Régulièrement, on apprend par les médias que des groupes de migrants se sont noyés en tentant de traverser la Méditerranée. Chacun de ces naufrages est un effroyable drame humain. Et pourtant, en tant qu’Européens, on a du mal à ressentir la même compassion pour ces milliers de migrants que pour les 150 passagers d’un Airbus précipité par un pilote dépressif contre une montagne des Alpes françaises, par exemple. Pourquoi cette différence? Parce que dans un cas, on s’identifie aux victimes et on imagine aisément le calvaire qu’elles ont vécu, alors que dans l’autre cas, on a beaucoup de mal à se mettre à la place de ces personnes qui embarquent dans un navire de fortune pour fuir un pays en guerre. Notre manque de compassion serait donc lié à un manque d’identification. C’est en partant de ce constat que l’auteur de BD Fabien Toulmé a choisi de raconter en détail l’histoire vraie d’un réfugié syrien, afin que l’on puisse se mettre à sa place et enfin ouvrir les yeux sur les drames individuels qui se cachent derrière la froideur des chiffres. Ce réfugié, c’est Hakim. Fabien Toulmé est entré en contact avec lui grâce à une amie journaliste. Hakim vit aujourd’hui en France, mais il a dû affronter les pires épreuves avant d’enfin regoûter à une vie plus paisible. Dans le tome 1 ("De la Syrie à la Turquie"), Fabien Toulmé raconte comment la vie de ce jardinier sans histoire bascule lorsque la guerre éclate en Syrie en 2011. Exproprié, torturé, forcé de quitter ses parents et son pays, multipliant les petits boulots au Liban puis en Jordanie et en Turquie, Hakim a malgré tout de la chance dans sa malchance puisque cet exil forcé lui permet de rencontrer Najmeh, qui devient sa femme. Son horizon semble donc s’éclaircir un peu, d’autant plus que Najmeh et lui deviennent les heureux parents d’un petit garçon prénommé Hadi. Hélas, dans le tome 2 ("De la Turquie à la Grèce"), les difficultés rattrapent à nouveau le pauvre Hakim. Alors que Najmeh et ses parents obtiennent des papiers pour partir en France, Hadi et lui restent bloqués à Istanbul. Au départ, tous espèrent que la situation va rapidement s’arranger, mais les procédures administratives se révèlent interminables, tandis que la situation politique en Turquie se dégrade. Désespéré, Hakim décide alors de tenter le tout pour le tout et de traverser la Méditerranée comme un clandestin…


Fabien Toulmé est décidément un auteur étonnant. Il ne faut se fier ni à ses dessins apparemment très simples, ni à sa narration faussement naïve. Car sans avoir l’air d’y toucher, il aborde avec une grande justesse des sujets aussi sensibles que complexes, en n’hésitant pas à interpeller ses lecteurs. On s’en était rendu compte une première fois à travers sa BD autobiographique "Ce n’est pas toi que j’attendais", dans laquelle il décrit de manière très touchante la naissance de sa fille trisomique. On le découvre de manière plus évidente encore dans cette très ambitieuse "Odyssée d’Hakim". En s’appuyant sur le témoignage réel d’un Syrien qui a dû tout quitter, Fabien Toulmé construit un récit qui se révèle aussi crédible qu’un documentaire journalistique et aussi passionnant qu’un roman d’aventures. C’est particulièrement le cas dans le tome 2 de cette trilogie, qui est plus dramatique et plus prenant encore que le tome 1. Une fois qu’on a commencé à le lire, plus moyen de s’arrêter! En tant que lecteur, on ne peut pas rester insensible lorsqu’on marche dans les traces de ce père courageux qui achète une bouée pour son fils avant de prendre la mer pour un voyage particulièrement périlleux. Et on tremble de peur et de froid pour Hakim, Hadi et les autres réfugiés syriens lorsqu’ils se retrouvent sur un canot surpeuplé au milieu de la Méditerranée déchaînée et que leur moteur a des ratés. Mission accomplie donc pour Fabien Toulmé, qui voulait changer notre regard sur le drame des migrants. En nous obligeant à nous imaginer à leur place, on peut dire qu’il y est parvenu! Sans pathos, sans artifices, il nous émeut en racontant de manière simple mais efficace le périple bouleversant d’un homme dont la seule volonté est d’offrir une vie meilleure à sa famille. Si "L’Odyssée d’Hakim" est une lecture indispensable pour chacun d’entre nous, elle l’est sans doute plus encore pour ces hommes politiques qui ne pensent qu’à fermer les frontières…


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matvano
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le 28 juil. 2019

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