Ce roman graphique est l’adaptation par Mayalen Goust du roman éponyme de Flore Vesco. N’ayant pas lu le roman, je me contenterai de mes impressions sur cette adaptation qui ne peut pas laisser indifférent. Il suffit de l’ouvrir pour comprendre qu’il s’agit d’un ouvrage flamboyant.
Si le roman de Flore Vesco est classé en littérature jeunesse, c’est probablement parce qu’il emprunte largement à l’univers des contes. Rien n’indique que la BD reprendrait le texte intégral, par contre quelques lignes d’introduction précisent qu’elle n’est pas destinée aux petites filles, car il est question de ce qui se passe dans les lits des jeunes filles. Il est donc question d’amour allant au-delà du fantasme. L’argument principal est qu’un jeune homme, Lord Handerson, cherche à se marier. Il habite un château. Il est jeune, riche et son château est de style gothique flamboyant. Lord Handerson est orphelin, suite au décès tragique de sa mère. Quant à son père qui l’a élevé, il est mort depuis quelques années. On croyait le château à l’abandon, mais il n’en est rien et le jeune Lord s’apprête à donner un bal. Tout cela pour faire sentir que de nombreux éléments évoquent quelques-uns des plus célèbres contes.
Premier test
Ainsi, Lord Handerson a prévu de faire passer un test à toutes les prétendantes qu’il reçoit. Elles doivent passer une nuit dans un lit constitué d’une incroyable superposition de matelas, ce qui rappelle évidemment La princesse au petit pois (Hans Christian Andersen – 1835). Mais ce n’est qu’un leurre, car il n’y a aucun petit pois ici et les jeunes filles qui osent passer la nuit à cet endroit sont vite congédiées, malgré des impressions très variées. En fait, nous suivons trois sœurs de bonne famille (Margaret, May et Maria) accompagnées par leur servante, Sadima, alors que la mère n’a pas été admise à rester au château, pour la bonne raison qu’elle ne prétend pas épouser Lord Handerson. Les sœurs n’ayant pas réussi le test (sans qu’aucune explication leur soit donnée), Sadima les raccompagne. Mais, Lord Handerson avait suggéré que Sadima passe également le test. Alors, celle-ci revient en cachette au château. Débute alors une série de péripéties toutes plus étonnantes les unes que les autres, qui verront Sadima et Lord Handerson se rapprocher. Jusqu’à l’amour auquel tous deux aspirent ?
Le dessin
Avec ce roman graphique, Mayalen Goust nous en met plein les mirettes. Portée par une inspiration de chaque instant, elle nous transporte dans son imaginaire qui n’a rien à envier aux contes de fées. Les décors sont d’une richesse visuelle incroyable. La mise en page est remarquable, avec une organisation des planches qui met en valeur toutes les situations qu’elle imagine. Le dessin lui-même est de toute beauté, avec un style élégant qui mérite largement les nombreux dessins de taille dont elle parsème l’album, allant parfois jusqu’à la double page. Et puis, son utilisation des couleurs est un émerveillement renouvelé quasiment à chaque planche. Suivant les situations, elle utilise des couleurs claires ou sombres, ainsi que de nombreuses couleurs vives qui témoignent d’une maîtrise parfaite de ce qu’elle recherche. Bref, graphiquement, l’album est un enchantement de chaque instant.
Le nœud de l’histoire
Il est à chercher du côté de l’histoire familiale de Lord Handerson. Il n’a jamais fait le deuil de sa mère, pour une raison précise qui nous mène du côté du fantastique à tendance perverse. D’ailleurs, est-ce lui qui n’arrive pas à faire le deuil de sa mère ou bien sa mère qui n’admet pas la séparation d’avec son fils ?
Ainsi, la relation mère-fils s’oppose finalement à l’amour que Lord Handerson souhaite vivement. L’ouvrage explore donc l’évolution des relations d’un jeune homme qui en apparence a tout pour lui (physique de brun ténébreux élancé), mais qui traine un passé familial dont il ne sait que faire. A vrai dire, les tests qu’il fait passer à ses prétendantes sont destinés à évaluer leur aptitude à le soutenir dans sa recherche d’un épanouissement personnel. Celui-ci passera par l’établissement d’une relation sentimentale suffisamment forte pour que la relation avec sa mère soit reléguée au second plan. C’est donc quelque chose d’assez fondamental que cette histoire met en scène d’une manière flamboyante.
Le scénario
Il monte en puissance régulièrement. La phase du premier test permet de se faire des impressions sur le château et ses occupants. Malgré son immensité, il n’est entretenu que par un seul domestique, Philippe, très stylé et dévoué à son maître. Ses lunettes avec d’immenses verres lui donnent une allure inimitable. Quant au château, il réserve quantités de surprises, esthétiques notamment. A noter quand même qu’il est bien chauffé malgré l’absence de cheminée. Et puis, la nourriture apparaît comme par enchantement. C’est avec le deuxième test que Sadima va en savoir plus sur la bâtisse et son histoire, car cette fois, c’est à la cave qu’elle doit passer une nuit.
L’amour au quotidien
L’histoire met en évidence que s’il se limite à des envies issues de la séduction physique, un couple peut courir au-devant de graves désillusions. Après le premier test, Lord Handerson invite Sadima à l’appeler Adrian. Ce qu’elle n’arrive pas, habituée à son rôle de domestique (qui s’occupe l’esprit en fredonnant des ritournelles). Saura-t-elle dépasser ce penchant ? Quelques péripéties, certaines imprévues, vont néanmoins permettre à Lord Handerson et Sadima de mieux faire connaissance, en attendant d’assouvir un désir physique qui s’affirme.
« La mariée ira mal »
Ce roman graphique est donc une vraie réussite qui va bien au-delà d’un aspect esthétique très séduisant. Cela va dans le sens du message qu’il délivre, à savoir que l’amour ne doit pas se contenter de la séduction physique. Pour deux personnes qui veulent partager leur vie, il vaut mieux se connaitre complètement, savoir ce qui compte pour l’autre et sentir qu’on peut partager cela pour se soutenir mutuellement. Attention, parce que le passé de l’un et de l’autre ne s’efface pas. Sadima devra oublier ses réflexes de servante et Lord Handerson devra faire passer Sadima avant tout. Alors qu’il se voyait incapable de jamais quitter le château familial, Adrian risque de devoir subir certains tests lui aussi.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné