Barbara
6.9
Barbara

Manga de Osamu Tezuka (1973)

Osamu TEZUKA a su créer des histoires sur des thèmes atypiques comme le théâtre avec Nanairo Inko, L'Ara aux sept couleurs ou encore la musique avec Ludwig B. Cette fois avec Barbara, le maître s’attaque à l’Art et le monde qui l’entoure.


De l’antiquité à nos jours l’art perdure. Engagé, divertissant, ou même abstrait, il se concrétise sous diverses formes. Il évolue selon l’époque, au gré de l’inspiration et des influences de ses créateurs et peut être source de gloire ou de déclin. C’est ce que nous allons découvrir au travers de l’histoire de Yôsuke et Barbara.


Comme à son habitude TEZUKA ne perd pas de temps dans une introduction longue. En quelques pages il nous plonge dans un Tokyo des années 70 à l’atmosphère pesante. « La mégalopole avale les humains par millions, puis les rejette, à l’image de ces déjections : Barbara » c’est sur cette phrase choc que le manga démarre. De par ses propos dramatiques, les quelques scènes de nus ou encore la visite de certains clubs particuliers, l’oeuvre se destinera donc à un public adulte.


Barbara est présentée comme une jeune femme errant dans les rues, habillée tel un souillon alcoolique rejetée par la société. Récitant un poème de Verlaine, elle retient l’attention de Yôsuke Mikura, homme de lettres et auteur de romans à succès, qui la ramènera chez lui sans trop savoir pourquoi. Avec un tempérament sans gène, elle s’inscrutera et se comportera en bon parasite. De son côté Yôsuke doit cacher ses pulsions qui peuvent influencer sa carrière et devient victime d’hallucinations.


Entre les deux personnages s’installe une relation platonique malsaine, à chaque dispute Barbara se fera éjecter illico. Toutefois Yôsuke regrettera amèrement ses gestes, perdant l’inspiration à chaque séparation, elle est sa muse et sa présence revigore sa créativité. Il en est accro à en perdre la raison et doit fouiller la ville pour la retrouver.


Dans la première partie de la série, le manga ne semble pas afficher de direction claire, celui-ci a été dessiné en 1973 et 1974 entre Ayako et Shumari comme une pause entre ces deux gros titres. Sous un format épisodique, l’intention de l’auteur est de décrire « l’histoire d’un homme partagé entre une esthétique décadente et la folie ». Il installe un contexte à la frontière du fantastique qui se mélange aux hallucinations de Yôsuke, pour exemple ce dernier pensant draguer des femmes se rendra compte qu’il s’apprête à conclure avec un chien ou un mannequin en bois. L’auteur s’amuse à perdre le lecteur, flouttant régulièrement la fine ligne qui sépare réalité et fiction.


Le récit prend un tournant majeur lors de l’apparition de Mnémosyne la mère de Barbara (déesse de la mythologie grecque qui a ici l’apparence de la Vénus de Willendorf). Dès son apparition le récit change de ton, passant d’histoires mystérieuses à ésotériques voir occultes. L’auteur se fera un plaisir d’aborder différents rites mystiques comme la magie vaudoue, toujours en lien avec l’énigmatique Barbara…


Le mangaka a su, en ajoutant ce coté obscur, rendre l’oeuvre surréaliste faisant s’interroger le lecteur. Barbara est-elle une muse ou une sorcière qui apporte le bonheur ? Les rites et autres croyances magiques sont-ils réels ou source du délire de Yôsuke ? L’envie irrépressible de retrouver Barbara vient-elle d’un manque d’amour ou d’un besoin irrépressible d’assouvir sa créativité ? Autant de questions auxquels le récit répondra.


Comme TEZUKA l’indique dans un texte en fin de volume, « Barbara serait une allégorie de l’Art ». Le long voyage de Yôsuke sera l’illustration de la création artistique et des tourments qu’un artiste en proie au manque de créativité peut traverser, se raccrochant mordicus à sa source d’inspiration.


Au fil du récit l’auteur fera de nombreuses références et citations on retrouvera alors Verlaine, Baudelaire ou Hemingway parsemés avec une quinzaine d’autres noms dans l’histoire. Ces citations montrent à quel point le mangaka est friand des arts et souhaite le partager au travers de son oeuvre. D’ailleurs le récit lui-même est inspiré de l’opéra Les contes d’hoffmann d’Offenbach de 1881.


L’auteur conclura sur cette question : Comment juger une oeuvre ? « Finalement, la valeur d’une oeuvre dépend du lieu où elle est présentée et des efforts déployés pour attirer l’attention sur elle ». Une simple « croûte » pour certains sera considérée comme une toile de maître pour d’autres. Ainsi l’auteur remet en question le jugement d’une oeuvre, le succès, la popularité et la notoriété d’un artiste.


Le mangaka avait déjà abordé le sujet de la beauté avec le titre Alabaster. Dans Barbara, il réussit à apporter sa vision du monde artistique tout en ajoutant une part de mystère et de magie pour donner un récit dense et atypique. De plus l’auteur réussit à terminer son récit avec une fin parfaitement appropriée.


Dessin :
Le trait de l’auteur se veut réaliste au travers des décors et des émotions des personnages, pour exemple quand Yôsuke sera en proie aux hallucinations, le dessin se déformera avec un trait vacillant et tordu. Les perspectives changent et l’auteur joue avec les angles de vues et le découpage pour mieux représenter ses tiraillements intérieurs. Pour le reste c’est le dessin habituel de fin de carrière qui paraîtra vintage pour le lecteur d’aujourd’hui. Il est dommage que certaines proportions des personnages soit par moment bâclées.


Édition :
Ce sont les Éditions Delcourt sous le label Akata qui publie pour la première fois Barbara en 2005. L’édition se veut classique dans un format standard (env. 13x18cm). Le papier et l’impression sont de bonne qualité et résistent plutôt bien avec le temps. Les couvertures sont amovibles et restent dans la charte graphique de leur collection TEZUKA mais il faut avouer que le dessin choisi n’est pas très vendeur. Dans cette édition les onomatopées sont traduites et on y trouve la postface de l’auteur de 1982 ainsi que des clefs de compréhension utiles. C’est une excellente édition.


Pour les 90 ans de la commémoration de la naissance de TEZUKA Delcourt/Tonkam, profile de cette occasion pour rééditer l’oeuvre dans un volume unique cartonnée et grand format (env. 16x21cm). La jaquette est amovible, le tout accompagné d’un signet. Celui-ci reprend la traduction de l’époque avec quelques ajustements de lettrage. La nouvelle couverture aborde une spirale illustrant parfaitement le récit dans une charte graphique bien plus inspirée. C’est une édition ultime de qualité à se procurer absolument !


Conclusion :
Dans Barbara TEZUKA réussi en mettre en place une histoire profonde, occulte et traitant en toile de fond de l’Art, des artistes et de leurs inspirations. Il inclut de nombreux sous-thèmes dans un récit passionnant réalisé entre deux oeuvres importantes.

darkjuju
9
Écrit par

Créée

le 4 déc. 2020

Critique lue 309 fois

darkjuju

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