Ce tome regroupe les 3 histoires d'Harlan Hellison mettant en scène Vic et son chien Blood ("Eggsucker", "A boy and his dog", Run, Spot, run", à l'origine des nouvelles parues respectivement en 1977, 1969 et 1980), adaptées en bandes dessinées par Richard Corben, parues pour la première fois en 1987.


Eggsucker (12 pages) - Dans cette courte histoire, le lecteur fait connaissance avec Vic (un adolescent) et Blood (un chien télépathe doué de conscience) et leur monde post apocalyptique, un peu après 2021. Vic a déniché quelques bouteilles de vin intactes dans des ruines et il se rend sur un bateau où un groupe de jeunes hommes effectue du troc, en l'occurrence de l'alcool contre des munitions. En chemin, Blood en profite pour faire réciter la liste des présidents américains à Vic, par ordre chronologique.


A boy and his dog (36 pages) - Vic et Blood se sont mis d'accord pour se rendre dans une ville proche pour aller au cinéma. Il s'agit d'une ville en ruine où subsiste une petite communauté. Dans la salle, Blood flaire une femme humaine, une denrée rare dans cet environnement presqu'uniquement masculin. Vic se remémore pourquoi Blood dispose d'un odorat plus développé que celui des autres chiens. Ils attendent qu'elle quitte la salle pour la suivre, bien décidé à ce que Vic bénéficie de relations charnelles (consenties ou non).


Run, Spot, run (13 pages) - Vic et Blood se retrouvent à nouveau en pleine zone sauvage avec des poches de radiation. Ils sont bientôt poursuivis par Fellini et son gang qui sont décidés à les tuer pour une raison peu claire.


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Ces 3 histoires jouissent d'une réputation flatteuse du fait de leurs auteurs et du fait que la partie médiane a été adaptée en film A boy and his dog avec Don Johnson dans le rôle principal. Harlan Hellison est un écrivant de science-fiction à succès aux États-Unis, ayant également travaillé pour plusieurs séries télévisées telles que Star Trek, Au-delà du réel, La cinquième dimension, et Babylon 5. Richard Corben est surtout connu pour sa bande dessinée Den et sa participation aux magazines Creepy & Eerie.


Dans un premier temps, l'admirateur de Richard Corben sera un peu déçu puisque pour commencer il n'a pas réalisé la mise en couleurs à l'aérographe comme il pouvait le faire pour ses propres histoires. Ensuite, son adaptation est assez platounette. Corben semble avoir adopté le parti d'être avant tout descriptif dans ses images. Il se met donc au service du récit pour dessiner avec application les paysages désolés, et les ruines, les cratères où subsistent des poches de radiations, le sol en terre informe, les amoncellements de débris de matériaux de constructions, les immeubles désertés avec des débris sur les sols des pièces, et la ville très proprette et années 1950 de la colonie souterraine. D'un coté il s'agit d'un travail soigné et appliqué ; de l'autre le lecteur ne retrouve pas la démesure et l'exagération propre à cet illustrateur. Il en va de même pour les personnages.


Toujours au service des 3 nouvelles, Corben proscrit les morphologies qui l'ont rendu célèbre : homme bodybuildé au-delà du possible, femme à la poitrine énorme. Il dessine de jeunes adolescents filiformes pour être cohérent avec la rareté de la nourriture. La seule femme ayant un rôle important (Quilla June Holmes) dispose quand même d'une poitrine plantureuse qu'elle montre à Vic (et au lecteur en même temps) juste le temps d'une case. Il s'avère plus à l'aise pour définir des tenues vestimentaires variées et adaptées aux conditions de vie. Blood ressemble à un chien, sans disposer de postures ou de mouvements particulièrement élaborés. Les mises en pages reposent sagement sur des cases rectangulaires, ce qui n'empêche pas le découpage de chaque scène d'être très vivant.


Difficile pour un lecteur des années 2000 de déterminer ce qui a pu rendre ces histoires inoubliables auprès des lecteurs de 1969 (date de parution de la première nouvelle "A boy and his dog"). Il est certain que la menace de la guerre atomique était plus présente dans l'inconscient collectif, d'où une plus grande résonnance de ce monde dévasté. Lorsque le jeune Vic détruit une paisible communauté figée dans années 1950 et refusant d'évoluer, il est vraisemblable que ce thème parlait plus à des lecteurs vivant l'éclosion de la contre-culture, de l'été de l'amour, etc. Aujourd'hui, ces péripéties ne constituent plus une attaque virulente contre l'ordre établi ; elles sont devenues des stéréotypes de ce genre de récit, largement dépassées en termes d'acidité, de refus de l'establishment, de violence, de crudité, de noirceur, et même de nihilisme. Aussi, avec le passage du temps, ces 3 histoires semblent un peu trop sages et convenues, avec un niveau de provocation et de rébellion trop basique. Or la psychologie n'est pas fortement développée : Vic est juste une incarnation d'une jeunesse débarrassée d'une tutelle adulte, obligé de subvenir par lui-même à ses besoins. Blood fait figure de compagnon plutôt générique, de gentil "ami imaginaire". La narration est linéaire (sauf pour l'explication des capacités télépathiques de Blood). La violence n'est pas graphique. Les coups de théâtre sont rares et amenés en douceur.


Alors que le lecteur pouvait croire qu'il découvrirait une pépite rare et intense, il lit une histoire qui a perdu de son mordant et de sa virulence avec les années, sans que ce ne soit contrebalancé par des personnages forts ou une narration virtuose. Richard Corben évite de s'adonner à ses excès graphiques habituels pour ne pas phagocyter les histoires, et les illustrations deviennent trop sages. Il ne s'agit pas d'un ratage complet, mais ces histoires relèvent plus d'un témoignage d'une époque, que d'un récit classique ayant résisté à l'épreuve du temps.

Presence
5
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le 4 juil. 2020

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