Dans cet opus, Cothias a la difficile tâche de raconter la tentative mongole d’invasion du Japon, tout en faisant progresser l’action du point de vue de ses personnages. La série devient plus nettement de la BD historique, au sens d’Alexandre Dumas, alors que les périodes de paix, narrées antérieurement, pouvaient donner l’impression d’une certaine intemporalité, nous décrivant un Japon « éternel ».

Ici, l’urgence militaire asservit aisément les aventures des héros à la rigueur de la chronologie réelle. Tchen Qin, Kozo-Tête Noire et Kaï, vu leur statut de samouraïs, sont en première ligne pour faire face à l’invasion.

De fait, l’action commence par l’échec des tentatives de négociations entre l’Empereur japonais et les Mongols (planches 1 et 2), et l’on peut suivre à la trace la chronologie des événements réels de l’affrontement, narrés par tel ou tel personnage, selon les opportunités de l’intrigue et du découpage : on est bien en 1281 (note en bas de la planche 1), puisque Shikanoshima et Kyûshû sont attaquées par les Mongols (planche 4). L’offensive mongole sur l’île d’Iki est détaillée planche 13. Concentration de forces peu nombreuses sur l’île d’Hakata (planches 25-26).

Dans cette bousculade générale, Cothias poursuit son projet, qui est de donner à voir la civilisation et les décors du Japon de cette fin de XIIIe siècle : la résidence de l’Empereur à Kyoto nous est servie en hors-d’œuvre, avec ses multiples pavillons autour d’un pavillon central à cinq toits superposés (planches 1 et 3). Thierry Gioux, au dessin dense, mais moins lumineux que celui d’Adamov, met un soin particulier à fignoler les détails des décors intérieurs, des armures (planches 2 et 3, 5, 17); la faiblesse du pouvoir de l’Empereur face au Shôgun et au bakufu (gouvernement militaire) de Kamakura est rapidement esquissée en une planche (3) ; navires japonais (planches 11, 15). Superbe jardin sec ratissé planche 15. Bain collectif planche 19. Seppuku planches 26 et 27.

Les problèmes d’identité de Tchen Qin, qui se sous-estime, se superposent maintenant au choix entre deux femmes : Mara, mère de son enfant, qui a sauvé Tchen Qin, et qui désire un compagnon pacifique (ce qui vaut des tiraillements au sein du couple, planche 5), et Pimiko, la garce entre toutes, qui se proclame samouraï elle-même (planche 8) et pousse Tchen Qin sur le sentier de la guerre (planche 34). En armure sur un bateau de guerre, Tchen Qin est bien obligé de se reconnaître comme samouraï, mais non sans réticences (planche 10).

Kozo-Tête Noire continue ses forfaits, histoire de le faire bien haïr par le lecteur : chargé de combattre les Mongols, il se hâte de massacrer des paysans... japonais (planche 4) et de valeureux samouraïs... japonais (planches 32 à 34).

Pimiko, dont le nez busqué, le sourire perfide et carnassier, et le maquillage outrancier, l’ont fait passer en peu de temps du rôle de petite pute sympa ballottée par les événements à celui de méchante en chef, couche maintenant avec Tête Noire (planche 7) pour des motifs purement tactiques. Aucune appétence de cœur dans les enlacements de ces deux monstres (planches 10 et 11). Son amour-passion envers Tchen Qin frise la folie, et on appréciera le délire mystique qui fait proférer à Pimiko la prétention d’accomplir son amour pour Tchen Qin au-delà de la mort et du Nirvana (planche 23). Pas mal pour une salope vouée au mal, qui ne risque donc guère de rejoindre Tchen Qin dans de hautes sphères spirituelles dans l’au-delà...

Kaï s’enracine dans son rôle de looser : cocu, conscient de l’être, et consentant (planches 6, 23 et 24), il se rabat avec un certain stoïcisme sur le code d’honneur qui prescrit au samouraï son premier devoir : la guerre (planche 22).

Nichiren (qui ne ressemble guère ici aux portraits que nous en a laissés la peinture japonaise) était, dans la réalité, opposé aux agissements du gouvernement shôgunal pour des raisons essentiellement religieuses, ce qui lui avait valu plusieurs exils, dont l’un sur l’île Sado (théâtre majeur des premiers albums de la série). Cothias, en fait, ne sait pas trop que faire de Nichiren (surtout que le côté religieux-spirituel, ce n’est pas trop le truc de Cothias), mais il lui semblait impossible de faire l’économie d’un personnage aussi prestigieux si bien placé dans l’époque qu’il avait choisie comme cadre pour l’action de la série. Aussi lui donne-t-il une attitude prophétique (planches 15 et 46), prédisant contre toute vraisemblance la défaite des Mongols. Il continue consciencieusement à se faire traiter de « Vieux Bouc » et de « Vieux Singe », ce qui ne correspond guère aux titres honorifiques qui lui étaient conférés, même de son vivant. Cothias ne peut pas sentir la religion et les religieux, c’est clair.

Evidemment, il faut bien assumer les choix scénaristiques : par la force des choses, Tchen Qin et Kaï se trouvent absolument à la merci de Kozo-Tête Noire, leur supérieur hiérarchique. Tchen Qin est sur le point de se faire décapiter... et c’est Pimiko qui obtient qu’on l’épargne (tiens ? l’union dans l’au-delà bouddhiste ne lui agrée déjà plus ?). (Planche 29).

La longue séquence de défis aux troupes mongoles (planches 30 à 42) est un prétexte pour Cothias pour amener dans la série le personnage de Marco Polo, qui figure dans les troupes mongoles ! On n’a aucun indice du fait que Marco Polo ait suivi de si près l’invasion mongole du Japon, mais il faut bien violenter un peu les faits pour introduire quelques célébrités dans l’intrigue...

L’album tire son titre des atrocités commises lors de la guerre (belles images sanglantes ou menaçantes planches 16 à 18). Le respect de l’histoire réelle par Cothias est globalement satisfaisant, et le déchirement de Tchen Qin entre la guerre, la maman (Mara) et la putain (Pimiko) en fait un personnage complexe, pas forcément toujours vraisemblable d’ailleurs.
khorsabad
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le 28 août 2013

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