Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017, écrits, dessinés et encrés par Howard Chaykin, avec une mise en couleurs réalisés par Jesus Aburtov et Wil Quintana. Le lettrage a été réalisé par Ken Bruzenak. Le tome comprend également un texte d'une demi-page d'Howard Chaykin expliquant pourquoi il a dû refaire la couverture de l'épisode 4. Il y a également un texte de 3 pages dans lequel Ken Bruzenak explique son approche pour le lettrage.


Il y a un mois le président des États-Unis et la majeure partie de son cabinet ont été assassinés dans un coup d'état qui a avorté. Tous les services secrets sont en état d'alerte. L'agent spécial de la CIA Frank Villa est avec sa maîtresse Rose à Washington DC. Il évoque la situation avec elle prédisant un attentat sur la capitale dans les heures à venir. Il répond à un coup de fil de sa femme Ana pour lui dire qu'il devrait être de retour à la maison d'ici le lendemain midi. Il prend une douche avec sa maîtresse. Dans son jet privé, Leo Nichols se fait masser pendant qu'il répond à sa femme et à son agent. À Chicago, Henry John Noone (Noonie) tire sur des blancs avec un fusil à lunette, depuis une fenêtre. Une équipe d'intervention spéciale le neutralise ; il finit en prison. Au Capitole, Frank Villa essaye de convaincre un membre du cabinet de la présidente Michelle Taylor de l'imminence de l'attentat terroriste sur Washington, en vain. À Las Vegas, Chrissie est en train d'être le centre d'attention d'une partie fine avec 3 hommes. L'un d'entre eux insiste pour lui enlever son string, et Christopher Michael Silver doit se défendre. Il tire le revolver de son sac à main, abat les 3 excités, et se fait coffrer par le service d'ordre de l'hôtel. À Philadelphie, Erikia (une afro-américaine enceinte) se fait installer un engin explosif dans l'utérus. À la Barbade, Paul Evan Berg escroque un groupe de millionnaires avec astuce, et les empoisonne. Il s'en tire bien, jusqu'à temps qu'il soit arrêté par la police.


À Philadelphie, Frank Villa supervise l'opération de filature de la voiture emmenant Erikia vers sa cible, par le biais d'opérateurs dirigeant un drone. Dans le Bronx, un indic a vendu la mèche pour Cesare John Nacamulli qui est cueilli par la police en sortant de chez lui. Un informateur indique à Frank Villa que la suspecte n'est plus dans la voiture que suit le drone, qu'il y a une poupée gonflable à sa place. Villa se retrouve désemparé. Dans la ville cible, Erikia a rejoint 5 autres femmes, et elles se font sauter, libérant un agent biologique qui produit une hécatombe, les victimes se comptant en millions.


En 2016, Howard Chaykin avait réalisé Midnight of the Soul Volume 1, une histoire mettant en scène un vétéran de la seconde guerre mondiale souffrant d'un syndrome de stress post traumatique, incapable de se rendre compte de la double vie de sa femme. Le lecteur ne sait pas top à quoi s'attendre avec cette nouvelle histoire dont le titre constitue un sarcasme sur les États-Unis d'Amérique. Dès le premier épisode, il comprend qu'il retrouve le scénariste dans une forme éblouissante, et dans un mode narratif des années 1990. Chaykin a conçu une histoire à suspense, qu'il raconte dans une construction qui nécessite l'attention pleine et entière du lecteur. Il faut accepter de jouer le jeu, de ne pas comprendre ce qui se passe parce que toutes les explications ne sont pas données dès le départ. Il faut accepter de voir apparaître des personnages (Noonie, Chrissie, Paul, Nacamulli) sans savoir s'ils apparaîtront par la suite. Il faut accepter de lire les scènes au premier degré sans tout comprendre, et de faire confiance au narrateur pour apporter les informations nécessaires à la compréhension assez rapidement pour ne pas avoir à revenir en arrière. De fait, sous réserve de faire preuve d'un peu de patience, c'est bien ce qui se passe. Ce mode de narration confronte également le lecteur à la bizarrerie de chaque scène, de manière plus directe que si elle était totalement expliquée.


