Ce tome fait suite à Longship (épisodes 13 à 18). Il contient les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2014, tous écrits par Brian Wood. Il faut impérativement avoir commencé cette série par le premier tome pour saisir tous les enjeux du récit.


Bloc (épisodes 19 à 21, dessins et encrage de Garry Brown) - Callum Israel a quitté le pont du Kapital pour se mettre à la recherche d'Arkady. Il est accompagné par Nagendra. Tous les 3, ils ont fait partie d'une organisation de mercenaires appelée Blackbelt. Ce périple va les mener de Vilnius à Prague en passant par Minsk. Il sera question de l'avenir de l'organisation écologique Ninth Wave, et de Mary.


Sahara (épisodes 22 à 24, dessins et encrage de Danijel Zezelj) – Mary se trouve en plein désert, en Arabie Saoudite. Elle s'enrôle avec d'autres femmes pour assurer la sécurité d'un convoi de 130 camions citernes transportant de l'eau potable jusqu'à la frontière du Maroc. Elle a la responsabilité d'un camion, conduit par 2 hommes, avec 3 autres femmes pour l'assister.


Comme le tome précédent, celui-ci commence par un texte d'une page dense, rédigé par un activiste écologique, Basil Tsimoyianis entraîneur de l'équipe d'intervention de la branche américaine de Greenpeace. Comme dans le tome précédent, il fait l'apologie de ce comics, et raconte l'une de ses interventions spectaculaires et dangereuses sur le terrain face à une multinationale. Comme dans le tome précédent, ces épisodes ne ressemblent pas à un pamphlet écologique, mais bel et bien à une histoire prenante et pleine de substance.


Dans la première partie, le lecteur continue d'en apprendre un peu plus sur les conséquences du Crash (la catastrophe écologique qui a ravagé la planète), et sur les liens qui unissent les personnages. Ces derniers se conduisent comme des adultes, leur entraînement de mercenaire leur servant à plusieurs reprises.


Wood n'en fait pas des surhommes pour autant, ou des soldats infaillibles. Les règlements de compte se déroulent à plusieurs niveaux (physiques et idéologiques), et les questions font plus mal que les coups. En particulier Arkady pose la question de savoir quel est l'avenir d'une organisation écologique comme Ninth Wave, et si leur commandant inflexible (Callum Israel) mérite vraiment l'obéissance aveugle de l'équipage. Wood allie avec naturel plusieurs approches : aventures, récit post catastrophe, individus engagés avec des convictions, recherche du profit, drame personnel, pour un récit riche qui reste très facile à lire.


Ces 3 premiers épisodes sont mis en image par Gary Brown, le dessinateur régulier de la série. Il réalise des dessins avec un encrage assez appuyé, un souci des décors réalistes, des vêtements normaux, et des attitudes mesurées. Néanmoins certains encrages à la truelle donnent l'impression d'un dessin fait à la va-vite plus esquissé que finalisé, comme s'il s'agissait des traits de construction. Cela ne nuit ni à la lisibilité, ni à la cohérence graphique des personnages et de leurs visage. Cela peut nuire à l'immersion du lecteur qui se trouve tiré de sa lecture par un dessin trop grossier.


La narration passe à un autre niveau de qualité pour la deuxième partie. Wood a concocté un suspense intense sur la faible probabilité de survie de ces dames, du fait des conducteurs masculins, des responsables masculins du convoi, des attaques sur le convoi, et l'inutilité de leur fonction une fois le convoi arrivé à bon port. Le scénariste intègre avec un naturel diabolique le thème du profit à tout prix, ainsi qu'une dimension spirituelle légère et pertinente. Enfin, le lecteur en apprend plus sur la mystérieuse Mary aux actions toujours inattendues (voir les tomes précédents).


Non seulement l'histoire est plus tendue, mais en plus la narration visuelle passe dans une autre catégorie : l'excellence. Le lecteur retrouve avec grand plaisir les images taillées au burin de Danijel Zezelj, qui arrache littéralement ses personnages à la matière informe de la page. Il réalise des cases dans lesquelles les personnages et les camions sont assimilés petit à petit par le sable du désert. La mise en couleurs de Jordie Bellaire complète à merveille ces images pour renforcer chaque ambiance, sans se mettre en avant au détriment des traits.


Zezelj donne à voir des êtres humains plaqués sur un environnement indifférent à leur présence, et qui n'a rien à leur offrir. Il montre de manière parlante le caractère artificiel de cette entreprise insignifiante malgré son ampleur (130 poids lourds). Les femmes comme les hommes sont érodés par le sable et la chaleur. Leur existence n'a de sens que pour la mission qu'ils accomplissent tellement ils sont écrasés par la masse des camions. Il faut voir le cimetière de voitures de luxe pour se rendre compte à quel point les dessins de Zezelj transcrivent l'absurdité de ces signes de richesses laissés à l'abandon, dépourvus de sens après le Crash.


Zezelj ne sacrifie en rien l'humanité des personnages, des morphologies normales, rendues presqu'anonymes par des vêtements entièrement fonctionnels, dépourvu de fanfreluches. Les visages sont durs, portant la marque des difficultés matérielles. La mise en scène rend compte de la sécheresse des échanges entre individus, de l'économie de chaque instant. Lorsqu'une émotion affleure, elle en apparaît d'autant plus intense.


Avec ce quatrième tome, Brian Wood continue de narrer le parcours de rédemption de Callum Israel, et des membres d'équipage entrainés dans son sillon. Il mêle une dose d'aventures, avec un environnement bouleversé. L'avancée du récit est également dictée de manière naturelle par l'histoire de chaque personnage. La première partie relève du thriller intelligent. La seconde partie s'élève au rang de littérature riche et dense, et facile à lire, avec une narration visuelle naturelle d'une rare intensité.

Presence
10
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le 30 mai 2020

Critique lue 27 fois

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