Ce tome fait suite à Avant le crépuscule (épisodes 1 à 5) qu'il faut absolument avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2014/2015, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Steve Epting, avec une mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser. Ces 2 tomes forment l'équivalent d'une saison complète avec une conclusion mais aussi une ouverture sur un contexte beaucoup plus large.


À Prague, en 1956, Velvet Templeton a commis un acte inattendu en pleine mission secrète. En 1973 (le temps présent du récit), elle revient à Londres pour prendre de court ses poursuivants. Elle a fini par mettre le doigt sur un point d'accroche dans le fonctionnement du service secret Arc-7. Vraisemblablement, parmi les anciens du service, un des 4 plus influents doit cacher des secrets qui ont abouti au meurtre qui a tout déclenché dans le premier tome : Lieutenant directeur Simonson, directeur Manning, Jean Bellanger, ou le sénateur Hillerman.


Pour faire émerger les secrets profondément enfouis dans le passé (peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale), Velvet Templeton doit trouver un individu ayant connu cette époque, et qui accepterait de parler : Damian Lake.


Quand le lecteur entame la lecture de cette deuxième moitié de la première saison de Velvet, il craint d'être un peu perdu (d'autant plus perdu que sa lecture du premier tome remonte à plusieurs semaines, voire plusieurs mois). Contre toute attente, il n'en est rien. Il suffit de se souvenir à peu près des grandes lignes de l'intrigue pour pouvoir saisir toutes les ramifications de cette deuxième partie. Brubaker effectue 2 ou 3 rappels en cours de route, sous la forme d'une phrase synthétique à chaque fois, et le lecteur peut profiter de toutes les nuances du récit (bel preuve des talents de scénariste de Brubaker).


Dès le premier tome, le lecteur avait bien compris que l'héroïne ne se retrouverait pas en position de victime ou d'objet du désir. C'est un très grand plaisir de voir que les auteurs n'ont pas changé leur fusil d'épaule : Velvet Templeton reste une femme forte, et ils respectent son âge, à savoir une petite quarantaine. Epting lui conserve une apparence en accord avec son âge, sans chercher à en faire une jeune femme accorte, une morphologie originale par rapport aux habitudes des comics.


Le premier tome constituait un hommage respectueux et habile des récits d'espionnage des années 1960/1970, en pleine guerre froide. À nouveau, les auteurs restent parfaitement dans le ton de ce type de récit, continuant à user avec intelligence et à propos des conventions du genre. Le lecteur retrouve donc la combinaison permettant de planer (comme celle du Nick Fury de Jim Steranko, voir S.H.I.E.L.D. by Jim Steranko), les espions dont les missions consistent souvent à assassiner des individus trop bavards, et cette ambiance paranoïaque générée par le comportement schizophrénique d'agents jouant double, voire triple jeu.


L'intrigue de Brubaker intègre ses manipulations enchâssées dans des machinations, sans jamais perdre le lecteur, sans qu'il ne soit obligé de revenir en arrière. Il utilise des cellules de pensées pour que le lecteur puisse suivre le cheminement de Velvet Templeton. Le scénariste a dosé avec soin ses capacités de combattante à main nue, de maniement d'armes à feu, et de stratège. Il s'agit bien d'une ancienne espionne qui était parmi les meilleures. L'accès à ses pensées permet de comprendre comment elle évalue une situation, comment elle détecte le détail qui lui donnera l'avantage lors de l'affrontement.


Brubaker a la présence d'esprit de montrer comment elle sait anticiper les mouvements des agents et des chefs de l'Arc-7, il a également l'intelligence de montrer qu'elle reste faillible et dépendante des circonstances. En face d'elle, tous les autres agents ne sont pas des idiots, et son principal poursuivant est lui aussi capable de faire fonctionner son cerveau, d'observer et d'en tirer des conclusions rapidement. Ainsi ce récit gagne une forte dimension ludique, le lecteur se demandant quel sera le prochain mouvement de Velvet Templeton, celui de son poursuivant, et celui des autres factions. Il essaye de deviner, d'anticiper, et il a le plaisir de se faire surprendre de manière intelligente.


