Übel Blatt
6.5
Übel Blatt

Manga de Etorouji Shiono (2004)

Miura, c'est plus fort que toi.

Et qu'on ne me dise pas que le parallèle n'a pas lieu d'être. À froid, je vous donne les mots «Dark Fantasy», «ultra-violence», «viols» et «manga» vous me répondez Berserk et c'est marre. Sans nécessairement prétendre qu'Übel Blatt se soit inspiré de l'œuvre phare de Kentaro Miura pour se construire, tous deux ont indéniablement puisé la même source et ce seul fait justifie que comparaison il y ait.


D'emblée, Übel Blatt cherche à se présenter comme ce qu'il n'est pas. Un début très adolescent dans l'arrangement des premiers visuels. Ça viole, ça fend des crânes en deux sans raison particulière ; bref, ça cherche à nous délivrer une violence ostensible et excessive pour la simple finalité de la mettre en scène. Une démarche racoleuse de poseur qui, en cherchant à flatter mes bas instincts avec du cul et su sang, ne contribue en réalité qu'à hérisser et contrarier mon esprit critique.
Parce que cette propension au cul, ça en devient limite compulsif au cours des premiers volumes. Koinzell nous est à peine présenté qu'il en est déjà à insérer son index ainsi que son majeur en des muqueuses peu réceptives à leur intrusion. Aurions-nous eu affaire à un personnage réellement vicelard que je l'aurais accepté, en tout cas, appréhendé la chose comme étant une tare inhérente au personnage... mais non. Tout ce que nous verrons de Koinzell par la suite inclinera vers une personnalité foncièrement différente.


En un chapitre, Etorouji Shiono est déjà parvenu à nous démontrer qu'il n'avait pas clairement pensé son personnage principal et que les frasques licencieuses qu'il nous délivre se veulent purement gratuites. Sans doute qu'un mâle amputé de son cerveau limbique et de son néocortex pourrait trouver son compte dans cet avant-propos lamentable, mais pour peu qu'on soit pourvu un cerveau fonctionnel et entier, la lecture s'annonce déjà comme un chemin de croix.


Très vite, ça part en concours de viol avec Berserk. Quinze nibards au mètre carré ; la grenouille veut se faire plus grosse que le bœuf. Lorsque le compteur a commencé à afficher des scores à trois chiffres, j'ai pris l'initiative de ne plus compter les points pour les départager. Du cul pour le cul, l'immaturité même. Toutefois, Etorouji Shiono semble finalement se raviser et se tempérer, comme pris d'une timidité progressive l'enjoignant à limiter ses bouffonneries libidineuses. Mieux vaut tard que jamais, j'imagine que cette tempérance est à porter à son crédit. Ou à une absence subite de libido chez lui. Quelle qu'en soit la raison, je m'en contente sans peine.


Übel Blatt, c'est la Dark Fantasy en façade. L'œuvre tient plus d'un bric-à-brac plus ou moins habile de ce qui se fait en matière de fantaisie héroïque. Une toile de fond médiévale européenne, des dragons, une légende, l'emploi d'une langue germanique, une forteresse volante, le tout saupoudré de quelques monstres aux origines pour le moins obscures... et nous serions tenus de nous en contenter ?
L'affaire se présente davantage comme une esquisse maladroite de ce que serait un manga de fantaisie héroïque pensé précisément par quelqu'un qui ne connaîtrait pas le genre. Non pas que je sois un aficionados de ce registre, mais j'ai des yeux pour voir : Etorouji Shiono effleure le genre fantastique sans jamais l'approfondir. Son univers n'a rien de personnel ou d'authentique, tout est d'un conventionnel sidérant. Il faut plus que des éléments de Dark Dantasy agglomérés pour faire de la Dark Fantasy. Lorsqu'il est question de préparer un plat, il ne suffit pas de prendre tous les ingrédients qui le constituent et de les jeter inconséquemment dans un plat en s'imaginant que vos convives vont s'en régaler. Tout est une affaire d'agencement, d'un soin méticuleux apporté à la composition afin, qu'à terme et après beaucoup de travail, le rendu puisse s'avérer savoureux. Si d'aventure je commande un filet de merlan dans son lit de pommes de terre que l'on me sert un poisson entier, pas même écaillé entouré de pommes de terre qu'on ne se serait pas donné la peine d'éplucher... il ne faut pas s'attendre à ce que je paye l'addition. Ce que Shiono a à nous vendre : j'achète pas. Übell Blatt, ça sent le faux et ça en a même le goût, y'a pas de raison que j'en mange.


