Vous en êtes encore là vous ?, Wolinski, 1992
Le dessin de presse a une longue histoire, dont il est un peu difficile de remonter le torrent déchaîné, avec quelques rivières nauséabondes entre illustrations d’une actualité depuis longtemps dépassée et relents d’idéologies moisies.
Mais replonger dans un vieux bouquin de Reiser ou de Wolinski, mes maîtres, c’est du panard en pages. S’ils ont toujours gardé un œil sur les événements de leurs présents, ils préféraient se servir de ce contexte pour se moquer des états d’âmes d’une société plutôt que sur les dates, les nominations ou autres lois promulguées.
Certains de leurs recueils ou ouvrages sont fréquemment réedités, mais il ne faut pas avoir de peur de fouiller dans les cartons des brocanteurs, sur les étals des magasins d’occasion, on en trouve régulièrement pour des prix modiques. Il ne faut pas hésiter. Ça ne peut pas faire de mal. Nous sommes entre adultes curieux.
Pour « Vous en êtes encore là, vous ? », l’album reprend des illustrations et des gags en une planche datées d’entre 1991 et 1992, reprenant l’une de ses marottes fétiches, la sexualité des Français. Ce « vous en êtes encore là, vous ? » est d’ailleurs un des gags en fil rouge du film, adressé à un des personnages lors d’une activité sexuelle. Le gag n’est pas des plus évidents à comprendre car Wolinski s’amuse et emmêle ce qui pourrait être une prise de vue progressiste dans une illustration, à un commentaire conformiste dans une autre.
C’est que Wolinski, qui a un peu perdu de sa charge gauchiste dans ces années, se révèle moins politique qu’un observateur de la société, dont il s’amuse à caricaturer la libération sexuelle, avec un œil bienveillant, mais toujours piquant. Il l’avouait bien volontiers, il menait une vie de famille bien rangée avec sa femme Maryse, rencontrée en 1968. Certains de ses livres autobiographiques sont d’ailleurs éclairants sur les contradictions d’un homme dont le ton libre et sexuel a fait grincer bien des dents.
Parfois accusé d’être misogyne, cet album reflète pourtant son amour pour les femmes, dont il montre le désir acquis et revendicateur, ce qui pouvait offusquer certains. Quelques histoires longues montrent ainsi la vie épanouie d’un personnage nommé Elisa et de ses amants qui vivent ensemble, dans une communauté bien comprise, où les quelques jalousies ne révèlent qu’une chose, la frustration de devoir attendre un peu d’affection.
Wolinski joue avec les fantasmes, avec les paroles mais aussi les actes. En quelques traits, ronds et hâtifs, il dresse hommes et femmes, qu’il habille de quelques touches de couleurs au feutre ou à l’aquarelle. L’acte n’est pas simulé, s’il doit être montré il le sera dans le style de l’auteur, dans une débauche de vie et de plaisirs. Le plus souvent les actes les plus polémiques, les plus provocants ne seront que quelques mots, échangés, discutés ou combattus avec des personnages qui ne comprennent pas cet excès de vie (sexuelle).
Wolinski a parfois lui aussi été mal compris de sa vivant. Il a été tué lors des attentats de Charlie Hebdo par des andouilles fanatisées qui ne comprenaient pas cette liberté française du rire et de la vie. N’en faisons pas un martyre. Mais lisons-le, pour ses combats, ses engagements mais aussi son regard amusé sur la société qui l’entourait. Car s’il n’a pas vieilli c’est que son humour s’applique encore à certaines de nos hypocrisies, politiques, sexuelles ou sociétales.