Ce tome comprend les épisodes 7 à 14 de la série publiée par Mirage, initialement parus en 1994/1995, tous écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Ces histoires sont en noir & blanc.


The music of Heaven – Usagi Yojimbo rencontre Omori Kazan, un prêtre d'une secte zen, en train de jouer de la flute (Shakuhachi) en pleine forêt, son visage recouvert d'un casque en osier (tengai). Mais celle-ci dissimule également un assassin appartenant au groupe Shi. The gambler, the widow and the ronin – Dans un village, Usagi Yojimbo se retrouve malgré lui impliqué dans la mésentente entre un organisateur de pari et son combattant au sabre. Slavers – Usagi Yojimbo sauve un enfant d'un groupe d'esclavagistes. Il lui promet d'aller aider son père lui aussi fait esclave par ce même groupe.


Daisho – Usagi Yojimbo s'est lancé aux trousses du général Fujii qui lui a dérobé sa paire de sabres (appelée Daisho, c’est-à-dire la paire d'épées traditionnelles portée par les samouraïs). Les circonstances l'amènent à accepter l'aide d'Hanako, une femme du village qui connaît les environs, et de 2 chasseurs de prime Gennosuke et Stray Dog. Runaways – Dans un autre village, Usagi Yojimbo doit s'écarter pour laisser passer le palanquin de Lady Hirano. Il se souvient de la première fois où il avait croisé son chemin, alors qu'il lui servait d'escorte.


Il est possible qu'il faille un petit temps d'adaptation au lecteur pour se plonger dans un recueil d'Usagi Yojimbo. Stan Sakai écrit des histoires tout public. Il a donc choisi sciemment d'édulcorer la violence. Lorsque 2 personnages se battent à l'épée, les blessures ne sont pas représentées, le lecteur ne voit jamais la lame taillader la chair. Il ne voit pas non plus le sang couler des blessures (une seule exception lorsqu'un ninja est blessé à la gorge). Quand les personnages meurent au combat, ils s'écroulent par terre en faisant des grimaces outrées, presque comiques.


L'autre particularité de la narration de Stan Sakai est d'avoir choisi de représenter les personnages sous la forme d'animaux anthropomorphes. Certes, le lecteur subodore que ce choix tient autant de l'envie de leur donner une apparence agréable à l'œil, que des limites techniques du dessinateur, pas forcément à l'aise pour représenter la forme humaine avec exactitude. Oui, les personnages ont des têtes évoquant celle d'un lapin (Usagi), d'un rhinocéros (Gennosuke), ou d'un ourson (Omori Kazan), ou tout autre animal qui passe par la tête du dessinateur. Oui, parfois, ils ont une tête qui ressemble vaguement à celle d'un animal, sans qu'il soit possible de déterminer avec exactitude lequel, et ils ont tous 4 doigt au lieu de 5.


Si le lecteur est allergique à ce genre partis pris (violence édulcorée + personnages un peu mignons), il vaut mieux qu'il lise autre chose. Sinon, il peut se laisser guider par sa curiosité et se fier à l'introduction dithyrambique de James Robinson (scénariste réputé de comics, telle que la série "Starman"). Dans la première séquence, il se retrouve confronté à une autre bizarrerie de cette série : la présence de Tokage, des lézards de grande taille, un peu facétieux, une race d'animal inventée par l'auteur. Il contemple également un rônin avançant sur un sentier boueux, revêtu d'un vêtement pluie, et d'un chapeau à large bord. Ce dessin a une apparence simple, facilement lisible, avec une représentation basique de la texture des écorces.


Ce simple dessin comprend également beaucoup d'informations visuelles, malgré son apparente simplicité : tenue historiquement exacte, réalité des déplacements (surtout à pied sur des chemins de terre), importance du milieu naturel (faible densité de population). Effectivement, le lecteur a le plaisir de découvrir tout au long de ces histoires que s'il écrit pour un public jeune (y compris des enfants), il ne prend pas son public pour des idiots. Sans avoir l'air d'y toucher, dans cette première histoire, il évoque l'art musical, par le biais de ce moine jouant de la flûte, ce dernier expliquant ce qu'il essaye d'exprimer par sa musique. Quand on y pense, il s'agit d'un propos ambitieux pour un musicien d'expliquer ce que ses compositions instrumentales essayent de refléter (d'autant plus qu'ici le musicien le fait avec humilité).


Dans le même ordre d'idée, ce personnage explique pourquoi il voyage avec un tengai sur la tête, masquant son visage. On est loin d'un comics récupérant les conventions graphiques et les stéréotypes des mangas pour les utiliser sans les comprendre. Par la suite, le lecteur bénéficie encore d'une explication sur la fabrication (artisanale) des sabres, ainsi que d'une mise en scène de la force des classes dans ce Japon féodal (ce comics se déroule au début du dix-septième siècle). On est dans une reconstitution historique effectuée par un auteur qui maîtrise son sujet. Les histoires ne prennent jamais la forme d'un cours, mais le lecteur peut repérer les éléments qui attestent de la connaissance de Stan Sakai. Il s'agit souvent de détails, comme les techniques de construction des bâtiments (les toits lestés par des pierres), ou les occupations des villageois, souvent des travaux des champs, avec des outils réels.