Pour la contexture, vous repasserez en ne manquant pas d'aller vous brosser au passage. Une légende lacunaire qui repose sur une histoire de héros passés qui en fait n'en seraient pas vraiment.... Bon appétit, les toilettes sont au fond à droite.
À peine la légende avait été portée à ma connaissance que j'avais deviné que Koinzell en était. Il se trouvera encore des personnages quinze volumes plus tard pour s'en étonner. Bien sûr, que serait une légende à la con sans sa prophétie foireuse ? Parce que, devinez quoi....


Koinzell, notre personnage principal est le héros de la prophétie. C'est dingue, non ?!
Non. Pas du tout. En fait, la balise spoiler était clairement superflue.


Si tout est écrit d'avance à quoi bon se farcir l'aventure ? D'autant qu'elle est agitée l'aventure. Pas comme j'aime. Pas du tout même. Des combats improbables - en ce sens où ils en appellent davantage à la consternation qu'à la fascination - ça sera ça à foison. Et sans discontinuer. Pas même un temps de pause pour nous laisser le temps de vomir, il faut continuer à donner des coups d'épée frénétiques et lassants sur vingt-quatre tomes. Avec les batailles aériennes en plus ; la fausse bonne idée la moins bien adaptée du manga.
Du tumulte, oui, des palpitations, non. Le héros fend la bise et fracasse ce qui passe à longueur de journée. Déjà que ça devenait rébarbatif chez Berserk, si en plus on nous sert la même bouillie avec un dessin tout juste passable - pour être gentil - la chiasse nous guette au tournant.


Des dessins pas seulement pauvres et limités au niveau du détail, mais inadaptés à l'univers au point qu'ils jouent contre l'œuvre. Je pensais que cela allait sans dire, mais les visages puérils et androgynes ont généralement tendance à ne pas s'accorder avec l'hémoglobine foisonnante et ce qui s'ensuit. Nous en avons maintenant la preuve incontestable si tant est qu'il était nécessaire d'en avoir une à disposition. L'auteur s'essaiera à tous les styles du moment, variant son coup de crayon en fonction de ce qui est en vogue. Qu'attendre d'un poseur si ce n'est qu'il soit un suiveur.
Impersonnel jusqu'à son style graphique, Shiono s'emploie à suivre les tendances sans jamais les instaurer ou les remanier.


En dépit du contexte géopolitique initialement instauré pour engager le manga dans des enchevêtrements d'intrigue implexes - ce qui n'est certainement pas pour me déplaire - le lecteur constatera bien vite de quoi il en retournera finalement. On mime une trame politique pour s'en tenir à un histoire de gentils contre les sept méchants ; les uns et les autres bien évidemment dépourvus de la moindre once de charisme.
Übel Blatt aura eu beau gonfler les pectoraux et se donner des airs de cador à pourfendre le chaland par le glaive - entre autres organes - ce qu'il nous vend prend bien assez vite l'allure d'un spectacle tout droit sorti du dernier des poncifs Nekketsu. La déferlante d'hémoglobine et les nichons occasionnels n'auront pas suffi longtemps à masquer la supercherie. Ce que je lis là, c'est un Shônen ultra-violent et remarquablement mal dessiné.


À bien y réfléchir, c'est l'évidence même. Des personnages dépourvus de toute personnalité qui n'évolueront jamais en terme de psyché (si tant est qu'ils en fussent détenteurs en premier lieu), des combats où les gentils gagnent constamment sans se faire un claquage, des méchants qui portent sur leur gueule ce qu'ils sont, une bataille déterminante contre l'antagoniste final (mais non que Glenn n'est pas une copie bâtarde de Griffith, mais non)... y'a pas à tortiller du cul, c'est un Shônen. Et pas un bon.


Le fétichisme de l'auteur pour les engins aériens prenant le dessus une dernière fois avec la cagade spectaculaire de la forteresse volante et des combats «««stratégiques»»» l'entourant, la fin se veut prévisible. D'autant plus qu'elle était annoncée dès le premier tome par une prophétie (comme quoi, ça valait pas la peine de lire). Glenn est vaincu, Elsaria pose son cul sur le trône et Koinzell demeure résolument vivant, prêt à se battre à nouveau pour l'Empire.
Essayez de faire plus cliché et vous risquerez de vous blesser ; parce que là, on est dans de la performance de très haut niveau.


À terme, tout lecteur d'Übel Blatt est le témoin - si ce n'est la victime - d'une histoire inconsistante et erratique qui se perd dans ses fausses circonvolutions hasardeuses qui, originellement, était vouée à ne mener que vers une conclusion attendue mais pas espérée. Un Shônen vous dis-je ; Samurai Deeper Kyo + 1. D'où la note, d'où le mépris.

Josselin-B
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le 19 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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