Bakuman
7.2
Bakuman

Manga de Tsugumi Ōba et Takeshi Obata (2008)

La fierté de l'argent et la honte de l'art (Coup de gueule !)

Je n'ai pas énormément de choses à dire sur ce manga, il est fondamentalement inintéressant. Les dessins sont relativement réussis, on retrouve cependant régulièrement une certaine pauvreté des décors, typique de beaucoup de shonen au rythme de publication intense. La structure narrative est classique au possible et les personnages creux. Cependant ce manga maitrise son format, et finalement que ce soient les personnages, le scénario, le rythme ou les dessins, tout semble correspondre au manga basique qui peut trouver un petit public. Le genre d'oeuvre que je teste donc et abandonne rapidement sans pour autant prendre la peine d'en écrire une critique.


Pourtant, tous les dialogues et le scénario sont soutenus par un principe parmi les plus abjects qui soient, et pourtant revendiqué. Un principe qui devrait selon moi hérisser le poil et heurter la sensibilité de tout amateur de manga et qui pourtant ne semble gêner personne. Ce principe, c'est l'éloge de la popularité et le mépris de l'art. Je ne comprends d'ailleurs pas comment un auteur peut aussi fièrement présenter et revendiquer un métier, mangaka, alors qu'il le présente d'une manière aussi méprisable. En effet Bakuman est un succès parce qu'il est censé nous livrer le processus de création d'un manga et l'envers du décors de toute l'industrie qu'il y a autour. Que ce soit pour faire l'éloge de l'acte artistique ou pour critiquer le poids des impératifs de l'industrie, plusieurs perspectives sur ce thème, cet univers, se révéleraient très intéressant.
Mais l'auteur d'une manière totalement incompréhensible nous présente une industrie nauséabonde, n'ayant qu'un unique intérêt l'argent et prêt pour en accumuler toujours plus à sacrifier ses employés et toute ambition artistique. Présenté ainsi, ce manga semble terriblement intéressant, un bon moyen de révéler les dessous non-reluisant d'une industrie dont on apprécie régulièrement le résultat. Enfin, un témoignage direct, bien que narratif, permettant aux masses ignorantes de ces détails de prendre du recul sur les loisirs qu'ils consomment à foison et innocemment. SAUF que, tout dans cette oeuvre fait finalement l'éloge de cette idéologie pour promouvoir l'ère du divertissement jetable et vendable à tout prix !


Qu'est-ce qu'un bon manga selon Bakuman, mieux encore un bon mangaka ? Un créateurs qui peut dessiner vite beaucoup de planches de qualité égale, mais pas d'une grande qualité. Evitons les détails, l'efficacité à tout prix. Mais ce n'est pas les qualités des dessins qui sont les plus rabaissées dans cette idéologie. Un bon scénario est donc un scénario, creux, qui reprend les structures classiques, qui ne cherche aucunement à approfondir ces personnages, ni son intrigue, et pire encore qui se doit de ne rien dire d'intéressant, de ne rien inculquer. Si vous faites un manga sur un sport, vous devez absolument mal le connaitre et le présenter. Il faut être vague, au risque de déplaire au lecteur, ne montrer jamais aucune connaissance, aucun intérêt si ce n'est celui du divertissement instantané ! Ne soyez jamais réaliste ou intéressant, c'est ennuyeux ! Si votre scénario est profond ou intéressant, il va être chiant ! Si vous avez des dialogues un peu approfondis, c'est un crime ! Vous êtes emmerdants ! Le héros du roman voulant devenir mangaka adore les manga, il y a beaucoup réfléchi, il y a des sujets qui l'intéressent, il fait des recherches sur ces sujets et a de grandes ambitions, il faudra lui rabattre son caquet pour qu'il comprennent qu'on est pas là pour faire des bons manga, simplement des manga qui se publient à un rythme soutenu et qui auront du succès. Et ils n'auront du succès que s'il y a derrière beaucoup de travail et aucune réflexion, aucun ambition, aucune volonté de faire passer un message, une vision du monde ou même des sentiments.
Si ce manga est réellement nauséabond, ce n'est pas parce qu'il nous présente de manière satirique la réalité de l'industrie mais parce qu'il en fait véritablement l'éloge. Malheureusement, j'ai vu sur internet de plus en plus de gens soutenant ces idées, des prétendus amateurs de manga ou plutôt d'animes (mais les deux univers restent proches) être fier de mépriser un média qui est leur première source de divertissement. "C'est juste pour divertir, y a que les imbéciles, les gamins et les incultes pour croire que ça peut-être intéressant ! Ça reste des dessins-animés pour enfants. " A partir de ce constat, les animes qui ont droit aux éloges, sont ceux vains et sans ambitions, s'amusant à partir dans des délires toujours plus absurdes, dans des incohérences de plus en plus assumées, de plus en plus revendiquées, ou se livrant à un vain jeu d'auto-référence, de fan-service qu'il soit sexuel ou non. Les incohérences scénaristiques, les utilisations excessives de clichés toujours plus grossiers, toutes les aberrations deviennent alors selon eux les véritables qualités de ce type d'oeuvre. Au contraire tout oeuvre se voulant ambitieuse mais accessible, apparait comme une oeuvre prétentieuse, creuse et faussement intelligente. Le grand jeu devient alors non plus de chercher l'intérêt que pourrait avoir l'oeuvre, mais de tout faire pour la décrédibiliser. Et tout cela avec la facilité que permet toujours la mauvaise foi et la mesquinerie.