Le lecteur apprécie à sa juste valeur que l'équipe de créateurs reste la même tout au long de cette première saison. Steve Epting reste aussi impliqué dans ces 5 épisodes là, que dans les 5 premiers. Le récit gagne beaucoup en consistance grâce à ses dessins. Pour commencer, il dessine toujours avec le même soin chaque endroit. Le lecteur éprouve vraiment l'impression de se trouver dans les rues de Londres en 1973, ou dans un lupanar luxueux, ou encore dans un bar en Yougoslavie, dans le parking souterrain d'un grand immeuble, attablé dans un train, ou dans la cour d'une ferme.


Epting trouve le juste milieu entre une approche prosaïque et descriptive, et des clins d'œil très discrets aux conventions du genre. De la même manière qu'Ed Brubaker insère les situations attendues dans ce genre de récit (trahison, découverte d'une conspiration, usage d'armes à feu, combat physique), l'artiste référence quelques classiques : l'héroïne nettoyant son arme à feu, sa tenue cuir et dentelles le temps d'une page, l'observation depuis un toit adossée à une cheminée, le train circulant sur un ouvrage d'art surplombant un paysage magnifique. Il a poursuivi son travail de recherche pour que ses décors et ses accessoires correspondent à l'époque (d'un modèle de voiture, à un type de tenue vestimentaire, sans oublier les képis des policiers français).


Le lecteur peut donc s'immerger dans un monde réaliste, à la qualité quasi photographique dans certaines cases. Cette approche détaillée et concrète apporte beaucoup de crédibilité aux différentes actions (le lecteur voit vraiment Velvet Templeton fouiller une armoire à tiroir pour y chercher des dossiers papier). Elle donne assez de substance aux combats physiques pour que les cases dépassent la suite de clichés, et transmettent une vraie sensation de lutte, de gaucherie dans certaines réactions, d'obstacles créés par les aménagements, etc. Ces personnes sont vraiment en train de lutter pour avoir le dessus, ce n'est pas un simple succédané d'une scène mille fois, ne bénéficiant que d'un investissement superficiel du dessinateur.


Steve Epting se montre tout aussi attentionné dans la représentation des personnages. Ce sont des individus aux morphologies normales, aux expressions mesurées, aux capacités physiques crédibles. Il prend soin de ne jamais transformer Velvet Templeton en un simple objet du désir, sans pour autant sacrifier sa sensualité, un bel équilibre délicat à atteindre. Les seconds rôles et les figurants disposent tous de silhouettes spécifiques, et de vêtements personnalisés.


Cette deuxième moitié de saison est aussi réussie que la première. Ed Brubaker et Steve Epting ont réalisé un bel hommage aux films d'espionnage des années 1970, en s'appropriant les codes narratifs de ce genre, et en les utilisant à bon escient pour leur récit. Ils ont récréé de manière authentique l'époque correspondante, en utilisant une narration moderne. Leur narration est admirablement rehaussée par la mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser, à la fois en retenue et très personnelle.


Le lecteur peut éventuellement reprocher à Ed Brubaker d'avoir permis à Velvet Templeton d'accorder une trop grande confiance à Damian Lake (un peu surprenant au regard de la perspicacité de Templeton, mais cette erreur la rend plus humaine), et à Steve Epting d'avoir permis au même Damian Lake d'avoir conservé cette coupe de cheveux un peu trop caractéristique qui le rend trop repérable. Mais c'est vraiment chercher la petite bête.


Cette première saison de Velvet ne se contente pas de faire revivre un genre de manière passéiste. Les auteurs savent en utiliser les conventions de ce genre, pour en faire ressortir ce qu'il avait et ce qu'il a encore de révélateur : la question de la confiance dans le système, la défiance d'un individu par rapport au système dans lequel il se trouve et auquel il participe, le goût de l'être humain pour croire en un complot qui expliquerait tout. Le lecteur croise les doigts pour qu'Ed Brubaker et Steve Epting réalisent une deuxième saison.

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le 17 janv. 2020

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