Ce tome est paru d'un seul tenant, sans prépublication, initialement en 1976, écrit et dessiné par Jack Kirby, qui en a également assuré la direction éditoriale. Il est composé de cinq chapitres encrés successivement par Barry Windsor Smith pour le 1, Herb Trimpe pour les 2 & 3, Trimpe & John Romita senior pour le 4, Trimpe pour le 5. Il se termine avec 5 pin-ups de Captain America dessinés par Kirby et encrés par Romita.


En pénétrant dans la pièce, Captain America se demande encore pourquoi il a accepté l'invitation de Mister Buda. Celui-ci se tient en position du lotus dans une sorte de cage pyramidale dorée avec des parois vitrées, semblant être en transe. Captain America sursaute, pris par surprise par l'irruption de la forme astrale de Buda. Celle-ci lui adresse la parole, lui souhaitant la bienvenue dans son humble demeure. Buda ouvre les yeux et déclare que son voyage est achevé et que ça fait du bien d'être de retour. Il ouvre la porte de la pyramide et s'en extrait, supposant que son interlocuteur n'a jamais vu de pyramide d'énergie, un dispositif vital pour faciliter le processus de projection astrale. Le capitaine reconnaît que c'est un tour de première, et que s'il s'agit d'un tour d'hypnotisme, il est particulièrement maîtrisé. Buda se présente : il est un maître dans l'art de la sorcellerie. Dans son pays, il a atteint le même niveau de renommée que le capitaine dans le sien. Il apprend aux gens à croire, et ainsi à comprendre tout le temps et l'espace. Les portes de l'éternité s'ouvrent en grand. Il est possible de contempler les choses avec un œil universel. Ainsi Captain America pourrait contempler le symbole de son pays comme il ne l'a jamais vu.


Le superhéros explique que son devoir est de servir sa patrie, son destin est dédié à ce boulot. Il tourne les talons et commence à partir. Dans son dos, Buda effectue des gestes qui créent un pli dans l'espace, dans lequel son hôte entre sans même s'en rendre compte. Captain America se retrouve dans une construction labyrinthique inextricable aux formes géométriques. Il comprend qu'il ne peut qu'aller de l'avant, et finit par chuter dans une trappe. Il se retrouve dans un grand hall avec une grande tenture portant une croix gammée. Il s'avance discrètement pour ne pas se faire remarquer du garde. Un autre soldat tombe nez à nez avec lui, Catpain America profite de sa surprise pour l'estourbir sans bruit. Il continue d'avancer et aboutit dans une pièce où deux officiers nazis maltraitent un prisonnier ligoté sur une chaise, sous les yeux d'un autre, tous lui tournant le dos. Ayant senti la présence de l'intrus, ils se retournent d'un coup, et Captain America reconnaît Adolf Hitler. Il fait quelques pas dans la pièce et sent quelqu'un l'attaquer par derrière. Il se retourne d'un mouvement vif et l'assomme d'un coup de bouclier. Les officiers ouvrent le feu. Il lance son bouclier.


Le personnage de Captain America a été créé en 1941, par Joe Simon & Jack Kirby, et publié par l'éditeur Timely Comics qui deviendra des décennies plus tard Marvel Comics. Ses aventures ont été publiées jusqu'en 1949. Il est revenu pour quelques aventures en 1953/1954, puis a disparu des étals. Il est revenu pour de bon en 1964, dans le numéro 4 de la série Avengers, par Jack Kirby & Stan Lee pour devenir un des superhéros les populaires de l'univers partagé Marvel. Ayant cocréé de nombreux superhéros Marvel en 1961, Jack Kirby décide d'aller travailler pour DC Comics de 1971 à 1975, puis de revenir travailler pour Marvel sur les séries Eternals, Devil Dinosaur, Machine Man, Black Panther, 2001. Il revient également à la série Captain America dont il réalise, scénario & dessins, les épisodes 193 à 214, et numéros annuels 3 & 4, ainsi que le présent numéro spécial réalisé à l'occasion du bicentenaire des États-Unis, tous regroupés dans Captain America by Jack Kirby Omnibus. C'est donc un retour en demi-teinte pour ce créateur hors norme, déçu par les pratiques éditoriales de DC Comics, obligé de revenir dans l'entreprise dont il avait claqué la porte, mais disposant d'un contrat où il est son propre responsable éditorial sur la série Captain America, personnage qu'il a cocréé plus de trente ans auparavant, et dont il n'a jamais détenu les droits de propriété intellectuelle, sur lequel il ne touche aucun pourcentage.


