Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome indépendante de toute autre initialement publiée en 2007/2008, écrite, dessinée et encrée par Gilbert Hernandez. Cette histoire est en noir & blanc.


Dans une ville de banlieue américaine, un voyeur a revêtu une combinaison moulante noire, ainsi qu'un masque (évoquant le diable) et il parcourt le quartier de nuit en regardant chez les gens. Val Castillo (une jeune gymnaste s'entraînant pour les championnats d'état) rentre chez elle. À la porte, Walter et Linda (ses parents) terminent de relater au policier l'apparition du voyeur à leur fenêtre. Val va se coucher, pendant que ses parents retournent à leurs galipettes dans leur chambre. Le lendemain elle retourne à l'entraînement sous les encouragements sévères de la prof, tout en recevant le soutien de Patty, sa copine qui s'entraîne elle aussi. Après l'entraînement, elle va zoner au cimetière avec 3 de ses copains dont Zed et Paul. Bientôt le voyeur surprend des secrets et son identité est découverte par Paul, puis par Linda. La réunion de ces 3 individus libère des pulsions secrètes et la situation dégénère de manière brutale et sanglante.


Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans l'ambiance si particulière des bandes dessinées de Gilbert Hernandez, avec ces formes simples et tellement évocatrices (ces zones noires autour de la pleine lune qui évoquent des nuages effilochés), Linda (dont les formes voluptueuses sont calquées sur celles de Rosalba Martinez, surnommée Fritz), le trait gras pour délimiter les contours des formes, les personnages souriants, les adolescents profitant de leur liberté, etc. L'histoire débute gentiment. L'identité du voyeur est révélée dès la page 12 (sur 124). Val et ses copains semblent plutôt heureux de vivre, sans névrose particulière. Val gère le stress lié aux championnats sans difficultés. L'émulation avec Patty reste saine, sans jalousie ou rancoeur. Les adolescents ressentent les émotions avec une intensité normale, sans exacerbation particulière. Lorsque le voyeur observe un couple se livrant à du sport en chambre, les attributs sexuels restent cachés.


Il y a quand même ce moment où le voyeur observe sa propre mère en train de faire l'amour qui indique que le ton de l'histoire ne se limitera pas à quelque chose d'aussi innocent ou superficiel que le début le laisse croire. Effectivement dès la fin du premier tiers, la violence sadique et sanglante fait irruption de manière brutale. Comme à son habitude, Hernandez la représente sans changer de style graphique, à coup de grosses taches noires qui représentent l'écoulement du sang. Il y a même une femme dont le sang jaillit de ses narines sous la violence des coups. Prise à part de la narration séquentielle, cette image est à la fois grotesque et risible : la dame a les 2 yeux grands écarquillés, deux traits noirs jaillissant du nez pour figurer le sang, les cheveux et les bras allongés sous la force du coup de pied. Et pourtant dans le flux de la lecture (du fait du rapport aux autres cases), cette image transcrit toute l'horreur de l'agression sans pitié, commise par l'agresseur. À ce stade du récit, le lecteur est totalement emporté par les actions du groupe de personnages à la vision irrémédiablement dégénérée de ce qui les entoure. L'approche graphique à l'apparence simpliste (évoquant presque les Archie comics) traduit la volonté d'Hernandez de limiter l'information visuelle au strict nécessaire, sans pour autant sacrifier à la forte identité de ses dessins. Contre toute attente, cette façon de représenter les gens et les choses fait apparaître de manière cruelle les imperfections et les limites de chaque individu. Linda est serveuse dans un bar et porte un costume très sexy : talons aiguilles, bas résille, body à lacet serrant la taille (laissant les épaules dénudées), avec une queue de diablotin, et un serre-tête avec des oreilles de diablotin. Dun coté, elle est très appétissante avec son énorme poitrine ainsi mise en valeur, une femme réduite à l'état d'objet sexuel. De l'autre, ses expressions, son langage corporel et ses réactions mettent en évidence une intelligence limitée, une forte propension à se laisser guider par ses émotions, et une personne inconsciente de l'exploitation dont elle est l'objet.


Gilbert Hernandez s'attache à l'étrange trio formé par Val, Linda et Paul. Sous des dehors normaux, il fait apparaître petit à petit des individus qui sont les jouets de leurs pulsions inconscientes, au point de commettre des actes impensables et éprouvants pour le lecteur. Fidèle à son habitude, il écarte toute interprétation psychanalytique ou explication, pour laisser le lecteur formuler ses propres conjectures. En fonction de la sensibilité de chacun, il sera possible d'y voir la conséquence d'émotions trop fortement et trop longtemps réprimées, le jaillissement d'une folie intérieure, ou la fainéantise d'un auteur se laissant porter par son inconscient plutôt que de concevoir un scénario en bonne et due forme. D'une certaine manière, ce récit est plus abordable que d'autres de Gilbert Hernandez, dans la mesure où il n'y a pas de passage donnant dans le réalisme magique. À l'opposé, le lecteur essayant de découvrir cet auteur avec cette histoire risque d'éprouver quelques difficultés à donner un sens à cette histoire très factuelle dont les clefs de compréhension ne sont pas données, et qui lui sont tellement idiosyncrasiques.


Cette histoire est à réserver à des lecteurs ayant le coeur bien accroché du fait du comportement violent relevant d'une lourde pathologie des personnages principaux. Les dessins de Gilbert Hernandez présentent toujours cette simplicité évidente qui les rend si séduisants et immédiats. Il a renoncé le temps de cette histoire à représenter la nudité frontale des individus. L'histoire emmène le lecteur loin sur le chemin de la déviance mentale, tout en évoquant des sentiments et des sensations universels. L'absence d'interprétation livrée par l'auteur pourra en rebuter certains, et au contraire en séduire d'autres.

Presence
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le 15 janv. 2022

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