Cette idéologie nauséabonde qui se développe ainsi déjà dans les communautés numériques de fan de "japanimation" trouve avec Bakuman son écho, revendiqué de la part d'un auteur même. Comment celui-ci peut-il argumenter comme il le fait dans ce manga en faveur de la perte d'intégrité de l'artiste qui se doit de toujours céder face aux directives financières et marketings, nouveaux dieux devant lesquels il faudrait se prosterner.


A partir du même constat, on peut pourtant faire pleine de chose. Ecrire la satire d'un capitalisme toujours plus prégnant jusque dans les arts ? Raconter la lutte d'un artiste qui doit réussir à conjuguer ses propres ambitions à ses directives, garder une part d'intégrité, une part de sa volonté artistique, malgré une réalité contraignante ? Il est même possible de soutenir cette industrie et de la présenter sous un jour plus heureux. Il faudrait alors montrer que la construction d'un artiste doit passer d'abord par la maitrise des bases, que vouloir livrer un récit intéressant ne doit pas être au détriment du divertissement au risque de finalement ne pas réussir à intéresser. On pourrait même aussi alors montrer que si certaines recettes existent, et marchent, c'est parce qu'elles sont efficaces et permettent finalement quand elles sont maitriser d'avoir des ambitions qu'on a les moyens d'assouvir. Qu'un auteur qui pense trop à son récit, à ce qu'il veut faire, au point d'oublier de se mettre à la place de son lecteur, ne livre finalement qu'une oeuvre qui a autant d'intérêt en tant que projet qu'en tant qu'oeuvre réelle. Soutenir de cette manière l'industrie se révélerait à la fois audacieux et relativement subtil, remettant à sa place les snobs, tout en promouvant une définition de l'art populaire. Revenant étrangement à cette conception française du XVIIème siècle, pour laquelle plaire et instruire, ne devait finalement n'être qu'une seule et même chose. Au-delà d'une double vocation, c'est l'éloge d'une subtile synergie positive élevant l'homme de manière inattendu mais diantrement efficace.
Critique attendue, éloge paradoxale, quelque soit l'avis que l'on porte sur sur cette industrie, il y avait moyens de proposer alors un manga intéressant et surtout cohérent. Mais ce n'est pas le cas de Bakuman qui décidément préfère se tirer dans le pied, tendant fièrement et volontairement le bâton pour se faire battre. Ce qui m'effraie le plus dans tout cela, ce n'est pas tant qu'une oeuvre ratée, puisse se révéler incohérente. C'est que son succès prouve bien, que bon nombre de personnes ont tellement assimilé l'idée qu'il n'y a rien de mal à bouffer de la merde et à aimer ça, qu'il en viennent à le revendiquer. Bien entendu que les manga peuvent aussi facilement sacrifier leur intégrité, s'ils n'ont même plus la fierté de cacher qu'ils font de la merde. On avait au moins avant la décence de prétendre que ce n'était pas de la merde.
Vive ce nouveau monde où il est si bon de revendiquer "Je suis con et fier de l'être, pour rien au monde je ne serai autrement, parce que je gagne de l'argent !"
Cette idéologie nauséabonde, ces principes abjects ne sont pas anodins dans Bakuman, ils sont véritablement le centre même de l'oeuvre. Si la maitrise du média et les dessins n'étaient pas corrects, je ne pourrais mettre que 1/10 à cette oeuvre.


En point de comparaison, un autre manga est aujourd'hui publié sur le même thème "Rin". Il présente l'industrie du manga de manière similaire, et manque tout autant de recul sur celle-ci. A nouveau, on ne perçoit finalement nulle satire des défauts pourtant exhibés. Cependant, j'arrive à apprécier ce manga, car il se révèle beaucoup plus innocent pour plusieurs raisons. Il ne semble pas avoir conscience de l'horreur de ce qu'il présente et n'en fait pas autant l'éloge. La première raison est la romance qui parcourt ce manga et semble centrale. L'idéologie passe quasiment au second plan face à cette romance, saupoudré de fantastique et un mystère scénaristique à résoudre. Et finalement, on peut au moins apprécier ses aspects là du manga, malgré là encore une idéologie sous-jacente douteuse mais secondaire. La rivalité du héros se fait plus prégnante et primordial, comme dans un shonen classique mais cohérent. Là, où finalement dans Bakuman, la rivalité des deux personnages ne faisait que nous rappeler l'idéologie nauséabonde dans l'oeuvre. Les personnages de Rin peuvent être considérés comme relativement clichés, de par l'enthousiasme naïf qui les porte, mais ils en deviennent sympathiques. Ceux de Bakuman malheureusement ne sont que creux et n'existent finalement que comme le reflet de ce que la société veut d'eux malgré de prétendus ambitions personnelles, celles-ci ne sont jamais que le reflet du regard d'autrui.


Pour terminer rapidement, en grand lecteurs de bd, j'ai pu constaté qu'il existait des oeuvres qui avait des ambitions bien plus élevé que le méprisable cahier des charges qu'on nous présente. Influencé par la conception du XVIIème, je crois aussi que les contraintes matérielles, éditoriales, traditionnelles, se révèlent pour les plus grands artistes des catalyseurs de leur talent. Encore faut-il pour cela, que tout en s'intégrant au système, il n'en oublie pas leurs plus hautes ambitions. Je crains que l'idéologie de Bakuman puisse à force de ridiculiser ses ambitions venir miner cette réalité. Espérons donc qu'elle ne se développe pas davantage et que je sois quelque peu paranoïaque.

Vyty
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le 11 nov. 2015

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Vy Ty

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