La forme de la narration reste celle d'un récit d'aventure mettant en scène un héros, un rônin errant (un samouraï sans maître) parcourant le pays, et s'attaquant aux injustices, dans sa volonté de s'améliorer. Il se retrouve souvent mêlé à des intrigues entre fiefs, ou à des pratiques plus communes comme l'esclavagisme, ou des drames personnels (une personne souhaitant se débarrasser d'une autre de manière définitive). Dans ce tome, il n'y a pas d'intervention surnaturelle, de type fantômes ou yokais.


Malgré le dispositif très traditionnel du héros redressant les torts, Stan Sakai sait introduire des variations, élevant les histoires au-dessus de la simple dichotomie Bien / Mal. Le joueur de shakuhachi introduit une composante spirituelle à la fois concrète et mystique. Celle avec les paris sur les combats montre Miyamoto (son vrai prénom) Usagi essayant par tous les moyens possibles d'éviter de se battre (la confrontation physique ne résolvant pas tout). Dans la suivante, le lecteur rencontre un chasseur de primes antipathique, mais aux motivations inattendues. Avec ce personnage, Stan Sakai rappelle que l'art du sabre a pour fonction de tuer des individus, et que ses pratiquants payent le prix de cet objectif (comme dans les meilleurs mangas de sabre). Dans la dernière, le scénariste oppose les élans du cœur aux aspirations des individus et à leur culture. Tout compte fait, il s'agit de thèmes ambitieux et adultes, sous couvert d'une narration tout public.


La lecture de ces différentes histoires fait bien ressortir le dispositif générique qui veut qu'Usagi effectue un pèlerinage du guerrier qui l'emmène de village en village, et donc d'aventure en aventure. Néanmoins Stan Sakai se renouvelle à chaque histoire avec des personnages secondaires, et des intrigues qui ne se ressemblent pas. Si son caractère reste un peu générique, le lecteur constate qu'il est sensible à l'aspect spirituel de l'existence, qu'il n'est pas bagarreur pour le plaisir de se battre, qu'il n'est pas au-dessus de chercher à se venger, qu'il peut tomber amoureux, et qu'il exècre l'injustice, ou encore la tyrannie de la loi du plus fort. Du fait de sa compétence principale (le maniement du sabre, c'est-à-dire tuer), Usagi Yojimbo échappe à la caricature du personnage mignon et gentil.


Outre la qualité de la reconstitution historique, la lecture de ces épisodes procure le plaisir de se promener dans des lieux d'une autre époque. Il y a bien sûr ces cheminements en forêts, ces petits villages rustiques à faible population, les routes en terre, les grandes étendues herbeuses. Comme le montre la première image, Usagi Yojimbo progresse en devant supporter l'inconfort de la pluie (il n'est pas sec à la page suivante). Si l'artiste ne le montre pas allant aux toilettes, il le dessine en train de se restaurer, ou en train de se reposer. Lorsqu'Usagi séjourne dans une ville, le lecteur peut admirer les différents motifs des vêtements, à l'opposé d'un dessinateur qui représenterait tout de manière standardisée.


Au détour d'une situation, le lecteur peut prendre conscience que l'auteur n'utilise pas cette époque comme un simple artifice décoratif, ou un raccourci narratif. Par exemple lorsqu'un parent indique à un enfant qu'il faudra aller quérir un médecin, Stan Sakai rappelle qu'à l'époque se faire soigner tenait de l'aventure, à la fois parce que les médecins étaient rares et éloignés, mais aussi parce qu'il n'y avait pas d'ambulance. Cet exemple montre également que Stan Sakai prend soin d'établir que les actions des uns et des autres ont des conséquences qui ne disparaissent pas une fois la page tournée.


Pourquoi ce tome de cette série plutôt qu'un autre ? Il n'y a que le premier pas qui coûte. Alors qu'il s'agit d'une série au long court (> 200 épisodes en 2015), chaque tome peut se lire indépendamment, sans rien perdre à l'intrigue. Dans ce tome, Stan Sakai fait ce qu'il sait faire, et le fait bien. Il invite ses lecteurs (quel que soit leur âge) à suivre Miyamoto Usagi (un lapin anthropomorphe) qui croise la route d'un joueur de flûte, de ninjas pas commodes, d'une belle princesse, d'esclavagistes, au Japon, au dix-septième siècle. L'auteur trouve un équilibre délicat entre aventures, combats au sabre, reconstitution historique et moments plus intimes.

Presence
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le 4 juil. 2019

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