Si vous lisez cette BD, c'est pour une seule raison : Olivier Ledroit. Ce dessinateur est un génie de la grandiloquence. Si cet homme était architecte, ses toilettes auraient des allures de cathédrales. Ce tome 1 de Wika ne comporte pas de dessin purement fonctionnel, pas de page moins ambitieuse qu'une autre, pas de moment où Ledroit se calmerait pour mieux se déchaîner plus tard : il est au maximum tout du long. Impossible de faire son choix pour un fond d'écran, toutes les doubles pages font s'écraser la mâchoire au sol. Je savais déjà que le gaillard était très fort pour donner vie à ses personnages féminins et ses costumes, je me doutais qu'il serait aussi à l'aise pour présenter des paysages et de villes pharaoniques, mais je découvre enfin son sens de la mise en page. Et il faut voir comment il multiplie les détails et surcharge ses pages sans les rendre écœurantes ! On dirait que cet homme veut donner naissance à une mythologie avec toute la démesure que cela implique, comme lorsqu'on promeut sa religion avec les élans artistiques les plus fous pour témoigner de son caractère sacré. Si l'on est réceptif à cette fantasy aux goûts parfois assez kitschs et qui mélange tout et n'importe quoi (yeah, du steampunk ! et je m'en fous que ce soit incongru dans cet univers médiéval), c'est la meilleure BD au monde.


Passons au point secondaire : c'est quoi le prétexte pour voir Olivier Ledroit dessiner ? Alors on commence par une préface faite par l'elficologue Pierre Dubois dont je ne connais pas les travaux, et c'est déjà un mauvais départ. C'est très pompeux, c'est du gros name dropping des régions de l'histoire qu'on ne connaît pas encore mais qui sont glorifiés d'une manière ampoulée, et c'est aussi du gros léchage de popotin pour les auteurs qui ont donné naissance à cet "opéra". La première moitié de la préface est passée sous mes yeux mais j'oubliais chaque ligne au fur et à mesure tant ce style m'était insupportable, avant de réaliser que ce texte péteux était davantage là pour faire plaisir aux auteurs (et à Pierre Dubois) qu'au lecteur. Certains trouveront sans doute leur compte et verront là un texte magnifique, moi j'ai un énorme rejet. Oublions ça et lançons nous dans la vraie lecture.


Quand je vous parlais de dessin qui donne une aura mythologique aux personnages, c'est bien raccord avec le texte qui démarre en présentant la chute d'un roi comme s'il s'était agi d'un Dieu, avec la puissance surhumaine qu'on peut imaginer. On aura aussi une bataille servant à introduire d'autres personnages, et c'est aussi présenté comme un événement historique sacré. L'écriture est là encore très recherchée et me convenait bien mieux que pour la préface, assez délicate dès lors que le personnage qui parle s'y prête. C'est parfois un peu trop littéraire à mon goût quand un personnage bien jeune laisse exprimer sa rage d'une manière guère intuitive, mais c'est le style qui veut embellir tout ça (personnellement j'aurai balancé un "J'TE CHIE MES CHOUX DE BRUXELLES SUR LA GUEULE SALE CONNARD DE CUL DE MOUCHE COPROLITHIQUE !" mais l'auteur devait vouloir faire quelque chose de plus élégant... sauf quand les méchants à tête repoussante font péter l'argot). Donc j'aime plutôt bien cette plume qui change des écrits plus terre-à-terre auxquels on commence à s'habituer dans les BD de fantasy, là aussi il faut aimer la grandiloquence.


Quant à l'histoire de ce premier tome... disons qu'il sert d'écrin pour les dessins d'Olivier Ledroit. Quoi, c'est pas dans ce sens là qu'on fait d'habitude ? On s'en fiche, c'est beau et c'est tout ce qu'on en attend. Il faut dire ici que ce qu'on a eu pour le moment tient surtout de l'introduction, on n'a vu rien que du très banal : une voleuse qui ignore qu'elle est une princesse va être poursuivie par le méchant tyran qui a tué ses parents, elle devra s'enfuir et fera vraisemblablement une quête initiatique. Rien qui nous sorte des sentiers battus, mais malheureusement rien non plus qui nous rende ces personnages attachants en dehors de leur design. Nous avons par exemple 7 méchants qui correspondent chacun à un péché capital. Il y avait quelque chose de similaire dans Full Metal Alchemist, leurs caractères étaient présentés discrètement et ne les rendaient pas caricaturaux. Dans Wika on a une case inutile où on dit à l'avare d'enlever ses pattes de l'or, juste pour rappeler qu'il est avare. Et le goinfre rappelle sans arrêt qu'il a faim. On sent le gros clin d’œil lourdingue de l'auteur qui nous dit "T'as vu ? Ils respectent bien les péchés capitaux". Ouais, mais c'est tellement pas fin, tellement pas utile... Il y a aussi certains personnages que l'auteur peine à développer avec le peu de pages dont il dispose. On se retrouve avec une scène de sexe au dessin flamboyant, mais qui est ridicule dans son déroulement de film porno (faut savoir arrêter de faire du grandiose quand la situation ne s'y prête pas). Et qui n'est manifestement là que parce qu'il fallait caser cette scène à un moment, mais c'est affreusement mal amené. Je terminerai sur un point qui m'agace : toutes les femmes sont hyper-sexualisées. Alors de temps en temps c'est agréable pour moi, parce que voilà quoi, mais là c'est lourd. Wika saute en écartant inutilement les jambes la tête en bas comme le coup de pied hélicoptère de Chun-Li, les décolletés sont abusés et la représentante de la luxure est décrite comme une "chienne". L'érotisme c'est cool, le sexy c'est sympa, la nudité justifiée c'est ok (on peut comprendre que la louve-garou n'ait pas envie de déchirer ses vêtements à chaque transformation, et aussi qu'elle n'ait pas la même notion de pudeur que les humains, même si on sent bien le raisonnement intéressé), mais là l'équilibre est souvent rompu entre le beau et le beauf.


Vous aimez admirer des artbooks ? Vous allez rester pantois devant ce tome 1 de Wika qui est au dessin ce que la calligraphie est à l'écriture. Vous n'en retiendrez pour le moment pas son histoire expédiée vers la fin, ni les personnages qui ne sont guère creusés tant l'auteur préfère leur laisser une aura de mystère, vous aurez aussi de nombreux lieux communs. Mais feuilletez le un jour, et si le style vous convient vous aurez de quoi vous émerveiller. Si on achète une bande-dessinée au lieu de se prendre un livre ou un film pour le même prix, c'est bien qu'on accorde une grande importance au dessin.

thetchaff
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le 18 oct. 2016

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