Ce tome comprend les épisodes 15 et 16 de la série Mirage, initialement publiés en 1995, ainsi que les épisodes 1 à 6 de la série suivante publiée par Dark Horse, en 1996. Tous les épisodes sont écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Ils sont publiés en noir & blanc. Il est possible de lire ce tome sans rien connaître du personnage. Ce tome comprend plusieurs histoires complètes. Il commence par une introduction dithyrambique de Kurt Busiek, l'auteur de Marvels (avec Alex Ross) et de la série Astro City (par exemple Des ailes de plomb).


Dans la première courte histoire, Jei (un rônin macabre) sauve Keiko d'une bande de malfrats, mais son père périt sous ses yeux. Sur la route, Miyamoto Usagi rencontre un paysan chargé de branchage. Il l'aide à porter son fardeau et l'accompagne jusqu'à son village. Les habitants sont en fait des pêcheurs qui cultivent des algues rouges (nori) qui, après séchage, sont vendues sous forme de kaizo, les algues séchées pour la cuisine. Usagi aide ces villageois à trouver une entente avec ceux du village d'à côté, soupçonnés de voler leur récolte d'algues.


Par la suite, Miyamoto Usagi bénéficie de l'aide d'une rônin appelée Inazuma, pour se tirer d'affaire contre une bande d'hommes de main recrutés par un homme d'affaires souhaitant se venger. Dans le village suivant, il retrouve Kitsune (une voleuse au grand sourire) avec Noodles un simple d'esprit qu'elle a pris en charge. Ils doivent se sortir des griffes d'un responsable de la police, coupable de prévarication. Il aide une femme alitée dans une auberge, et accablée par un démon (qualifié de Nue). Il fait équipe avec Chizu, une ninja, contre le clan ninja des Komori. Enfin, il fait une partie de chemin avec Icho, un apothicaire itinérant.


Cette série met en scène un rônin, effectuant une forme de pèlerinage spirituel (Musha shugyō), dans le Japon du début du dix-septième siècle. Stan Sakai a pris le parti de représenter ses personnages sous formes d'animaux anthropomorphes, à 4 doigts (ainsi Usagi a la forme d'un lapin). Il adopte une narration tout public, portée par des personnages mignons, sans représentation des blessures à l'arme blanche. Toutefois les sabres servent bien à se battre, et à tuer ; les personnages meurent sous les coups.


Une fois que le lecteur s'est acclimaté aux spécificités de la narration de Stan Sakai, il prend grand plaisir à retrouver ce personnage courageux et décidé, de tome en tome. Malgré tout, Miyamoto Usagi ne peut pas être réduit à l'archétype du héros. Il n'hésite pas se servir de ses sabres quand il est provoqué, et à tuer ses adversaires. Il tolère que Kitsune exerce le métier de voleuse, sans chercher à l'appréhender. Il est incapable de mettre un terme aux exécutions réalisées par Chizu. Bien souvent, il se retrouve simple individu au milieu d'enjeu qui le dépassent, et dont la résolution ne dépend pas que de lui. Par là-même, l'auteur adopte un point de vue plus adulte qu'enfantin puisque le monde ne tourne pas autour de son personnage principal qui se retrouve dans une position parfois secondaire, voire de simple figurant.


Le principe de samouraï errant donne une grande liberté à l'auteur pour balader son personnage d'une situation nouvelle à une autre. Comme souvent il en profite pour inclure des éléments culturels ou historiques. Dans ce tome, le lecteur peut donc découvrir la récolte d'algues rouges à cette époque. À nouveau, il peut constater que Stan Sakai ne se contente pas d'évoquer vaguement une pratique piochée à la va-vite dans un manga. Il intègre de manière organique cette culture à son intrigue, en en faisant un constituant central. Il ne transforme pas son récit en un cours sur ces récoltes. Par contre il donne envie au lecteur d'aller se renseigner sur l'utilisation de ces algues dans la cuisine japonaise. Comme d'habitude également, les dessins simples (mais pas simplistes) permettent de se faire une idée concrète des installations de pêche en un coup d'œil, sans non plus avoir l'impression d'un dessin de technicien.


D'un point de vue historique, l'auteur évoque également en filigrane les relations avec les européens dans le cadre du commerce, et l'enjeu que constitue la poudre explosive. À nouveau cet élément est intégré avec naturel dans le récit. Un lecteur habitué des mangas de sabre comprend mieux la réaction horrifiée d'Usagi devant cette avancée technologique, puisqu'elle marquera le début de l'obsolescence de l'art du sabre, et donc des samouraïs.


Le traitement réservé aux ninjas peut déconcerter le lecteur. Stan Sakai a choisi de représenter leurs capacités de camouflage, de dissimulation, et d'utilisation d'armes spécifiques. Il leur a donné l'apparence de chauves-souris anthropomorphiques, avec des ailes, et une capacité de vol autonome. Le lecteur est invité à l'interpréter comme une licence artistique pour donner à voir les capacités d'espion des clans de ninjas. En plus de l'effet déstabilisant de voir ces chauves-souris anthropomorphes, le lecteur constate qu'une fois encore il s'agit de ninjas incompétents, incapables de mener une mission à bien, et succombant en grand nombre sous les coups de Miyamoto Usagi et de Chizu.


