« Le Museau de la Vache » : c’est sous ce titre inattendu qu’aurait dû paraitre la 20ème aventure de Tintin, un album contemplatif bouclé non sans mal par un Hergé au bord de la dépression, assailli par des rêves entièrement blancs ... et auquel son psychanalyste conseille d’arrêter de dessiner ! Déchiré par des intrigues adultérines, et désespéré de ne pas retrouver son vieil ami chinois Tchang Tchong-Jen, Hergé continue malgré tout et livre l’aventure de Tintin la plus personnelle, la plus intime.

Tintin au Tibet, c’est une intrigue magnifique, à mille bornes des habituelles enquêtes du reporter : exit les méchants-pas-beaux et les trafiquants d’opium, voici un Tintin qui parcourt le monde pour sauver son ami Tchang, mu seulement par l’espoir et la foi. Album mystique, hypnotique, et qui élève son lecteur vers les sommets de l’Himalaya, Tintin au Tibet offre quelques-unes des plus belles scènes de la série : le Capitaine Haddock prêt à se sacrifier égale sans peine la bravoure de Wolff dans l’espace, et les larmes finales du Yéti dépassent en intensité n’importe quel autre dénouement d’un Tintin.

Côté dessins, la méticulosité de Hergé se montre payante : ici le lecteur est immergé dans les villages de l’Inde du Nord et du Tibet, avec leurs constructions anciennes, leurs ruelles sans pavés, et leur lichen sur les toits. La narration est excellente elle aussi : l’effet d’attente introduit sur le Yéti est un modèle du genre, puisque Hergé n’en dévoile d’abord que la voix, puis la silhouette enneigée, puis voilée d’une tente, puis vue de très loin ... une gradation parfaite.

Saperlipopette ! Tiendrait-on l’album parfait, le Tintin ultime ? Malheureusement non : Trente-trois années de Tintin, cela vous marque durablement, et Hergé retrouve les petits travers du dessinateur d’histoires comiques... Péripéties cocasses de Haddock, calembours en tout genre, et lévitation de moines dans la lamaserie, voilà autant de ressorts rigolos qui paraissent franchement déplacés dans une aussi belle intrigue : comment prendre au sérieux la quête mystique de Tintin, quand toutes les trois cases Haddock nous balance un running gag à tomber par terre ?
Autre défaut, le revirement brutal de Tharkey, un bon vieux deus ex machina pour éviter que Haddock finisse ad patres ... au vingtième album, cela finit par faire tache.

Bref, les belles pages, celles dont on se souvient, ce sont les dix dernières, avec le fabuleux récit de Tchang (une double-planche parfaite). Mais pour atteindre cela, il faut passer par cinquante pages plus ou moins cocasses, certainement pas très sérieuses, et qui mettent en pièce toute tentative de créer une ambiance propre à susciter l’émerveillement lorsque surgira le dénouement. Pourquoi s’acharner à ressortir des ressorts comiques issus des années 1930’s, alors que ce vingtième album aurait gagné à avoir un ton moins cocasse, mais plus adulte...

Il y a trop de Tintin dans ce Tintin. Old habits die hard.
Wakapou
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le 19 juil. 2013

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Wakapou

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