Ce tome fait suite à Wolverine Classic 3 (épisodes 11 à 16, scénario de Peter David & dessins de John Buscema) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Une connaissance superficielle du personnage de Wolverine suffit pour lire cette histoire. Il comprend les épisodes 17 à 23, initialement parus en 1989/1990, écrits par Archie Goodwin, dessinés par John Byrne, encrés par Klaus Janson (à l'exception de l'épisode 23 encré par Byrne lui-même), et mis en couleurs par Glynis Oliver.


Quelque temps dans le passé, Logan nu pourchasse un phacochère qu'il éventre de ses griffes et qu'il commence à manger cru, la chair encore chaude de sa chaleur animale. Il se souvient comment le seigneur Shingen Yashida l'avait ravalé à l'état d'animal. Il ressent alors une légère pluie qui le ramène au calme, merci Ororo Munroe. Au temps présent, Logan se trouve à Madripoor sous son identité de Patch. Il vient de traverser la vitrine du bar Princess, violemment éjecté par Roughouse. Il repart à la baston et calme rapidement Roughouse qui perd conscience dans une ruelle adjacente. Logan repart se prendre un verre au bar, pendant qu'un mystérieux individu (Geist) achète Roughouse au général et chef de la police Nguyen Ngoc Coy. Le soir même ce dernier est reçu par le prince Baran qui lui explique qu'il serait de bon ton qu'il s'arrange pour que la cocaïne saisie la veille puisse quitter le local de preuves de la police et être rendue au transporteur initial pour qu'il la remmène d'où elle venait. Après le départ du général, le prince Baran reçoit Geist qui vient payer pour la libération de son chargement de drogue et avertir le prince des agissements de Patch.


Le lendemain, Logan se réveille dans le lit de Tyger Tiger, la propriétaire du bar Princess, mais aussi la responsable d'une des 2 familles du crime organisé sur l'île de Madripoor. Il va prendre l'air sur le balcon et son odorat surdéveloppé lui indique qu'un camion transportant un chargement de drogue passe dans la rue en-dessous, le même chargement qu'il avait fait saisir par la police. Il suit le camion jusqu'au port et assiste au transbordement des caisses et de Roughouse (ligoté et neutralisé) sur un petit esquif ralliant un navire de l'armée américaine, sous la supervision de Geist. À New York, dans le quartier d'Hell's Kitchen, Daredevil essaye de maîtriser Hammer Cody, un ancien boxeur professionnel, pris d'une crise de fureur paroxystique.


En 1988, Chris Claremont finit par céder à la pression des responsables éditoriaux de Marvel, et il accepte de lancer une série mensuelle dédiée à Wolverine, dont il écrit les 10 premiers épisodes, avant de laisser la place à Peter David, voir Wolverine Epic Collection: Madripoor Nights. Pour pouvoir disposer d'assez de marge de manœuvre à l'écart des X-Men, Claremont installe Logan dans une île fictive à la frontière de la Mer de Chine occidentale et de la Mer de Chine orientale : Madripoor. Il crée 2 supercriminels de toutes pièces, assez génériques : Roughouse & Bloodscream. Le ton général des aventures évoque une forme d'hommage à Casablanca (1942) de Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart. C'est l'époque où la série des X-Men est la locomotive des ventes de Marvel, et l'éditeur décide de capitaliser dessus en multipliant les séries dérivées. Claremont ne croît pas trop à une série portée uniquement par Wolverine, et le type d'aventures ne correspondant pas à ce qu'il souhaite écrire. C'est la surprise quand Marvel annonce que John Byrne va participer à la série, alors qu'il avait clairement annoncé qu'on ne l'y reprendrait plus, à tel point qu'il ajoute à sa signature de l'épisode 17 la mention : ne jamais dire jamais. Le scénario est signé par un auteur chevronné : Archie Goodwin. L'autre surprise réside dans le choix de l'encreur Klaus Janson dont le travail a évolué vers un rendu plus brut et grossier, dans une direction très différente des dessins de Byrne.


