Sur la route encore, à la rencontre de personnages attachants

Ce tome fait suite à Samourai (épisodes 1 à 6) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour disposer de l'historique des relations entre les personnages. Pour cette même raison, il vaut mieux avoir commencé par le premier tome de la série. Il comprend les épisodes 7 à 12, ainsi qu'une histoire courte contenue dans Turtle Soup, initialement parus en 1988, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Ces histoires sont en noir & blanc. Ce tome commence par une introduction d'une page, écrite par Robert Asprin, écrivain, auteur entre autres de la série consacrée au Captain Willard Phule et de la série MythAdventures. Ce tome comprend 6 histoires courtes, plus celle en 6 pages parues dans Turtle Soup.


(1) The tower - Un tokagé (une sorte de gros lézard) a pris résidence dans une petite ville, et a pris l'habitude de chaparder de la nourriture à différents endroits dont dans un petit restaurant. Furieux, le propriétaire le poursuit. L'animal se réfugie en haut d'une frêle tour de guet (une plateforme sur pilotis avec une échelle). Miyamoto Usagi arrive sur ces entrefaites et prend le parti de la bête sans défense. Il monte sur la tour, puis le cuisinier décide de la saborder en brisant les barreaux de l'échelle. (2) A mother's love - Chemin faisant en approchant d'une petite ville, Miyamoto croise une vieille femme fatiguée, bien habillée. Il lui propose de la raccompagner à la ville proche, et la porte même sur son dos pour franchir un ruisseau. Le mari de cette femme avait aidé à développer la ville en se montrant bienveillant en tant que chef temporel de la communauté. Après sa mort, leur fils se montre un usurier utilisant les services de gredin. Cette femme demande à Usagi d'assassiner son fils. (3) Return of the blind swordspig - Zato Ino (le bretteur aveugle) progresse sur un chemin. Il déjoue de peu une attaque contre sa personne, grâce à l'avertissement d'un tokagé. Après l'affrontement, l'animal le suit dans sa progression. Zato Ino se rend compte qu'Usagi est à quelques heures de marche devant lui.


(4) Blade of the gods - Un vieil homme tout dépenaillé se tient devant un groupe de soldats prêts à l'occire. Il se déclare l'envoyé de dieu, et il s'apprête à les affronter sans pitié. Peu de temps après, Usagi parvient à une masure pour s'abriter. Il se retrouve à demander l'hospitalité à Jei. (5) The teacup - Chemin faisant, Miyamoto Usagi croise le chemin de Murakami Gennosuke qui est chargé d'apporter une précieuse tasse à son commanditaire. Sur le chemin, Usagi accepte d'accompagner Gennosuke, puis prend deux enfants sous sa protection pour les accompagner jusqu'à la ville. (6) The shogun's gift - Dans le château du seigneur Noriyuki, un ninja du clan Neko réussit à dérober le sabre Murasame, sous les yeux de Tomoe Ame. Le hasard met ce ninja sur le chemin de Miyamoto Musashi qui flaire quelque chose de louche. Turtle Soup - Miyamoto Usagi croise plus ou moins Leonardo des Tortues Ninjas, le temps de brefs instants.


Arrivé au troisième tome, le lecteur a bien assimilé le principe de la série. Miyamoto Usagi est un rônin avec un véritable code de l'honneur, celui des samouraïs. Il vagabonde à travers le pays, mais en restant dans la même région, croisant régulièrement des personnages récurrents, redressant les torts, défendant la veuve et l'orphelin. Stan Sakai s'en tient au principe de dessiner des personnages sous forme d'animaux anthropomorphes. Il utilise parfois des animaux typés, auxquels sont associés des traits de caractère bien précis, mais sans se contenter de se reposer sur ces stéréotypes. Le lecteur éprouve un certain plaisir à voir Usagi refaire équipe avec Gennosuke, car les 2 se respectent, mais n'hésite pas à se jouer des tours, sous réserve que cela ne mette pas l'autre en danger. C'est ainsi que Gennosuke confie la tasse précieuse à Usahi pour qu'il accomplisse sa mission à sa place, tout en donnant l'impression de se sacrifier en restant pour se battre contre leurs poursuivants. Le visage de Gennosuke est toujours aussi fermé et sévère. Le visage d'Usagi exprime des sentiments plus ouverts, et plus divers. Celui des 2 enfants expriment des sentiments plus francs et plus naïfs.


Le lecteur retrouve également la sabreur aveugle, référence et hommage à Zatoichi. Ses sentiments sont plus ambivalents du fait du caractère hautain et intraitable de ce personnage. Effectivement il reprend sa vendetta contre Usagi, cherchant à l'occire à tout prix. C'est une preuve du talent de conteur de Stan Sakai qu'à la fin de cet épisode, le lecteur ressent une empathie assez forte pour se sentir attristé par le sort de ce cochon anthropomorphe. Alors que l'épisode se focalise contre une nouvelle passe d'armes entre les 2 adversaires, le lecteur peut ressentir à la fois la solitude de Zato Ino, mais aussi le fait qu'il se raccroche à la fierté d'être un sabreur émérite, refusant la pitié des autres, et leur aide. Sa force de caractère force l'admiration du lecteur malgré lui. Dans ce tome, le lecteur fait également la connaissance d'un autre personnage qui deviendra récurrent : le terrible Jei. Stan Sakai lui conçoit une allure immédiatement reconnaissable, un grand échalas dégingandé basé sur un loup, enveloppé d'une robe noire fatiguée, avec un rictus effrayant. Il exsude une aura maléfique de par ses crocs, ses babines retroussées, son regard habité par la folie, le rendant inaccessible à la raison, totalement guidé par ses hallucinations. Avec un peu de recul, le lecteur est impressionné par la capacité de l'artiste à rendre un animal anthropomorphe aussi sinistre, sans pour autant se situer dans un registre graphique réaliste, sans verser des hectolitres d'hémoglobine.


