Ce tome est le premier d'une nouvelle série se déroulant à Gotham, juste après les événements de Endgame où une partie de Gotham a été détruite, et Bruce Wayne est porté disparu. Il contient les épisodes 1 à 6, ainsi que les 8 pages de Sneak Peek, initialement parus en 2015, écrits par Lee Bermejo. La mise en page du Sneak Peek et des épisodes 1 à 3, 5 et 6 est réalisée par Rob Haynes. Les dessins et l'encrage de ces épisodes sont exécutés par Jorge Corona, et la mise en couleurs par Trish Mulvihill. L'épisode 4 a été réalisé (dessins, encrage, mise en couleurs) par James Harvey. Les couvertures sont l'œuvre de Lee Bermejo.


À Gotham, 4 adolescents portant les couleurs du costume de Robin communiquent par messagerie instantanée par le biais de leur téléphone portable et interviennent pour faire cesser des crimes de rue. Duke Thomas (16 ans) se retrouve toujours dans les bagarres, généralement déclenchées par d'autres qui lui en veulent. La docteure Leslie Thompkins le place dans une nouvelle famille d'accueil en espérant que cette fois-ci il se tiendra à carreau. Il sort immédiatement par la fenêtre pour aller arpenter les rues de Gotham à la recherche de ses parents qui ont disparu.


En suivant des personnes à la rue, il aboutit à une grande salle souterraine dans laquelle un homme est en train d'haranguer la foule de SDF qui l'écoutent comme hébétés. Avant d'être découvert, il apprend que cette communauté prépare un attentat à la bombe sous le service des archives de la ville. Il ne doit son salut qu'à l'intervention de 5 jeunes portant les couleurs de Robin (l'assistant adolescent de Batman). Ils arrivent à s'enfuir.


Lee Bermejo s'est d'abord fait connaître comme dessinateur à l'approche graphique hyperréaliste ayant illustré des histoires de Batman, de Lex Luthor et du Joker sur des scénarios de Brian Azzarello. Il a ensuite écrit et mis en image une histoire de Batman (Noël), puis le premier tome d'une série indépendante pour Vertigo (Suiciders). Il prend donc la tête d'une nouvelle série appartenant au genre déjà bien fourni des séries dérivées de Batman. La couverture annonce le programme : un groupe de jeunes qui portent les couleurs de Robin, avec le R bien mis en avant. Dès le prologue, il apparaît également que Lee Bermejo a décidé de mettre les nouvelles technologies en avant, en particulier celles liées au réseau. Le lecteur détecte tout de suite si le scénariste est familier de ces technologies, ou s'il s'en sert juste comme d'un gadget pour donner le change.


Ici le scénariste met en scène des utilisations qui évoquent facebook et twitter. Le lecteur sent que ces utilisations présentent un côté naturel. Il n'y a pas d'explications laborieuses, ou de mise en avant pour être sûr que les messages ne passent pas inaperçus. Dans l'épisode 4, un groupe d'adolescents fait tout pour se faire remarquer et attirer l'attention d'un superhéros afin d'obtenir des photographies inédites, immédiatement postées sur les réseaux sociaux, afin d'augmenter leur nombre de vues et d'abonnés. Les différents Robin se servent d'une messagerie instantanée pour une communication immédiate qui leur permet de coordonner leurs actions dans l'espace, même séparés, ainsi que pour renforcer leur communauté. Mieux encore, le scénariste fait en sorte que l'emploi de ces mêmes outils par un adulte soit moins naturel, plus pesant. Il prend soin aussi de montrer que quand l'action devient prépondérante, les messages s'arrêtent et les adolescents reviennent dans l'instant présent. Lee Bermejo réussit donc une utilisation naturelle des nouvelles technologies, en en montrant l'instantanéité, ainsi que la dimension participative.


Le scénariste réussit également à composer une équipe de 6 Robin d'horizon divers, une image naturelle de la diversité : Duke Thomas, Riko Sheridan, Daxton, Isabella Ortiz, Troy Walker et Anre Cirpiani. Au fil des épisodes, il montre que ces adolescents (âgés de 16 ou 17 ans) sont tous unis par la volonté d'apporter leur aide, de participer à la société de manière positive. Bermejo n'insiste pas lourdement sur l'origine sociale des uns ou des autres, il les montre juste rassemblés par cette envie partagée, par ce même objectif. À partir de là, la collaboration est une évidence, indépendamment de la couleur de peau ou de la classe sociale. Il esquisse la personnalité de chacun par petites touches qui aboutissent à des caractères différents, sans aller jusqu'à une étude de caractère.


L'action se déroulant à Gotham, la source d'inspiration de ces jeunes étant Robin (l'assistant adolescent de Batman), le scénariste ne peut faire autrement que d'établir un lien avec cette figure tutélaire. Cela commence par les variations de costume, ou plutôt d'accessoires vestimentaires, autour du costume de Robin. Dans ce premier tome, le scénariste établit que ses personnages ont réalisé leur costume avec les moyens du bord, c’est-à-dire qu'ils ont juste personnalisé des vêtements ordinaires, ce que montrent les images. Le lien avec Batman s'établit par le biais d'un adulte qui les contacte de manière très rigide avec la messagerie instantanée, ainsi que par son offre de gadgets et équipements divers et variés. À nouveau, Lee Bermejo installe les choses progressivement, montrant qu'il faut du temps à ses héros pour comprendre et accepter la situation, et que l'adulte se pose des questions sur son mode d'action.