Ces ninjas ne constituent pas le seul élément surnaturel du récit puisqu'Usagi se bat également contre une créature surnaturelle, issue du folklore japonais. C'est là encore le choix de l'auteur de mettre en scène des monstres du bestiaire folklorique, comme s'il s'agissait de créatures ayant réellement existé. Finalement il prend au pied de la lettre les croyances et légendes de l'époque, ce qui est une interprétation vivante et légitime dans le cadre d'une bande dessinée, cohérente avec le reste des choix narratifs. Les chauves-souris sont peut-être plus difficiles à accepter car elles assimilent les ninjas à des entités surnaturelles, alors que leur existence à un fondement historique.


En fait ces 2 éléments (chauves-souris, manifestations surnaturels) déconcertent de prime abord, parce que le reste du récit est enraciné dans des faits concrets et réalistes. Miyamoto Usagi se trouve confronté à des individus abusant de leur force dans une société rurale où le voisin habite loin, où les forces de l'ordre sont éparpillées. Il se retrouve mêlé à des intrigues politiques où l'assassinat est un outil comme un autre, et à des manigances d'individus cupides. Ces motivations terre à terre donnent une dimension adulte aux aventures de ce rônin, retenant l'attention des lecteurs adultes.


Dans un premier temps, l'adulte peut dédaigner la lecture de cette série, sur la base de l'apparence des dessins. Ils semblent à la fois simples, un peu mignons, avec des expressions de visage exagérées pour être comprises plus facilement. La lecture montre que Stan Sakai a délibérément choisi une approche graphique simple pour s'assurer être plus facilement compris de tous, mais sans sacrifier la précision et l'intelligence de ce qui est représenté. Pour commencer, la reconstitution historique est fidèle à l'époque, qu'il s'agisse des constructions, des tenues vestimentaires, ou encore des occupations et des métiers des habitants. De la même manière, la représentation en arrière-plan de la société féodale de l'époque ne se limite pas à des caricatures de caste, mais comprend également les valeurs qui y sont associées.


L'investissement de l'artiste dans la dimension visuelle se retrouve également dans les scènes d'affrontement physique. Sakai ne se contente pas d'accoler quelques cases où les individus se tapent vaguement dessus. Il s'assure que le déplacement des adversaires d'une case à l'autre est cohérent (que le lecteur peut rétablir leurs mouvements d'une case à l'autre), et qu'ils prennent en compte les caractéristiques du lieu où se déroule la confrontation (à commencer par les obstacles, mais aussi le relief du terrain). De ce point de vue, la mise en image de Stan Sakai est plus adulte que bien des comics de superhéros où les personnages se tapent dessus dans des cases vides d'arrière-plan, comme s'ils étaient sur une scène de théâtre sans incidence de l'endroit où ils se trouvent.


Alors que le lecteur pourrait éprouver un a priori négatif au principe d'itinérance de Miyamoto Usagi, il se rend compte qu'il est très agréable de cheminer à ses côtés. Là encore, c'est dû à la mise en scène de l'auteur qui sait montrer les contraintes liées aux nuits passées à la belle étoile, que tous les déplacements ne se déroulent pas sous un ciel clément, et que les voyageurs sont contents d'arriver dans un village pour se restaurer de manière plus diversifiée et pour se reposer dans le confort d'un lit. La constance avec laquelle l'artiste représente les arbres et la flore (de façon simple mais régulière) participe également à donner cette impression de randonnée dans une nature peu touchée par la civilisation humaine.


Enfin Stan Sakai n'a pas son pareil pour faire exister les personnages. Ils ne disposent pas d'une psychologie très fouillée, par contre ils éprouvent des sentiments que l'auteur transcrit avec efficacité au lecteur. Ce dernier ressent l'état d'esprit de Miyamoto Usagi quand il est énervé ou inquiet, d'Icho quand il montre une curiosité un peu appuyée, du cultivateur d'algues quand il s'indigne contre l'injustice de se faire voler sa récolte par le village voisin, etc. À nouveau ces émotions sont assez basiques pour parler à de jeunes lecteurs mais aussi assez justifiées pour être partagées par des lecteurs plus âgés.


Dans ce tome, Stan Sakai s'exprime avec toute la sensibilité qui lui est coutumière. Il emmène le lecteur pour un voyage dépaysant et mouvementé dans le Japon du dix-septième siècle, aux côtés d'un rônin courageux, mais pas commode, pour des aventures mêlant tradition, politique, légendes et folklores, dans une narration tout public. Les plus âgés pourront un peu tiquer à l'inclusion d'éléments surnaturels.

Presence
10
Écrit par

Créée

le 4 juil. 2019

Critique lue 123 fois

1 j'aime

Presence

Écrit par

Critique lue 123 fois

1

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime