Wally Doyle et le passe-mémoire par Sejy

Le petit ennui avec les ouvrages jeunesse, c'est justement la jeunesse. Maintes fois les auteurs confondent la cible en infantilisant à mort leurs œuvres. On peut tout à fait comprendre les caractères tout blanc, tout noir des histoires et des protagonistes, mais souvent, les gentils beaucoup trop cul cul, les méchants cabotins et très édulcorés viennent beurrer le récit d'une affligeante mièvrerie, à la limite de prendre les petits bouts pour des demeurés. Alors, quant à aller choper les adultes... Moi qui suis maintenant bien trop grand, on a plus de chance de m'appâter au Lagavulin qu'au Chamallow. C'est pourtant là qu'intervient le vrai talent, la magie de ce petit bouquin.

« Papa n'est plus là, maman est très vilaine, mais heureusement j'ai une copine renarde pour oublier mes malheurs et ma solitude ». Une petite fable fantaisiste, mais qui, grimée sous l'éloge de l'amitié et sans avoir l'air d'y toucher, cause cash, brut. D'une façon simplifiée, certes manichéenne mais avant tout contemporaine, on y évoque des choses sérieuses et dures, en particulier la violence des rapports humains (la claque de la page 40, je l'ai prise dans la figure au moins aussi fort que le héros). Le miracle, c'est qu'insidieusement l'histoire vient chercher les plus âgés en leur faisant retrouver une certaine candeur, quand elle laisse s'exprimer la puissante naïveté (je déteste le côté péjoratif de ce mot) de la narration. Sincère et si délicate. Comme enveloppée dans du tulle. J'ai adoré ce noir et blanc arien qui dégage tellement de douceur et permet d'apprécier nombre de détails malgré le format. Un trait fin qui libère une sensation de pureté. On y ressent les petits défauts, les soubresauts, une fragilité sans esbroufe qui conduit à la main et au plus près du dessinateur. C'est frais, c'est vrai.

Je ne m'attendais pas à être touché, je me suis fait connement surprendre. J'ai basculé lors d'une séquence très précise, quand le goupil, vivement affecté par une réflexion du petit garçon, s'enfuit et éclate en sanglots. Devant sa peine si spontanée, j'ironisais par un « Oh, c'est trop mignon !! » feignant d'ignorer cette boule qui, l'espace d'un instant, venait de me nouer la gorge. Comment ? Moi, un mâle, un velu au palpitant aguerri, je ne pouvais pas me laisser emporter par une scène au sentimentalisme aussi facile !? Eh oui mon gars tu t'es fais eu. Et tu ne devrais pas en avoir honte et même te réjouir. C'est si difficile de retomber en enfance. Pris ! Oublié l'accessoire, ces broderies complexes, ces fioritures morales (souvent masturbatoires) déguisées en maturité ! Je n'ai plus que des envies de Malabar et de Petit Prince, de jeter mon cartable au sol avant de courir comme un dératé dans la cour. Je ne veux pas de grand débat, pas de remue méninges, juste ces personnages attachants dont je me marre des gags et des répliques, dont je m'émeu des moments plus forts, plus durs, et sans réfléchir, laisser tous ces petits aiguillons me titiller le cœur. Ça fait du bien.

« J'ai dix ans, je sais que c'est pas vrai mais j'ai dix ans, laissez-moi rêver que j'ai dix ans... Si tu m'crois pas t'ar ta gueule à la récré ... » A. Souchon.
Sejy
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le 18 août 2011

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