À l'occasion du bicentenaire de la déclaration d'indépendance, il réalise ce numéro aux dimensions hors norme (à peu près la taille de deux fois celle d'un comics ordinaire) au cours duquel Captain America se retrouve projeté à différents moments de l'histoire du pays, dans des situations critiques, à rencontrer des Américains, Mister Buda lui promettant qu'il acquerra ainsi une meilleure compréhension de sa patrie. Fort logiquement (?), pour commencer, le superhéros se retrouve en Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale, face au Führer en personne, ce qui lui permet de retrouver Bucky, et de se battre contre des soldats. Le lecteur retrouve les caractéristiques habituelles des dessins de l'artiste : des personnages en mouvement, courant, bondissant, frappant, des mains tendues vers le lecteur, des personnages en gros plan regardant le lecteur, des découpages de page souvent sages en 3 bandes de 2 cases de même dimension, ou 2 bandes de 2 cases de dimensions identiques. Captain America dispose d'un corps d'athlète musclé et parfait. Il ne quitte jamais son costume de superhéros, pas même son masque. Les reconstitutions historiques amalgament des éléments d'époque avec une bonne dose de licence artistique, pour un résultat tour à tour saisissant de naturel, édulcoré et quelque peu naïf, voire parfois en carton-pâte. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à une reconstitution historique rigoureuse et académique : uniformes de l'armée allemande plus esthétiques qu'authentiques, rues de Philadelphie en 1776 pour un décor plus mythologique que réaliste, évocation romancée des mauvais quartiers de New York dans les années 1930, mise en scène très théâtrale de Geronimo, biplan de la première guerre mondiale revu et corrigé pour une esthétique plus dynamique, sans oublier un magnifique numéro musical pour un film hollywoodien.


Cette histoire se lit donc comme une histoire pour enfant, avec des dessins percutants. Captain America passe d'époque en époque au gré de la fantaisie du sigil imprimé sur son gant. D'ailleurs, le lecteur finit par se demander pour quelle raison le héros n'enlève pas tout simplement ce gant pour se débarrasser de ce signe cabalistique. Les différents lieux sont à la fois simples pour être assimilés au premier coup d'œil, et évocateurs grâce à quelques détails bien choisis dans l'inconscient collectif américain. Les éléments historiques sont faciles à identifier pour un Américain : Benjamin Franklin (1706-1790), Betsy Ross (1752-1836, supposée avoir cousu le premier drapeau américain), John L. Sullivan (1858-1918, célèbre boxeur), John Brown (1800-1859, abolitionniste), Geronimo (1829-1909). Le héros surmonte les épreuves grâce à son courage, sa force, la solidité de ses valeurs morales, et sa foi dans sa patrie. Le héros finit par pousser son guide dans ses derniers retranchements, et par énoncer clairement l'esprit qui caractérise les États-Unis, ce qui en fait une nation forte et puissante.


Dans le même temps, le lecteur adulte prend plaisir aux caractéristiques de la narration visuelle de Jack Kirby : le dynamisme et la puissance des personnages, leur dignité, l'énergie incroyable qui se dégage des pages, des situations. Il se dit également, qu'étant son propre responsable éditorial, le créateur a disposé d'une réelle latitude pour construire son histoire comme il l'entendait. Il perçoit la voix de l'auteur lorsque Captain America se trouve à discuter avec le chef indien Geronimo (sans barrière de langue bien sûr), et que la cavalerie commence à charger. Le déroulement indique que Kirby estime que les indiens appartiennent au peuple américain comme tous les autres citoyens, et qu'il condamne la persécution dont ils ont fait l'objet. La même prise de position se retrouve avec la persécution des afro-américains. Il semble naturel d'attribuer ces valeurs à l'auteur ainsi que celles qui se dégagent des autres séquences. En fin de récit, le lecteur peut découvrir le credo de Jack Kirby concernant son pays : des individus qui essayent de réussir, la conviction qu'il est possible de devenir assez fort et assez intelligent pour surmonter des problèmes harassants. C'est l'Amérique : un pays de confiance obstinée, où les jeunes et les vieux peuvent espérer, et traverser les déceptions, le désespoir, et le fardeau des événements avec l'espoir de pouvoir donner du sens à la vie. S'il s'est déjà intéressé à la vie de l'auteur, il se rend compte que ces valeurs ne sont pas de circonstance pour le bicentenaire, mais qu'elles correspondent bien aux siennes, celles qu'il a mises en œuvre toute sa vie durant. De ce point de vue, il s'agit bien d'une œuvre d'auteur, assez intime qui plus est.


Une histoire de circonstance pour fêter le bicentenaire de la Déclaration d'Indépendance, avec un héros s'habillant littéralement avec le drapeau des États-Unis. Un récit parfois naïf avec un superhéros bon et valeureux qui sait cogner, à destination d'un public d'enfants. Une profession foi de l'auteur sur la façon dont il conçoit sa patrie, avec ses défauts, et les valeurs morales d'un citoyen, qui doivent guider son comportement dans la vie, et qu'il a mises en application à titre personnel.

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le 4 sept. 2021

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