaine moche, d'une vulgarité physique criarde, avec des bourrelets qui débordent d'un peu partout.

Certes, la pauvreté y est pour quelque chose : on ne se dégrade pas ainsi pour rien, à moins d'être une accro du MacDo (mais là, on ne peut plus rien pour vous). Bon. Dans un bar, elle branche un avocat divorcé, mignon pour sa quarantaine, un peu trop propre sur lui, trop strict pour elle.

Bien sûr, ça finit dans un plumard. Mais l'intérêt, c'est de reconstituer la démarche de l'un et de l'autre : le mec est globalement honnête, et, s'il est sympa avec la femme, il n'en a pas envie tout de suite, et il ne craque que par instinct sexuel, sans passion, sans amour. Alors, forcément, l'impression défavorable que lui fait Sarah Cole doit bien ressortir à un moment ou à un autre.

Sarah, honnête aussi, mais paumée, a besoin d'amour, surtout physique. Faut dire qu'elle n'a pas grand chose à perdre. Là où ça foire, c'est quand elle exige avec une certaine raideur que la relation qui s'est nouée devienne publique aux yeux de ses copains et copines : il faut qu'ils se montrent tous les deux en public en sortant à droite et à gauche. Malaise de la part du mec, qui ne croit pas assez à cette relation pour supporter de se donner en spectacle avec cette hommasse peu gratifiante socialement.

Grégory Mardon a adapté ce récit assez sombre et pessimiste en vignettes noir et blanc, dessin simplifié, avec des gradients de gris (bien en harmonie avec la tristesse du récit) pour figurer les ombres et les reliefs, quitte à assumer des gris sombres assez sales qui gomment certains décors supposés être dans l'ombre. L'intérêt est surtout dans le découpage du récit : les vignettes se multiplient sur des paysages urbains pour ralentir le rythme, suggérer le passage au temps long : on se voit, on ne se voit plus, on oublie, la vie prend le dessus, on oublie... (voir pages 16 à 18, 25 à 29, 67 à 69, 77-78).

La ville et le quotidien noient les illusions de lumière que peut apporter l'amour ici et là. Tu n'es pas de mon monde, disparais dans le béton, tu es laide.
khorsabad
5
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le 7 juil. 2013

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khorsabad

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