Ce tome fait suite à The Unwritten Fables (épisodes 50 à 54) qu'il faut avoir lu avant. Il faut d'ailleurs avoir commencé la série par le premier tome Tommy Taylor and the bogus identity pour saisir les enjeux du récit. Il contient les épisodes 1 à 5 de la série (en 11 épisodes) qui constitue l'épilogue, initialement parus en 2014, écrits par Mike Carey, dessinés et encrés par Peter Gross pour les épisodes 1 & 2, mis en page par Gross pour les épisodes 3 à 5, avec des finitions de Ryan Kelly pour les épisodes 3 & 4, et Al Davison pour l'épisode 5. Ce tome est l'avant dernier de la série qui se termine dans Apocalypse (épisodes 6 à 11). Le redémarrage avec un numéro 1 a été motivé à la fois par une tentative d'augmenter la curiosité des lecteurs potentiels, mais aussi par le fait que ces 2 tomes constituent un chapitre complet de conclusion.


La séquence d'ouverture commence avec des amibes en train de flotter dans la soupe primitive, pour continuer avec une cigale qui a passé de trop de temps à chanter, un canard qui vole avec les oies, un lapin qui rencontre le chapelier fou, etc. Le chemin va être long pour Tom Taylor, avant de revenir à la réalité.


Dans l'orphelinat Coverdale, Wilson Taylor écrit sans relâche avec sa machine à écrire. Le même bâtiment abrite également Lizzie Hexam, Richie Savoy, Cosi Sara et Leon Chadron, et Mingus le familier de Tommy. Sans nouvelle de Tom Taylor, ils sont obligés de s'en remettre aux manigances de Wilson Taylor qui les envoie vadrouiller dans Londres vers Trafalgar Square. Ils tombent aux mains d'individus semblant tout droit sortis d'une pièce de théâtre de George Farquhar (1677-107).


Le voyage au pays des Fables de Bill Willingham s'était conclu en laissant en suspens le sort de Tom Taylor. Fort heureusement il est de retour pour le dernier chapitre de son histoire. Pour son retour vers une forme de réalité proche de la nôtre, il doit repasser par différents stades de la vie (en 1 seul épisode). Plutôt que de s'inspirer d'une origine de type spirituelle ou religieuse, Mike Carey pioche dans divers romans ou textes quai universels à leur manière. Le lecteur français constate ainsi que les Fables de La Fontaine ont traversé la Manche (la référence à la fable de La cigale et la fourmi). Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll s'inscrit plus naturellement dans le patrimoine littéraire anglais, ainsi que ce lion sacrifié sur un autel (Aslan dans Narnia même s'il n'est pas nommé). Il faut un peu plus de culture pour un francophone (ou une petite recherche sur internet) pour identifier la référence au théâtre de George Farquhar. Les tripodes des martiens se reconnaissent immédiatement.


Le lecteur sait pertinemment qu'il ne s'agit pas pour l'auteur d'aligner les références romanesques pour épater la galerie, car il a établi dès le départ la relation particulière que Tom Taylor entretient avec les romans, ainsi que Lizzie Hexham. L'évocation de ces romans trouve donc naturellement leur place, à la fois comme domaine familier des personnages, mais aussi comme conséquence directe de l'état de Léviathan (il s'agit vraiment d'un chapitre de la conclusion, et il faut vraiment avoir commencé le récit par le début). Le lecteur suit donc la progression des personnages principaux, profondément immergés dans la mythologie et les concepts propres à cette série. L'auteur réserve de nombreuses surprises quant au rôle joué par certains personnages récurrents. Il s'amuse même avec le lecteur en ramenant un personnage laissé en route quelques épisodes plutôt, avec un autre personnage qui lui fait observer qu'il a été laissé en cours de route (mettant ainsi à nu le mécanisme narratif employé par Carey).


Le lecteur retrouve les particularités des dessins de Peter Gross, à savoir une mise en scène et un découpage impeccables du point de vue de la narration visuelle. Tous les éléments aussi disparates soient-ils trouvent naturellement leur place dans chaque case. Les concepts les plus échevelés (une tempête d'histoires entremêlées) prennent une apparence naturelle et compréhensible. Gross réalise un effort visible pour dessiner des décors substantiels, qu'il s'agisse de vertes pentes herbues évoquant aussi bien l'environnement de Winnie l'ourson que celui de Peter Rabbit de Beatrix Potter, ou encore une ville de Londres ravagée par la guerre, ou un échafaud, etc. L'encrage de Gross puis de Ryan Kelly présente une apparence moins esquissée que dans les tomes précédents, ce qui aboutit à des dessins plus concrets, donnant plus de consistance aux personnages et aux décors.


