Officiellement, la Guerre de Sécession était destinée à libérer les esclaves noirs du Sud. Mais il y avait aussi des Noirs dans l'armée nordiste, souvent cantonnés à des tâches subalternes ou franchement ingrates. Il fallait bien que les auteurs des "Tuniques bleues" abordent un jour ce fait méconnu (cf. le film "Glory" d'Edward Zwick). En résulte un des albums les plus grinçants de la série, s'ouvrant et se refermant sur un champ de bataille jonché de cadavres.


Cauvin ne s'est jamais gêné pour épingler les officiers de l'état-major, notamment le très présentable général Alexander, qui envoient au casse-pipe leurs hommes, avec une bonne conscience inaltérable ! Mais ici leur cynisme atteint son comble lorsqu'ils provoquent un début de guerre civile (une de plus !) en déclenchant un soulèvement des Noirs du Sud – dont les victimes seront essentiellement des civils-, puis, lorsque la situation leur échappe, quand ils constituent une milice (constituée de soldats nordistes condamnés) destinée à éliminer les insurgés, vêtue d'uniformes sudistes histoire d'attirer opprobre sur leurs ennemis ! Et menée par une authentique crapule, raciste et brutale, qui a au moins le mérite d'avoir la franchise de ses opinions ! On pense bien sûr aux "Douze salopards" pour cette manière de laisser le sale boulot à des soldats jugés irrécupérables. 
Quant au personnage éponyme, le soldat noir Black Face, on ne connaîtra jamais son vrai nom. Parce qu'il est symbolique. Après une vie de misère et d'humiliations, il est comme ces Indiens qui ont appris qu'on ne peut pas faire confiance à l'homme blanc. Il se révolte et tente de prendre en main son destin, et on ne va pas le laisser faire. Fier et violent, il ira jusqu'au bout de cette lutte pour reconquérir sa dignité d'homme libre, ne reniera rien et apparaîtra comme un personnage à la fois ambigu et tragique, puisque – fait exceptionnel dans la série pour un personnage de 1er plan – il meurt à la fin (les armes à la main), même si les auteurs procèdent à une ellipse.
Même s'ils ont donc recours à l'ellipse et restent dans les limites d'une B.D. destinée aux enfants, Cauvin et Lambil jalonnent leur histoire d'une violence qui laisse des traces amères, comme ce passage où les esclaves, auxquels va naturellement notre sympathie, se livrent au saccage et au pillage d'une petite ville du Sud. On ne voit que trois civils maltraités, mais cela suffit à faire passer le message. Le carnage final dans une église en ruines, entre faux Sudistes et esclaves révoltés, a même une note franchement nihiliste. Témoins impuissants de ces manipulations, complices malgré eux, nos deux héros, Chesterfield, le patriote bas du front mais généreux, et Blutch, l'individualiste lucide, tenteront tant bien que mal de sauver leur honneur et manqueront y laisser la vie à plusieurs reprises, tour à tour menacés par les Sudistes, par les Noirs et par leur propre camp ! Ils se chamaillent moins qu'à l'accoutumée, obligés d'être solidaires dans une situation qui les dépasse. Reste l'humour de la série, comme ce passage où les deux compères sont contraints de recoudre un officier sudiste gravement blessé et se relaient pour vomir à la fenêtre !
Drustan
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le 25 avr. 2021

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