Sans paroles et sans bruit, l’histoire d’un astronaute, de la naissance à la mort. Une vie incroyable, de son enfance dans l’Alaska sauvage où il rêvait d’aller dans l’espace, jusqu’au retour aux sources, en passant par Houston où il prit la route des étoiles, le temps de survoler la Terre. Une vie à la fois incroyable et simple, longue et courte, le temps d’un battement de paupière…


Dans sa forme extrêmement simple et pourtant très originale, « À Travers » nous raconte l’histoire d’un homme, au rythme d’une double page traitant d’un moment-clé à chacune des 69 années son existence. Sur la page de gauche, le sujet observant, sur celle de droite, l’objet observé, produisant une interaction ludique auquel le lecteur se laisse prendre. Des images fixes sans texte explicatif, à raison d’une par page, tels des clichés photographiques qui jalonnent sa vie et fixent pour l’éternité des moments particuliers.


Sans en avoir l’air, cet ouvrage raconte beaucoup de choses en se passant des mots, peut-être bien davantage que s’il avait comporté du texte. Avec « À Travers », c’est avant tout le regard et l’observation qui priment sur le discours, grâce à un graphisme épuré et efficace, limité aux trois couleurs primaires, ce qui produit quelque chose d’assez stylé.


Tom Haugomat sait suggérer avec subtilité les sentiments malgré son dessin minimaliste, par le biais des poses et des attitudes, notamment lorsqu’il décrit la relation du personnage central — qui tend à délaisser sa vie privée au profit de sa carrière —, avec sa femme, relation qui commence à battre de l’aile, jusqu’à la séparation annoncée. Sur la page de gauche, on voit l’homme, assis à sa table de travail, tourner légèrement la tête sur le côté. Ce qu’il voit, c’est sa femme de dos dans la cuisine, les sacs de course à ses pieds, s’appuyant des deux bras sur le plan de travail. Cette seule image suffit à traduire la lassitude d’une épouse fatiguée de vivre aux côtés d’un homme qui toute sa vie sera passionné par le monde qui l’entoure, tout ayant oublié au fil des années de prêter attention à sa compagne de route. Un dessin qui exprime à lui seul le tragique d’un amour fané.


Mais la véritable force d’« À Travers », c’est d’avoir su faire se rencontrer les opposés. Car « à travers » la vie de cet homme, c’est l’infiniment grand (sa passion en tant qu’astronaute) qui rejoint l’ « infiniment petit », tout au moins à une échelle visible pour l’œil humain (sa passion pour les insectes à la fin de sa vie), c’est la grande Histoire (le 11 septembre 2001) qui dialogue avec la petite histoire (les événements de sa vie, mariage, naissance, séparation…), c’est enfin l’espace qui s’associe au temps (le passé, le présent et le futur) dans une sorte de vertige métaphysique, où le lecteur réalise, par cette lecture si fluide et si rapide, combien la vie dans toute sa grandeur et sa richesse, reste brève et fragile. Un exercice de style tout à fait réussi qui évoquera dans sa forme un autre OVNI du neuvième art, le brillant « Ici » de Richard McGuire.

LaurentProudhon
8
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le 3 mai 2021

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