La dynamique de chaque récit repose à chaque fois sur un affrontement physique contre un individu de mauvaises intentions. Pourtant il n'y a jamais de sensation de répétition. Soit Usagi affronte des adversaires récurrents comme Zato Ino, Jei, ou un ninja, soit il doit défendre un opprimé. Ces 3 ennemis présentent des caractéristiques qui les rendent spécifiques, en particulier avec une apparence et des motivations très différentes. Du coup, les combats physiques contre Zato Ino et Jei ne se ressemblent nullement même s'ils débutent tous les 2 dans une petite maison. Celui contre le ninja prend la forme d'une poursuite, ou plutôt d'un chassé-croisé avec une pointe de malice de la part d'Usagi ce qui y ajoute une dimension comique. De la même manière, l'aventure relative à la tasse de collection contient une fibre comique générée par la relation un peu vache entre Gennosuke et Usagi. D'une manière générale, Stan Sakai met en œuvre des touches d'humour légères et gentiment moqueuses, y compris quand il rend hommage aux caractéristiques des épisodes de la série Groo de Sergio Aragonés & Mark Evanier (série dont il est le lettreur attitré), dans l'épisode 11 (avec petit poème introductif sur la page de titre, et morale à la fin).


Dans le deuxième épisode, l'auteur décide de mettre son personnage dans une position intenable. Il lui est demandé d'assassiner un individu méprisable et nuisible pour la communauté, mais il doit le faire de sang-froid, sans provocation préalable de l'individu, ce qui va à l'encontre de son code de l'honneur. Stan Sakai réussit un drame naturaliste complet en 20 pages, poignant bien qu'il soit interprété par des animaux anthropomorphes, encore une preuve manifeste de son talent de conteur. Il se montre encore plus étonnant en donnant une place prépondérante aux tokagé dans 2 épisodes. A priori, ces animaux ne semblaient être que des bestioles faciles à dessiner et juste bonnes à apporter un peu d'exotisme dans la série. Mais voilà que Miyamoto Usagi s'entiche de l'une d'elle dans l'épisode 7, au point de ne pas supporter l'idée qu'un être humain puisse prendre plaisir à lui faire subir de mauvais traitements. Il y a là une prise de position étonnante que d'imaginer qu'Usagi soit prêt à se mettre en danger, à risquer sa vie pour un simple animal. D'un autre côté, c'est cohérent avec une philosophie de vie qui veut que tous les êtres vivants soient connectés et donc tous dignes de respect. Encore plus impressionnant, l'ouverture de cet épisode 7 propose au lecteur de suivre cette bestiole dans sa recherche de nourriture en plein village. Le lecteur peut apprécier le talent de conteur visuel de Stan Sakai qui montre cette bête se faufilant dans divers endroits, faisant ressortir son innocence et son absence de malice, sa nature de créature vivante sans conscience suivant son instinct et ses besoins. Dans le même temps, il décrit plusieurs endroits de la ville, avec simplicité et authenticité, montrant les occupations ordinaires de quelques-uns des habitants, avec un naturel et une lisibilité confondants. Un vrai plaisir de lecture que de pouvoir prendre le temps d'ainsi déambuler et se plonger dans cette époque et ce lieu.


Stan Sakai renouvelle cet exploit de sensibilité dans l'épisode 10. À nouveau un tokagé y joue un rôle essentiel, à nouveau le créateur évite toute forme d''humanisation du comportement de l'animal. Il le montre évoluer autour des êtres humains, leur porter une forme d'intérêt et d'attachement, un peu moins intense que celui dont ferait preuve un chien, avec un naturel épatant. Le lecteur est complètement pris par l'histoire grâce aux talents de metteur en scène de l'artiste, son découpage de planche aussi lisible qu'efficace, et par sa direction d'acteurs favorisant un jeu naturaliste au point que le lecteur en oublie régulièrement que ce sont des animaux anthropomorphes avec des mains à 4 doigts, qui sont représentés de manière simpliste.


Si le lecteur conservait quelques doutes quant aux qualités de cette série, il n'en conserve aucun à l'issue de ce tome. Stan Sakai donne corps à des personnages singulièrement attachants, sans être parfaits, dans des intrigues en apparence simplistes, mais recelant un deuxième niveau de lecture adulte, tout en faisant bénéficier le lecteur de l'exotisme de l'époque et des lieux visités, tout ça en toute simplicité.

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le 30 juin 2019

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