Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 de la deuxième saison, parus en 1997. Il fait suite à Entropy in the U.K. (épisodes 17 à 25, fin de la première saison). Le changement de saison fut dicté par une baisse significative des ventes et une volonté de les relancer avec un nouveau numéro 1 ; il s'agit bien de la suite du récit.


L'action se déroule un an après la fin de la première saison. À Dulce, au Nouveau Mexique, Jolly Roger (une Invisible d'une autre cellule) s'est introduite dans une base militaire sous la coupe de l'ennemi. Elle y fait une découverte stupéfiante et part pour l'état de New York, où séjournent King Mob et Ragged Robin dans la demeure de Mason Lang, un autre Invisible. Elle requiert leur aide pour infiltrer à nouveau la base et s'emparer de ce produit miraculeux. Boy, Lord Fanny et Jack Frost reviennent de leur séjour à New York et tous se préparent pour cette mission. Les Invisibles commencent par choisir un nouveau chef, en lieu et place de King Mob qui laisse volontairement sa place.


Afin de reconquérir une partie du lectorat, Vertigo (l'éditeur) a réussi à affecter, à la série, un dessinateur aux qualités reconnues et au style aguicheur sans être racoleur : Phil Jimenez. Il dessine les 4 épisodes de l'histoire avec une profusion de détails minutieux qui évoque George Perez, dans une approche plus adulte. Il est encré par John Stokes qui reproduit méticuleusement les traits de Jimenez, avec une grande précision. Le tout s'apparente à une forme de photoréalisme mettant en avant l'aspect descriptif, aux dépends de l'aspect émotionnel. Ce choix graphique permet de rendre concret les éléments les plus échevelés du scénario. Il se marie bien avec une histoire qui met en avant l'action, les échanges de coups de feu et les découvertes de lieux bardés de technologie futuriste.


Quand bien même il s'agit d'une deuxième saison, je vous déconseille de lire ce tome avant d'avoir lu les 3 premiers. Sous des dehors d'action et d'aventure aux relents d'espionnage et de complot global, Grant Morrison continue dans la même veine que précédemment : références culturelles plus ou moins accessibles, ésotérisme, paranoïa, références internes multiples.


Dès la cinquième page, Ragged Robin prononce la formule "Nice and smooth" déjà prononcée par King Mob page 1 du premier épisode de la première saison. Grant Morrison apporte la preuve que chaque élément déjà vu dans les tomes précédents constitue potentiellement un repère qui reviendra dans la suite (un récit construit en réseau fortement maillé, où chaque scène constitue un noeud potentiellement connecté à plusieurs autres par des liens autres que chronologiques). Il poursuit son voyage personnel de quête de sens en privilégiant les théories issues de la contreculture des années 1960 et 1970. C'est ainsi que le lecteur recroise les théories de Robert Anton Wilson, l'idée principale de Siva (1980) de Philip K. Dick, l'usage des drogues (LSD, DiMéthylTryptamine) comme moyen d'expansion de la conscience, mais aussi l'un des héritiers de cette contreculture : Terence McKenna (La nourriture des dieux (en quête de l'arbre de la connaissance originelle)).


Morrison ne s'arrête pas aux auteurs intellectuels (plus ou moins sujets à caution), il tisse également des liens avec l'hindouisme (Robert Oppenheimer citant la Bhagavad-Gîtâ, et une évocation de Ganesh), avec la culture populaire (l'idée d'une substance insérée dans les vaccins contre la polio semble empruntée aux X-Files), le nuage atomique d'Alamorgordo, la musique pop (la chanson "David Watts" extraite de Something Else, ou Kula Shaker), le cinéma ("Pulp fiction") et les jeux vidéos (Doom), voire même ses propres récits (le Pentagone tel qu'il apparaît dans Musclebound).


Il est vrai que pour ce tome Morrison a privilégié l'avancement de l'intrigue avec la mise en avant de Mister Quimper qui incarne le camp des méchants. Le récit a la forme d'une mission impossible au coeur d'une base militaire secrète pour récupérer un produit mystérieux. Du coup, le récit s'apparente à un divertissement (de haut vol), ce qui relativise le sérieux et la portée de la quête existentielle. Mais quand les Invisibles commencent à découvrir ce qu'abrite vraiment cette base et quand les motivations de Mister Quimper et du Colonel Friday sont formulées, l'aspect intellectuel du récit reprend le dessus. Le lecteur se retrouve face à la question de base : que veulent ces ultraterrestres ? Et la réponse oscille entre une opposition Ordre / Chaos, Créativité / Conformisme, de la psycholinguistique, et bien encore d'autres possibilités tout aussi conceptuelles. À nouveau, le lecteur se retrouve dans un labyrinthe narratif qui exige une grande souplesse d'esprit, une bonne mémoire, le courage de rechercher les références culturelles inconnues, et l'effort de verbaliser les sous-entendus. Sous couvert d'un récit d'espionnage aux relents de James Bond, Grant Morrison poursuit sa plongée dans la nature de la réalité, sans rien abandonner de la complexité de sa structure narrative, ou de sa soif de découverte.


Les Invisibles continuent de lever le voile recouvrant la réalité dans Counting to None (saison 2, épisodes 5 à 13).

Presence
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le 16 sept. 2019

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