[Review digressive] Mark Millar : Divertissement et scénario, une alchimie douteuse

De ce que j'ai lu de lui, j'ai toujours considéré Mark Millar comme un sympathique auteur largement surestimé. Je me permets d'établir ce jugement alors que je considère son Red Son comme un véritable chef-d'oeuvre alors que bien d'autres relativisent grandement sa qualité. Si je mentionne cette exception, c'est pour avouer que je crois fondamentalement en son potentiel. Outre les innombrables admirateurs dithyrambiques du scénariste, une proportion minoritaire mais loin d'être négligeable considère en effet l'auteur comme un scénariste superficiel et sans intérêt. J'aime à croire que mon avis sur sa personne est plus nuancé.


Puisqu'il ne s'agit pas ici de critiquer en détails ces oeuvres, je vais établir quelques généralités sur le britannique qui résument à peu près mon avis et me permettront de mieux expliquer mon point de vue sur ce premier tome de Chrononauts. Le fameux Millar World qu'il a crée est un concept très flou qui reste très flou et auquel est censé appartenir la série Chrononauts. Est-ce un univers partagé ? Des différents comics que j'ai lus appartenant à celui-ci (MPH, Kingsman, Croods, Kick-Ass, Wanted et Jupiter's Legacy), aucun lien narratif ne m'est apparu entre eux. Peut-être ai-je été distrait durant mes lectures, sa narration étant particulièrement rythmée et ne poussant pas à la recherche de détails, c'est une possibilité relativement raisonnable. Cependant, le fait est qu'aucun lien "évident" n'apparait comme une piste de lecture importante, au mieux cela resterait avant tout une perspective annexe, un clin d'oeil aux amateurs méticuleux. Aucune thématique commune abordée n'apparait non plus de manière évidente. Finalement le seul aspect qui revient régulièrement dans les introductions de ces oeuvres consiste en la volonté de ces comics de pouvoir être adapté au cinéma. Mark Millar, depuis qu'il est devenu célèbre, est d'ailleurs connu pour prévoir les adaptations de ses comics avant même leur publication. L'introduction de Chrononauts parle à nouveau d'ailleurs d'un travail d'adaptation en cours. Tous n'aboutissent pas mais ces projets ne sont pas fantasques. On se souvient du succès de Kingsman, Kick-Ass 1 et 2, de la sortie de Wanted, et d'ailleurs du prochain Wolverine inspiré de son Oldman Logan.
Bien entendu, les scénario de films limités par le format de quelques heures ne favorisent pas les scénarios particulièrement ambitieux, ou sinon manquant grandement de subtilités. Et c'est bien ce qu'on peut reprocher généralement au scénariste britanniques, des scénarios sans ambitions, sans réelles réflexions abouties. Certes on retrouvera une grossière et facile critique du capitalisme dans Kingsman, de même sur la sécurité et sur le concept de super-héros dans Kickass... Certaines reprocheront même à son Superman Red Son, le même manque de complexité et de subtilité, personnellement je trouve que ce comics fait preuve au contraire d'une position particulièrement nuancée et subtile, mais je dirais qu'il s'agit là d'une exception dans les oeuvres de l'auteur. J'attends de lire davantage de jupiter's Legacy pour juger, mais le fond de ces autres oeuvres et de Chrononauts est particulièrement basique.


Cependant à l'instar d'un Tarantino, Millar recherche avant tout l'effet sur le lecteur/spectateur, celui d'un plaisir décomplexé, peut-être que le concept anglo-saxon de "cool" est plus approprié encore. Scénario rythmé, punch-line, attitude désinvolte de personnages charismatiques et régulièrement décalés, Mark Millar excelle sur ce plan, à n'en pas douter. Qu'on apprécie ou non le scénariste, le nier serait faire preuve d'une mauvaise foi cuidante, le succès du scénariste reposant principalement sur cet aspect. Et la facilité d'adaptation de ces oeuvres prend d'ailleurs sa source dans cette particularité de l'auteur. Bien que le scénario soit basique, et certes parcouru parfois de quelques fils blancs, son caractère minimaliste ne l'empêche pas d'être toujours divertissant grâce aux nombreuses péripéties s'enchaînant sans trop choquer d'habitude le lecteur et le menant finalement du début à la fin avec un plaisir certain.