Effectivement en découvrant les planches, le lecteur constate que Klaus Janson plaque ses choix graphiques sur les crayonnés de John Byrne, au point de plus évoquer ses propres dessins. C'est un choix délibéré de Byrne qui souhaitait un rendu plus agressif, moins peaufiné. Le lecteur peut donc retrouver ces traits très courts et très secs qui délimitent certains contours ou qui viennent donner une texture abîmée ou usée aux accessoires et même à la peau des personnages. Il observe également les aplats de noir très irréguliers de Klaus Janson qui marquent une forme de désordre, d'absence de maîtrise des éléments matériels par les personnages. S'il le souhaite, le lecteur peut se livrer à une comparaison entre l'encrage de Jason et Celui de Byrne car ce dernier s'encre lui-même dans le dernier épisode. Il peut alors aussi relever le recours à de courts segments droits et rigides par Janson, alors que Byrne choisit systématiquement la courbe. Pourtant, le lecteur sent comme une dissonance visuelle dans l'encrage de Jason car pour certaines cases, il respecte les choix des crayonnés rapides (qualifiés de breakdowns dans les crédits) de Byrne, reproduisant ses traits avec fidélité, à commencer par les arrondis. Ainsi dans les 4 pages où il apparaît, Daredevil ressemble plus à sa version par Byrne, qu'à celle par Frank Miller dont Klaus Janson a régulièrement été l'encreur attitré, à commencer sur les épisodes de la série mensuelle de ce personnage.


Sous l'encrage très particulier de Klaus Janson, le lecteur retrouve la narration visuelle impeccable de John Byrne et son talent pour réaliser des images qui restent en mémoire. Parmi elles, le lecteur apprécie la férocité de Wolverine sur la couverture, le mouvement de ses griffes quand il éventre le pauvre phacochère, Wolverine en train de monter le long de la chaîne de l'ancre du vaisseau militaire, Nuke s'élançant à l'assaut avec une énorme mitrailleuse dans les bras, Tiger Shark regagnant l'eau de l'océan dans un saut d'une rare élégance, La Bandera s'élançant au combat, une bonne sœur décapitant Wolverine agenouillé dans la boue, etc. Comme à son habitude la narration visuelle de Byrne est impeccable le regard du lecteur passant d'une case à la suivante avec une grande fluidité. Il observe également que l'artiste a su reprendre les éléments visuels spécifiques de Madripoor, à commencer par un urbanisme de petite ville, avec des rues serrées et des constructions de quelques étages. Pour le coup, l'encrage de Janson apporte une texture qui rend les bâtiments moins factices et plus organiques. Le lecteur voit également que Byrne dose les informations visuelles des arrière-plans en fonction des séquences. Il prend le temps de décrire les bâtiments, les aménagements intérieurs, lors des séquences civiles ; par contre dès qu'il s'agit d'un affrontement physique de grande ampleur, les arrière-plans deviennent totalement vides. Du fait de l'époque de la parution de ces épisodes, Glynis Oliver applique encore des aplats unis de couleur, sans dégradé, sans possibilité de camaïeu, sans pouvoir atténuer cette absence flagrante de décor.


À l'évidence, Archie Godwin est lui aussi familier de la référence au film Casablanca, et il sait très bien en restituer l'esprit. Voilà Logan embarqué dans une histoire de trafic de drogue, d'expérimentations sur des cobayes humains pour créer un supersoldats, de de révolution dans un pays d'Amérique Centrale, d'égérie d'un peuple (La Bandera) et d'ennemis hauts en couleurs que ce soit le cyborg Geist ou le supercriminel Tigershark. Le scénariste fait même apparaître Hitler le temps d'une séquence dans le passé pour enfoncer le clou de cet esprit de serial movies, d'aventures un peu bon marché. Au cours du récit, le lecteur ne peut pas s'empêcher de remarquer que Goodwin s'acquitte des obligations de continuité avec l'univers partagé Marvel, que ce soit avec l'apparition de Storm le temps d'une planche, de Daredevil le temps d'une séquence, ou de Nuke le temps d'une case, ou encore la participation de Tigershark dans le cadre du crossover Acts of Vengeance. Il va même plus loin en évoquant à plusieurs reprises le statut un peu particulier des X-Men à cette époque : le monde entier les croit morts. Du coup, en apercevant Wolverine dans son costume, tout le monde pense qu'il s'agit d'un imposteur se faisant passer pour le héros décédé, et doutant que ce gugusse dispose des pouvoirs de l'original. Néanmoins le lecteur peut très bien lire ce récit en ignorant tout de ces éléments contextuels, Goodwin prenant bien soin que son récit reste intelligible pour le plus grand nombre de lecteurs.


L'intrigue peut parfois sembler un peu étirée, partant de la situation politique de Madripoor avec le prince Baran faisant tout pour conserver le fragile équilibre des pouvoirs (et sa position de chef du gouvernement), pour partir vers un trafic de supersoldat en Amérique Centrale, jusqu'à une menace trouvant son origine dans la guerre entre les Éternels et les Déviants, 2 races créées par Jack Kirby en 1976, lors de son retour chez Marvel. Le lecteur peut y voir la volonté d'Archie Goodwin de se conformer au genre superhéros, d'utiliser les conventions parfois infantiles propres à ce sous-genre, jusqu'à une peuplade d'indiens indigènes un peu trop nature pour être crédible. Dans le même temps, le lecteur se rend compte que Logan existe vraiment en tant que personnage, qu'il n'est pas juste un héros générique doté de griffes. S'il y prête attention, il se rend compte également que le scénariste parsème son récit de concepts ou de thèmes qui dépassent les stéréotypes de ce genre d'aventures. Comme le fait remarquer Logan, le principe du pouvoir de La Bandera (alimenté par ceux qui croient en sa cause) la hisse au niveau de l'allégorie.


Dans le même ordre d'idée, Archie Goodwin intègre à son récit un thème aussi classique que le prix payé par les civils en temps de guerre, lorsque le président fait détruire une mission religieuse à caractère hospitalier pour pouvoir arriver à ses fins. Il entremêle également des thèmes moins primaires comme la traque des criminels de guerre, les prises d'intérêt des États-Unis en Amérique Centrale avec la présence d'agents peu regardants sur les moyens (incarnés ici par Jack Bascomb). Il montre que les moyens utilisés par le président Felix Guillermo Caridad sont moralement abjects, et dans le même temps il devient un personnage tragique, pour qui la fin justifie les moyens dans le cadre de l'exercice du pouvoir, mais aussi de ses responsabilités. Son objectif est de parvenir à assoir sa nation sur une position de pouvoir lui permettant de sortir de la tutelle des États-Unis, et de l'exploitation des ressources de son pays par ce pays hégémonique qui en profite. Si le lecteur y est sensible, il peut aussi détecter une forme de sadisme discret avec l'obsession du rasage de Geist.


A priori, le lecteur vient pour une histoire d'un de ses mutants préférés, réalisée par des créateurs de renom. Il constate que l'encrage de Klaus Janson tire les dessins dans une direction notablement différente du rendu habituel de John Byrne, apportant une touche de noirceur cohérente avec le récit, et avec la nature violente du personnage. Byrne apporte tout son savoir-faire en termes de narration visuelle, et s'ingénie à conserver les caractéristiques visuelles de la série, que ce soit l'urbanisme de Madripoor ou l'apparence de Patch évoquant celle d'Indiana Jones. Archie Goodwin & John Byrne raconte une histoire qui utilise toutes les conventions classiques des superhéros, y compris quelques-unes des facilités inhérentes à ce sous-genre. Mais le scénariste incorpore également plusieurs thèmes adultes qui élèvent ce récit au-dessus du simple divertissement, sans parvenir totalement à gommer les rebondissements trop mécaniques.

Presence
8
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le 23 nov. 2019

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