Bien évidemment, ces Robin croisent le chemin de Batman. Il s'agit d'une période particulière, puisque ce n'est plus Bruce Wayne qui assure les fonctions de Batman et que son remplaçant temporaire a revêtu une armure pour compenser son manque de capacités physiques. La rencontre s'avère téléphonée, sans surprise, et expédiée en 2 pages. Il en va tout autrement de la rencontre de Riko Sheridan avec Batgirl (de Burnside, voir The Batgirl of Burnside). Elle se déroule tout du long de l'épisode 4, avec des dessins très pop de James Harvey, faisant apparaître que Riko ne se prend pas pour une superhéroïne et que Batgirl dispose déjà d'une expérience qu'elle est prête à partager. Enfin, le scénariste introduit un ennemi dont le lecteur suppose qu'il deviendra récurrent en lien direct avec la mythologie de Batman, pas forcément très original, mais venant renforcer la thématique principale du récit (à savoir comment apporter son aide quand on est adolescent).


À l'exception de l'épisode 4, la mise en images de ce récit est donc réalisé sur le principe d'un artiste réalisant le découpage en cases et réalisant de rapides esquisses, avec un autre artiste réalisant les dessins et l'encrage proprement dit. Un lecteur qui n'aurait pas prêté attention aux informations relatives à cette répartition des tâches ne pourrait pas le deviner en voyant les pages finies. Jorge Corona et Rob Haynes réalisent des pages très vivantes, transcrivant bien le mouvement. Comme la plupart de leurs collègues, ils connaissent les astuces pour s'économiser sur les décors, sans qu'ils ne disparaissent trop longtemps. Le pourcentage d'arrière-plans vides est dans la moyenne des comics de superhéros, mais ils bénéficient d'une mise en couleurs bien élaborée de Trish Mulvihill qui renforce l'ambiance et détourne l'attention du lecteur sur ces manques chroniques. Christine Duart Peter succède à Mulvihill au cours de l'épisode 5 et pour l'épisode 6, avec un savoir-faire un peu moindre, s'attachant plus à donner une couleur à chaque surface délimitée, ce qui diminue la dimension camouflage.


Corona et Haynes font bien attention à ne pas donner des corps des culturistes aux Robin, ce qui permet au lecteur de pouvoir croire qu'il s'agit d'adolescents (presque normaux). Corona représente des décors réalistes, transcrivant bien un environnement urbain. Il dispose de compétences de costumier qui assurent des tenues plausibles et adaptées aux différents personnages. Il représente des modèles de voitures qui existent. Tout cela participe à assurer un bon niveau d'immersion pour le lecteur. Il insiste un peu plus sur les traits des visages des personnages. Sans aller jusqu'à la caricature, cela donne plus de personnalité à chacun, plus d'expressivité et une forme un peu plus simplifiée qui aide à se projeter dans ces Robin plein d'entrain et de vie. De la même manière, il exagère un petit peu les capacités physiques des Robin, l'ampleur de leurs gestes, mais sans aller jusqu'aux postures stéréotypées des superhéros, sans les rendre capables d'acrobaties nécessitant le double de leur masse musculaire. En cela la narration visuelle est en phase avec l'intrigue, et elle donne réellement à voir des adolescents souhaitant bien faire, mais n'étant pas des superhéros. Cette approche visuelle fait toute la différence avec une série de Robin supplémentaires qui ne pourraient être que des ersatz de celui en fonction au moment de cette série.


Le lecteur se laisse donc emporter par cette série qui a sa propre identité, avec ces jeunes gens impliqués, participatifs et motivés. Il regrette un peu que le scénariste consacre 2 épisodes (5 & 6) à un combat contre un ennemi appartenant au rang des supercriminels. Il s'interroge également sur le bienfondé de la décision de l'adulte qui tire, pour partie seulement, les ficelles dans l'ombre. En effet, il met sciemment en danger des adolescents en leur donnant des renseignements pour qu'ils interviennent dans des situations à risque. Là encore Bermejo se montre assez fin. Ce n'est pas Batman qui fournit des informations et du matériel, c'est donc une personne moins expérimentée, dont le lecteur peut accepter qu'elle ne soit pas en capacité d'anticiper toutes les conséquences de ces interventions menées par les Robin. En outre, la narration expose bien le fait qu'il ne s'agit pas d'une bonne solution dans l'absolu, mais plutôt d'un choix relatif. Il vaut mieux canaliser pour partie ces adolescents en les aidant (en les guidant d'une certaine manière) plutôt qu'ils se mettent tout seuls dans une situation encore pire.


En voyant le titre de la série et la couverture, le lecteur est en droit de craindre l'intervention d'une génération spontanée de Robin, avec une couche d'action citoyenne des plus artificielles. À la lecture, il découvre un récit maitrisant bien l'usage des nouvelles technologies (à commencer par la messagerie instantanée), capable de faire croire à la détermination et à la ressource de ces adolescents, leur donnant une place légitime dans la mythologie de Gotham. Les dessins racontent l'histoire avec professionnalisme sans la dénaturer. Il s'agit d'une bonne introduction d'un concept présenté avec naturel, qui aurait gagné à des dessins par moment plus étoffés, et un ennemi de fond un peu plus étoffé.

Presence
7
Écrit par

Créée

le 1 janv. 2020

Critique lue 61 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 61 fois

D'autres avis sur We Are Robin Vol. 1: The Vigilante Business

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime