Depuis la mort de Molière (qui doit à la légende, puisque, victime d’un malaise sur scène, il mourut chez lui), pour un acteur, mourir sur scène relève quasiment du fantasme. La dessinatrice tchèque Lucie Lomová en fait son point de départ d’une astucieuse intrigue policière. Lors de la première de La dernière île une pièce soi-disant inspirée de La tempête de Shakespeare, Milda Brasseur joue le rôle d’un homme qui se tire une balle dans la tête. Bien entendu, c’est du théâtre et le bruit sera celui d’un pétard. Sauf qu’au moment fatal, le pistolet est chargé et Milda se tue.


La piste du suicide étant écartée, l’enquête est menée par l’inspecteur Oulibsky de la police criminelle qui assistait à la représentation. Rapidement, il apparaît que Milda pourrait avoir été la victime des circonstances, car il a remplacé Maître Cerf au pied levé. Celui-ci a annoncé son indisponibilité au dernier moment. A moins que ce soit le crime parfait ?...


Traduite du tchèque par Milena Fučiková, pour être publiée chez nous par Actes sud, cette BD méconnue réserve bien des surprises. L’enquête fera émerger des faits relativement anciens à mon avis impossibles à deviner en début d’album. Inconvénient pour les adeptes de la recherche d’indices permettant de deviner le fin mot de l’histoire, mais avantage pour les autres qui seront tentés de relire la BD. La lecture permet une progression au rythme de l’enquête tout en explorant le monde du théâtre. Le début de l’album s’attache à faire sentir la fièvre qui s’empare de toute l’équipe, du metteur en scène aux acteurs-actrices en passant par les techniciens et la femme à la billetterie. Une situation propre à brouiller les pistes.


84 pages en noir et blanc et un format italien (17,2 x 22,6 cm) pour cet album présentant majoritairement 2 bandes par planche (avec un nombre de vignettes variable), mais des exceptions selon les besoins de la narration. On sent que Lucie Lomová sait parfaitement où elle veut nous emmener.


Petite pointe de déception néanmoins quand on réalise que l’enquête est menée par l’inspecteur Oulibsky et non par sa femme Dita dont le visage occupe le premier plan (sur la gauche) de l’illustration de couverture. Dita tient la vedette de la première planche puis n’apparaît plus qu’en pointillés dans l’intrigue, avant d’y jouer un rôle fondamental lors de sa conclusion. Critique théâtrale, la femme de l’inspecteur a un article à écrire et veut juste que son mari lui ramène le programme (pour lui, cette représentation constitue une simple détente). Forcément, la question se pose : comment Dita travaille-t-elle ? En se contentant des impressions de son mari ? La mécanique imaginée par la dessinatrice (et scénariste) apportera des éléments surprenants. La personnalité de Dita donne une saveur particulière au dénouement de l’intrigue. En effet, son visage boudeur (lunettes hors d’âge) et son physique de petite boulotte lui confèrent une personnalité comme aucun des autres personnages de cette BD.


Outre Maître Cerf (qui doit son surnom de Cerveau au personnage qu’il incarne dans une série télévisé populaire), les autres personnages sont ceux qui ont un rôle dans la pièce ainsi que tous ceux qui gravitent autour de la représentation : auteur, accessoiristes, famille, etc. Toutes et tous, à des degrés divers apportent quelque chose à l’enquête. Une enquête difficile, avec beaucoup de suspects. Le mobile reste à déterminer.


Le plus intéressant finalement tient donc dans la façon dont est présenté le métier de critique. Ici le critique agit dans l’ombre, avec des méthodes personnelles où l’éthique fait partie des critères qui restent à définir. Méthodes assez particulières, car Dita va jusqu’à confronter ses méthodes avec celles en cours à l’époque du rideau de fer (ou le baisser de rideau si vous préférez). Autant dire que l’expression « critique assassine » prend ici tout son sens.


A noter que la dessinatrice s’amuse à parsemer son œuvre de nombreux clins d’œil, exemple avec le nom de son chien (Goldoni). Le scénario réserve donc quelques coups de théâtre ( ! ) jusqu’à l’ultime planche qui donne à réfléchir sur le(s) procédé(s) utilisé(s) pour la narration. L’ensemble bénéficie d’un dessin assez classique, pas trop fouillé dans ses détails, où on peut noter le soin apporté à la diversité des visages permettant de bien caractériser chaque personnage.

Electron
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le 23 mai 2019

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