Dolorès
6.8
Dolorès

BD franco-belge de Benoît Peeters, François Schuiten et Anne Baltus (1991)

Un album qui date de 1991 et qui a de quoi surprendre, avec les noms Schuiten et Peeters sur la couverture (aucune présentation éditeur). Il s’agit en fait d’une histoire dessinée par Anne Baltus sur un scénario des susnommés. La dessinatrice a été une élève des auteurs de la série Les cités obscures dont l’influence est manifeste. L’illustration de couverture, bien que portant la marque de la personnalité de la dessinatrice (trait, couleurs) pourrait très bien passer pour du Schuiten/Peeters, ce qui incite à la qualifier de bonne élève, sans négliger le fait que l’album est agréable et mérite d’être découvert.


Bien évidemment, le scénario ménage une part non négligeable au principal dada de leurs auteurs, l’architecture, sur un mode mineur par rapport aux albums qui ont fait leur réputation, ce qui peut expliquer qu’ils aient laissé une élève l’illustrer. Anne Baltus utilise des couleurs plutôt douces que voyantes, dans des tons parfois étonnants puisque le rose est présent jusque dans le ciel, avec un dessin aux traits précis, dans un style élégant et affirmé qui s’apparente au style général de la BD franco-belge, avec filiation évidente du côté de François Schuiten. Les décors architecturaux montrent une ville mais pas trop monumentale et une villa (extérieur et intérieur) dans une ambiance souvent très dépouillée. Et puis, on note un goût certain pour un fantastique qui vient d’abord par petites touches pour émerger jusqu’à devenir le point essentiel. Enfin, il y a une réflexion sur la position de certains personnages, traités comme des pantins aux mains d’un être ayant un pouvoir supérieur (le narrateur voire un des personnages du récit).


Le récit met en scène Georges, un amateur de maquettes d’avions vivant à l’écart de la ville, dans un pavillon où il supporte tant bien que mal la neurasthénie de Jean-Pierre, son frère. Leur quotidien morne est troublé par deux événements que j’aborde volontairement dans le désordre. Georges doit aller à la ville présenter sa maquette, vieille commande qu’il serait plus que temps d’honorer. Et puis, une somptueuse limousine (rose) s’arrête devant le pavillon. De cette voiture (une grosse américaine, pas une DS) émerge une femme à l’allure de déesse qui n’aurait jamais dû s’arrêter là. Une panne est donc à l’origine de la rencontre entre Georges et Dolorès Moore. Un peu plus tard Dolorès se rappelle le talent de maquettiste de Georges et l’engage. Le genre de commande qui ne se refuse pas, surtout venant d’une femme comme Dolorès, actrice irrésistible et éternellement surbookée qui possède une demeure luxueuse.


Outre les relations qui se nouent entre Georges et les personnages au service de Dolorès (son chauffeur et ses domestiques), on note un travail très élaboré vis-à-vis du monde du cinéma. Dolorès a un physique de rousse flamboyante qui rappelle Rita Hayworth, notamment dans certaines des poses qu’elle adopte. Son nom de famille est Moore, mais elle s’apprête à épouser un certain Henry et non Roger. Quand elle cite tous les films dans lesquels elle a joués, aucun titre n’est réel. Par contre, les partenaires qu’elle évoque ou qu’on remarque dans les génériques correspondants, des stars américaines bien réelles sont citées, James Stewart et Gregory Peck notamment. Si les affiches qui illustrent le décor présentent également des titres de films imaginaires, on reconnaît une photo issue de Vertigo. Et puis, après son premier échec retentissant, Dolorès évoque une certaine Marilyn dont tout le monde se serait entichée. L’ambiance mêle donc un aspect rétro avec un décor de luxe qui évoque de nombreux classiques américains du septième art, en Cinémascope et Technicolor. Les couleurs y contribuent, puisque la dessinatrice laisse libre cours à son goût pour des couleurs légèrement déformées par rapport au naturel. Le cinéphile remarque aussi l’allure de Simone qui n’est pas sans rappeler Jean Seberg avec ses cheveux courts. L’aspect moderniste est marqué par les formes géométriques de l’architecture, on remarque également un décor qui rappelle le style des toiles abstraites de Mondrian.


A noter enfin une référence à Hergé qui n’échappera pas aux tintinologues, avec cette marche qui se brise exactement comme dans Les bijoux de la Castafiore, l’incident étant parfaitement intégré dans l’intrigue.


L’album (29,5 x 22 cm) se lit rapidement (environ une heure), il comprend 62 planches classiques plus 3 dessins occupant chacun deux pages qui aèrent l’ensemble en ajoutant une dimension onirique. L’organisation des planches est assez rigoureuse, le plus grand nombre comprenant 3 bandes, avec des vignettes de tailles variables mais sans fantaisie de forme. Aucun texte narratif sinon quelques indications de dates pour faire sentir le temps qui passe et souligner le labeur de Georges. Peu d’indications hors dialogues si ce n’est des affiches de films et un bref reportage télé.
Le scénario est linéaire, il est bien élaboré mais reste dans la lignée des œuvres de Schuiten et Peeters, avec cet aspect froid ou distancié qu’on leur connait bien désormais. L’aspect fantastique prend toute sa mesure pour un final qui va crescendo, dans une logique implacable où l’on comprend que le prénom Dolorès n’a pas été choisi au hasard.

Electron
7
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le 12 déc. 2015

Critique lue 363 fois

13 j'aime

Electron

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