Pour la scène d'ouverture et d'autres, Peter Gross rappelle qu'il participe de manière active à la forme de la narration, et par là même à ce qui est raconté. La première page en constitue une preuve manifeste quand l'artiste doit transcrire le concept que l'écriture ou les mots participent de l'ADN de la réalité. La solution retenue est simple en apparence, et fonctionne parfaitement. De manière plus évidente, Peter Gross change sa manière de dessiner (optant pour de simples détourages à l'encre) dans les 2 pages suivantes, évoquant des illustrations légères accompagnant une poésie. Puis il dessine au fusain pour le vol d'oies sauvages, pour revenir à l'encre mais avec des traits plus secs et moins lâches pour le chapelier fou. Comme pour les références aux romans, il ne s'agit pas d'épater la galerie, mais bien d'être en phase avec le monde dans lequel évolue Tom Taylor.


L'apparence du dernier épisode change des précédents, avec les finitions d'Al Davison. Les pleins et les déliés de l'encrage sont pus appuyés, sans pour autant insister sur les courbes. Il ajoute discrètement des textures aux surfaces, ce que ne faisaient ni Gross, ni Kelly. L'ambiance en devient un peu plus réaliste, un peu plus sombre, à nouveau parfaitement en phase avec la nature du récit.


Ce dernier épisode est à nouveau consacré à Pauly Bruckner, le seul et unique. Décidemment cet homme n'a pas fini de souffrir et le voilà qui sombre lui aussi dans un pan de la réalité dévasté par la guerre. Dans ce Londres en ruine, il tombe sous la coupe de Rhea Hawkins, une femme régnant sur une bande de laissés pour compte, ayant l'intime conviction qu'elle doit collectionner des individus chacun représentatifs d'une catégorie différente (par exemple : 1 blond, 1 brun, 1 meurtrier). D'un côté le lecteur sent bien que le scénariste est en train de déplacer ce personnage comme un pion pour qu'il soit au bon endroit pour la résolution de l'histoire dans le tome suivant. De l'autre côté, le lecteur prend la mesure de son attachement pour ce personnage. De ressort comique et un peu cruel (un lapin anthropomorphe trop mignon, mais avec un langage de charretier et une attitude agressive), il est devenu un véritable être humain avec ses motivations et ses sentiments. Devant ces nouvelles épreuves, les envies profondes de Pauly Bruckner émergent, et le lecteur se sent pris de pitié pour cette brute épaisse.


Cela reste d'ailleurs un point fort de la narration de Mike Carey : les personnages conservent leur épaisseur et le lecteur ressent une empathie pour eux. Il s'amuse de voir Lizzie Hexham manier avec dextérité les règles des pièces de théâtre du dix-septième siècle pour retourner la situation à son avantage. Il accepte que les personnages principaux pactisent avec leur ennemi (Wilson Taylor, celui qui les a manipulés à leur insu) car les raisons sont claires et s'imposent d'elles-mêmes. Il éprouve un petit réconfort à voir Richie Savoy pouvoir passer un instant avec Miriam Waltzer. Il plaint Pauly Bruckner prostré dans une chambre, un miroir de poche à la main.


C'est donc un vrai plaisir que de retrouver toute l'inventivité, la culture et a sensibilité de ces auteurs pour cet avant dernier tome. Il semble qu'ils se dirigent vers un finale spectaculaire. En attendant, le lecteur profite de la compagnie des personnages, d'une intrigue pleine de suspense, et des évocations des œuvres littéraires. Pour ce dernier point, les œuvres choisies présentent encore la caractéristique d'être passée à la postérité, au point de s'inscrire dans l'inconscient collectif. Par rapport à la page d'ouverture, indiquant que toute réalité est avant tout langage, Mike Carey continue de développer le point de vue que les œuvres de fiction ont une incidence bien réelle sur la façon que tout à chacun a d'interpréter la réalité qui l'entoure.

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le 4 avr. 2020

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