Chrononauts reprend en grande partie cette formule, mais la reprend-il totalement ? Je ne crois pas. Il me semble que les défauts du scénaristes apparaissent ici plus pénalisant encore pour le scénario. L'introduction de ce comics se centre sur la thématiques principal de Chrononauts les voyages dans le temps et conclue même sur le seul point commun de tous ces récits : l'importance de l'effet papillon. Ainsi est conclue cette introduction, on s'attend donc encore une fois à un jeu sur les conséquences de ce fameux effet papillon qu'on ne peut éviter dès que l'on parle de voyage dans le temps. Mais ici le scénario oublie totalement ce concept pourtant si primordiale, les événements les plus incroyables s'enchaînent sans jamais n'avoir aucune répercussion. Il ne s'agit d'ailleurs plus d'effets papillons, mais d'effet éléphants. Et encore le terme éléphant reste ici un terrible euphémisme. Importations d'armes de destructions modernes à TOUTES les époques, conquêtes de plusieurs pays, à plusieurs époques différentes à l'aide de cette même technologie moderne. Toute aberration imaginable prend vie dans ce scénario. Et n'attendez bien entendu pas de développement à ce propos, on se contente de vous le mentionner la plupart du temps en quelques cases, aussi extraordinaire, spectaculaire, grandiloquent ou ubuesque que soit ces aberrations temporelles. Si le scénario se conclue sur un retour à la normal comme dans la plupart des récits de ce type, ce n'est absolument pas pour résoudre un quelconque paradoxe temporel, comme c'est pourtant habituellement le cas. Peut-être certains apprécieront-ils le caractère totalement absurde et loufoque du scénario, mais il ne présente malgré tout aucun intérêt et devrait rester un véritable défaut pour la plupart des lecteurs. On dépasse donc ici de loin la simple modestie d'un scénario basique mais efficace.


Et pourtant ! Et oui, pourtant, j'ai trouvé cette lecture aussi agréable que les autres comics de Millar car malgré ce scénario trop loufoque pour moi, j'ai trouvé dans celui-ci un aspect finalement assez rare chez le britannique, une touche d'émotion. Les personnages principaux sont vraiment charismatiques, désinvoltes, impulsifs, sympathiques mais comme tant d'autres de ces personnages. La particularité dans ce comics est la relation d'amitié assez touchante entre les deux. Bien entendu, on ne retrouve pas de scènes approfondissant réellement celle-ci, et certains feront le parallèle avec la relation mentor/paternelle, déjà présente dans Kingsman. Mais je l'ai personnellement particulièrement apprécié car si la perspective du mentor ou guide spirituel est un véritable cliché depuis bien des siècles dans la littérature, philosophie et dans l'art en général. Les relations de véritables amitiés ont finalement assez peu été exploitées. Soit parce qu'on eut tendance à privilégier les relations amoureuses, soit parce qu'il semblait toujours falloir teinter les amitiés d'une rivalité pour les rendre intéressantes. Si ce n'est la fameuse citation de Montaigne "Parce que c'était lui, parce que c'était moi", retient-on réellement les déclarations d'amitié ? D'ailleurs même celle de Montaigne est mal connue ou mal interpréter. La plupart des gens ne savent qu'elle concerne une relation amicale et non amoureuse. Quant à ceux connaissant mieux la référence, beaucoup veulent y voir là encore une déclaration amoureuse masquée. Une telle déclaration d'amitié ne pouvant être si intense que si elle cache en réalité, un amour interdit et honteux. La simplicité de cette déclaration pourtant tient de l'évidence, de ces relations qui ne nécessitent pas plus d'explications, ou qu'on ne peut tout simplement pas expliquer. La relation entre les deux personnages principaux peut se résumer de la même manière. Leur amitié est réelle, profonde, sans qu'on sache vraiment son origine, et elle n'est jamais expliqué, simplement exposé. Certains verraient là-encore à l'oeuvre, dans cette simplicité, l'absence de développement auquel nous habitue Millar, de nouveaux fils blancs inconsistants. J'avoue personnellement que j'y ai vu tout simplement le caractère naturel, simple et pourtant miraculeux, d'une certaine manière bien que ce terme apparaisse un peu fort, la même évidence ineffable que contient la déclaration de Montaigne.


C'est finalement pourquoi j'ai réussi à prendre du plaisir à suivre ce duo dans leurs loufoques péripéties et que je lirai avec plaisir le second tome bien que ces lectures resteront, comme souvent avec Millar, anecdotiques. Il ne reste plus qu'un point à aborder et c'est triste de l'aborder de manière si succincte : Le travail de Sean Murphy. Et bien, c'est un très bon travail. Les dessins sont superbes, malgré le caractère foutraque du scénario, chaque case reste extrêmement lisible. Et même le coloriste a réussi à rendre le tout extrêmement agréable à l'oeil. Il est dommage tout de même que les excentricités scénaristiques de Millar soient telles que le remarquables travail graphique dans ce comics reste finalement assez anecdotique lorsque l'on doit parler de Chrononauts. Pourtant, je pense que sans ce travail graphique les défauts scénaristiques du comics ne pourraient être rattrapé par les qualités de Millar en tant qu' "Entertainer". (Aucune traduction française du terme ne semble vraiment approprié. Amuseur-public, artiste sont incomplets. Le terme "divertisseur", s'il était français, serait plus approprié.)

Vyty
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le 29 janv. 2017

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