Cette histoire pour enfants (collégiens, au plus) baigne dans la féérie la plus traditionnelle. Ces histoires de portes successives ouvrant vers d'autres univers répondent au besoin de merveilleux des enfants, mais aussi à leur propension à imaginer tous les possibles, sans tenir le moindre compte de leur vraisemblance matérielle. On est dans Wonderland, le domaine de toutes possibilités.

Avec ce fond de commerce illimité, il faut faire un scénario, donc avec des contraintes, des limites, des règles et des handicaps pour les héros. Elinor (écolière de primaire) ne perd pas une occasion pour se moquer bruyamment de tout le monde à tout propos. Hou, la vilaine ! Puis, emportée par sa vanité de se croire princesse, elle commet une gaffe qui retourne les rires de ses copains contre elle. Déçue, elle va se jeter sur son lit, et c'est là qu'apparaît la première porte.

On constate que la porte apparaît quand il y a un inconfort pour le personnage principal. Ces portes successives ont donc une signification psychologique-éducative, et ce n'est pas le personnage de Jack, petit aventurier obsédé par l'or et "tout ce qui brille", qui démentira cette hypothèse. Elinor et Jack vont se rencontrer, et chacun va chercher à gagner son univers de prédilection.

Ca ne va pas se faire tout seul, car les portes sont cavaleuses, s'ouvrent là où on ne les attend pas, et ouvrent sur des destinations imprévues. Cette fantaisie topographique reflète des tendances à l'oeuvre dans l'inconscient : le grand guerrier au casque cornu reflète la soif de pouvoir et de domination universelle, mais il paraît qu'il n'est pas si méchant que ça (planche 40), indice qu'il s'agit d'une pulsion personnelle mal maîtrisée, mais intégrable après une quête... De mêmes, les petits personnages infantiles qui accompagnent Léonide évoquent, comme les Schtroumpfs, le multiplicité clonale des tendances psychologiques sous-différenciées et mal intégrées.

On notera l'intérêt d'un univers composés d'îles flottantes dans l'air (comme dans "Avatar"), mais reliées par des passerelles branlantes (planches 16-17).

Les dessins, fort expressifs, et d'une naïveté propre à séduire les enfants, bénéficient d'une mise en couleurs vives pleines de dégradés lumineux assez doux, qui contrastent avec la mode facile des nuances lumineuses cernées par un trait, qui finissent par ressembler plus à des coulures qu'à autre chose. Les contours des personnages sont souvent enrobés dans un mince halo d'une couleur douce qui fait transition avec l'environnement, et qui magnifie un peu les héros. La raideur un peu globale et enfantine de certaines postures est équilibrée par un sens aigu des expression des visages. Le lion Léonide a des traits simples mais quasi humains (planche 14). Certaines des portes sont très joliment décorées, et les monstres, pour être attendus, n'en sont pas moins inquiétants : pieuvre bleue aux ventouses jaunes (planche 8), "gardiens" sacrés sino-tibétains dans un monde de neige (planches 22-23), dragons rouges à tête de poisson qui servent de train suspendu (planche 27), le monstre glouton aquatique qui avale les héros (planche 34) (motif obligé de la captivité dans le ventre du monstre (voir Jonas)); un T-Rex un peu juvénile (planche 38), un copain mutant qui se transforme en une sorte de Hulk à tête de "gardien" chinois (planche 44)...

On notera - signe des temps - que le téléphone portable joue un rôle à part entière dans l'intrigue, et qu'il est même promu au rang de clé magique permettant de trouver des portes. Si ce n'est pas de la métaphore socio-médiatique, ça, Madame ? Et le hamburger cuit sur un feu de camp (planche 19), ça ne s'invente pas !

Comme les histoires pour enfants réussies, celle-ci contient beaucoup d'art, de séduction graphique, de langage symbolique, et de signaux éducatifs et socialisants...
khorsabad
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le 29 sept. 2013

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