Dès la couverture, le lecteur a compris que le ton est à la provocation directe et politiquement incorrecte. Cela commence par un détournement du drapeau américain pour en faire un niqab. Les 5 autres couvertures sont tout aussi provocatrices, en confrontant une représentation symbolique des États-Unis (souvent le drapeau) à des détournements moqueurs. Dès la première page, il comprend aussi que la narration verse dans une forme de surenchère graphique déconcertante. Sur la majorité des pages, entre 2 bandes de cases, il se trouve du texte dans différents alphabets, en surimpression avec transparence par forcément lisible. Il y a une forme de bruit de fond en continu. S'il y prête bien attention, il voit également apparaître au milieu de ce bruit de fond des petits encadrés de texte (illisibles), formatés comme des messages de réseau social, de type message instantané. La première case représente une vue du ciel de Washington et il y a une bonne quinzaine de drones dans le ciel. En dessous de chacun se trouve une onomatopée rendant compte du doux ronronnement de son moteur. Au fil des séquences, le lecteur retrouve toute l'expressivité des onomatopées de Ken Bruzenak, collaborateur de Chaykin depuis la série American Flagg! dans le début des années 1980. Lorsque les balles du tireur embusqué traversent le crâne des cibles, le bruitage (KRAKKK) rend compte de la balle fracturant la calotte crânienne, avec un ajout de couleur, le lettrage devenant ensanglanté au fur et à mesure, et une sous-onomatopée rendant d'un deuxième bruit. Du grand art. Tout du long, le sens de la vue du lecteur est saturé par ces bruitages parasites qui s'imposent à sa vue, ajoutant du bruit sur le signal.


Howard Chaykin réalise des pages elles aussi sciemment chargées en informations visuelles. La plupart des cases contiennent une représentation du décor en arrière-plan, avec une fréquence beaucoup plus soutenue que dans les comics industriels. Il a recours régulièrement à des photographies retouchées pour les sites géographiques réels, ou pour les bâtiments. Jesus Albertov & Wil Quintana en rajoutent encore avec les couleurs en appliquant des textures sur les surfaces, comme les différents sols, les murs, les étoffes, le mobilier, etc. Le lecteur se retrouve donc face à des pages très riches sur le plan visuel. Comme à son habitude, Howard Chaykin ne flatte pas ses personnages dans sa manière de les représenter. Tous les visages sont marqués d'une forme d'attitude crasse, des individus avec haute estime d'eux-mêmes, ou à l'opposé une forme de dépréciation de leur personne, avec une forme d'absence de prise de recul sur leur condition. Comme à son habitude, Chaykin soigne les costumes des personnages masculins comme féminins, l'aménagement des intérieurs, le détail des environnements extérieurs. Sa mise en page est souvent basée sur des cases de la largeur de la page, avec des inserts de la tête d'un interlocuteur ou du personnage principal de la scène. En faisant abstraction de la densité d'informations visuelles, la narration s'avère très fluide, à la fois par la prise de vue de chaque case, à la fois par l'enchaînement impeccable.


Sous réserve d'accepter d'investir de la concentration dans sa lecture, le lecteur jouit d'une gratification immédiate. Bien avant Garth Ennis, Howard Chaykin était déjà un maitre de la provocation à connotation politique et sociale, avec une prise de recul historique qui rend ses sarcasmes irrésistibles. Le titre annonce clairement la couleur : l'hystérie ! Sur la base d'une solide histoire entre espionnage et policier, tous les personnages sont dans l'excès d'émotion, et l'expriment de manière adulte et grossière. L'histoire accumule les insultes racistes et les humiliations sexuelles, sans compter les assassinats de sang-froid. Chaykin tient la dragée haute à Ennis en matière de provocation et de grossièreté. D'un autre côté, le propos est une satire au vitriol de l'état de la société américaine, avec un point de vue intelligent. Howard Chaykin pioche dans les gros titres de la presse à scandale pour intégrer des faits divers de meurtres divers et variés, racistes et homophobes, malheureusement bien trop réels. Il effectue le constat d'une société de plus en plus communautariste, la décrivant par le terme de balkanisation. Dans la première page de l'épisode 6, le lecteur découvre l'éditorial d'un téléjournaliste explicitant les travers de la société américaine, tels que les perçoit l'auteur. Il décrit comment une société plurielle est devenue narcissique, comment l'idéal de liberté a été perverti dans hédonisme irresponsable. La charge est sans pitié, puisque les commanditaires des attentats qui secouent les États-Unis observent qu'ils n'ont quasiment plus besoin d'intervenir, les américains s'entretuant entre communautés, voire s'exterminant.


Avec cette histoire, Howard Chaykin est à summum en termes de narration visuelle, d'intrigue, et de critique acerbe de la société. Ce n'est pas l'œuvre d'un artiste aigri qui condamne ses contemporains, mais l'œuvre d'un artiste généreux, drôle et perspicace. Le lecteur se régale d'une intrigue sophistiquée, d'un commentaire social adulte, d'un divertissement brutal et vulgaire, avec des personnages attachants dans leur humanité, et des planches regorgeant de trouvailles et d'humour, jusque dans les moindres détails, comme ce bandeau défilant associant le nom de la présidente avec sa vivacité pour former le nom de Taylor Swift. La narration est enrichie par un lettrage inventif et goguenard, et une mise en couleurs complexe qui ne perd rien de la lisibilité des cases. 5 étoiles. En 2018, Howard Chaykin a remis le couvert avec une histoire de l'industrie des comics sans pincette : Hey Kids! Comics! (2018).

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le 25 août 2019

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