Là, ça dégage. Cothias s'arrange pour que tout s'arrête en fin de volume, en éliminant les personnages les uns après les autres. Mais on connaît Cothias. Déjà que la série est très modérément rationnelle, elle n'aurait pas grand sens si elle s'arrêtait là : de la poésie certes, mais surtout un énorme sentiment d'absurde et de vanité, avec tous ces gens qui s'entretuent et finissent leur vie sur un échec lamentable. Le lecteur s'attellera à cocher en face de chacun des personnages en quoi consiste l'échec qu'il subit. La fin, d'une cruauté mystique comme ne l'eût pas renié Jodorowsky, mêle mutilation et inceste. Et le seul élément d'espoir se trouve dans la dernière planche : quand tout est fini, la pluie n'est visiblement plus acide, puisque la végétation est subitement régénérée.

Seul Nicolas conserve sa capacité magique d'évoquer la mer et ses impétuosités bien vivantes; mais voilà, même les personnages du récit considèrent qu'il ne pourrait bien s'agir que d'illusions, de tour de passe-passe... S'il y a un espoir pour les Eaux de Mortelune, il n'a pas l'air de se concrétiser dans le réalisme concret de notre dimension, mais seulement dans des moments de transe poétique que tout le monde trouve fictifs (planches 21 à 23).

Le schéma du récit est très simple : Le vilain duc Malik continue de poursuivre les héros, en négligeant ses propres précautions de sécurité les plus élémentaires, finit par retrouver ceux qu'il cherche, et là, tout se résout entre combats et fuites.

Comme la poursuite a maintenant pour cadre le sud de la France, Adamov sait en restituer certains aspects caractéristiques : planche 2, une affiche vieillotte de spectacle d'un "Casino" marseillais; restes d'édifices sur des pitons rocheux comme il y en a dans maints villages languedociens ou provençaux (planches 4, 5, 17), un Pont du Gard pas vraiment au mieux de sa forme (planche 7); arènes d'Arles (planches 35-40). Inquiétants débris de statues que ne renierait pas Philippe Druillet (planche 16).

A nouveau, les héros rencontrent des bêbêtes amicales et protectrices, quoique d'aspect inquiétant : termites et mantes religieuses. Toutes parlent un français impeccable, et se soucient étrangement de protéger les minables petits humains qui débarquent chez elles. L'existence de ces monstres est attribuable à des mutations génétiques d'origine chimique ou nucléaire, mais cela n'est pas très clair. En attendant, Adamov excelle à en restituer le côté monstrueux (pas d'anthropomorphisme, détail des antennes, des serres, des pinces, luisances glaçantes des yeux ou de la chitine). Adjuvantes temporaires, ces bêbêtes jouent un peu le rôle des nains, des lutins ou des fées qui servent à tirer les héros d'une passe difficile. Enfin, question fées, Clochette est plus sexy, quand même.

L'érotisme est un peu en retrait dans cet épisode, si l'on excepte la parfaite nudité peinturlurée et guerrière de Kali (planches 28, 30). Tout à ses effets sensationnels de cruauté (anthropophagie, corps qui explosent...), Cothias se laisse aller à certaines facilités pour faire avancer l'action : poursuivants et poursuivis devinent avec une aisance surprenante les projets du camp ennemi, ce qui évite d'avoir à expliquer autrement les rencontres (planches 5, 24, 31-32).

Bien que le récit tourne à la tragédie sanglante, Cothias ne dédaigne pas des ruptures de ton, en introduisant de l'humour : son professeur Tournimbus, cinglé si l'on en croit les volutes qui surmontent sa tête, est un mélange de Professeur Tournesol et de Professeur Nimbus (ce dernier personnage, fort oublié aujourd'hui, est d'André Daix). Par négligence ou pas, il prête au duc Malik une réplique déjà énoncée dans le tome précédent (planche 14 : "Il m'arrive même parfois de me craindre moi-même.").

Malgré sa métaphysique incertaine, on peut être sûr que Cothias va nous jouer la grande scène du "C'est quand tout est fini que tout recommence." Surtout si l'éditeur est d'accord. Le hieros gamos incestueux du finale régénère le monde...
khorsabad
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le 18 sept. 2014

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