Les parcours de femme et de militante de Dominique Grange, témoin et actrice de la lutte des classes, des grèves, des manifestations, de l’opposition à De Gaulle, à la guerre d’Algérie, à celle du Vietnam, etc., nous sont racontés par le couple engagé de la BD et de la chanson contestataire. Une épopée romanesque et contemporaine qui couvre notre histoire de 1957 à la fin des années 1970...


En 1961, «les événements d’Algérie», comme les appellent le gouvernement français, durent depuis déjà quatre ans. À l’appel du FLN, le 17 octobre, 30 000 algériens se rendent sur Paris pour une manifestation pacifiste. Là, la police de Maurice Papon («responsable de la déportation de 1 600 juifs (…) entre 1942 et 1944 (...)») les attend. Un couvre est feu imposé aux français musulmans de 20h30 à 5h30. En le bravant, ceux-ci s’exposent aux représailles de l’État, qui, dans sa sanction, devient assassin. La foule subit une répression qui vire à la boucherie. «Bidules* [NB : matraques de plus de 1 mètre de long], crosses de flingues, coups de pompes, tout était bon pour fracasser des crânes...». Les forces de l’ordre ouvrent le feu sur des hommes, des femmes et des enfants terrorisés ; des centaines sont jetés à la Seine, certains les mains liées dans le dos. «De nombreux corps retrouvés dans les eaux glacées (...) n’ont jamais été identifiés». Embarqués dans des cars de la RATP «réquisitionnés pour la circonstance», les manifestants sont emmenés dans des centres de tri (Palais des Sports et Stade de Coubertin pour les hommes, foyers sociaux et hôpitaux pour les femmes). Cela rappelle les heures sombres des «sinistres convois de 1942». «Bilan des rafles des 17 et 18 octobre : 13 394 arrestations, près de 200 morts et plus de 100 disparus». Quatre mois plus tard, le 8 février 1962, la manifestation de soutien de la rue de Charonne fera 9 morts et 250 blessés.

D’une répression à l’autre

Dix ans après, à Paris, dans un immeuble, quatre militants gauchistes préparent des cocktails Molotov lorsqu’une explosion accidentelle se produit. Tous ont le temps de quitter l’appartement avant que la police n’arrive sur les lieux, bien que l’une d’entre eux, Élise, soit sérieusement blessée. Ce même jour, Pierre Overney, un militant maoïste, vient d’être abattu par un surveillant des Usines Renault où il distribuait des tracts pour appeler le soir même «à une manifestation au métro Charonne afin de commémorer le massacre de 1962». Celle-ci est «violemment réprimée par la police qui a tiré des gaz lacrymogènes (…). On dénombre près de 400 arrestations et de nombreux blessés».

« Engagée à perpétuité »

À Lyon, pendant l’année scolaire 1957-58, Élise est en terminale. «Cette année-là fut celle d’une prise de conscience politique irréversible». D’abord grâce aux cours de philo auxquels elle assiste. Ensuite, parce que l’une de ses amies est la fille de militants communistes, et qu’Élise l’aide à distribuer des tracts contre la guerre d’Algérie dans les boites aux lettres du quartier. «Ça a commencé comme ça». Elle apprend le piano et la guitare, puis, en septembre 1958, monte sur la capitale pour tenter sa chance. Elle joue dans quelques pièces de théâtre «avec plusieurs acteurs qui allaient devenir mythiques» (comme Jean Rochefort), auditionne «dans des cabarets de la rive gauche» avec son répertoire, enregistre des 45 tours (de chansons qu’on lui impose) jusqu’à son duo avec «un chanteur déjà connu» (Guy Béart, pour ne pas le nommer) qui lui offrira l’opportunité d’enregistrer ses propres compositions. Nous sommes en avril 1968. Le 3 mai, «l’arrestation de 600 étudiants du Quartier Latin et l’évacuation de la Sorbonne occupée» lui font prendre une direction artistique autre, délaissant la variété pour des textes contestataires, dénonciateurs, engagés, affirmant ainsi sa détermination «à servir la cause révolutionnaire du prolétariat» ad vitam æternam !

D’Élise à Dominique

Telle qu’elle nous est contée, la vie d’Élise (et les événements auxquels elle participe de façon active) est celle de Dominique Grange herself. L’on suit ici son parcours de femme et de militante. Sous les traits de son dessinateur de mari (dont il n’est plus nécessaire depuis longtemps de présenter l’étendue exponentielle de l’œuvre en cours, pas plus que d’en vanter la qualité), la période allant de la guerre d’Algérie à la fin des années soixante-dix (+ quelques incursions dans un passé plus proche) est passée au crible et nous rappel des heures peux glorieuses de notre histoire contemporaine. Un récit issu de la même veine que Les Mauvaises Gens, d’Étienne Davodeau, où l’auteur raconte la vie de ses parents au travers de leurs activités syndicales, entre 1950 et 1980 (Delcourt 2005).

Il émane, au fur et à mesure de la lecture de ce roman graphique, comme le parfum désuet, l’essence nostalgique d’une époque autre, révolue, où l’on pouvait, par exemple, devenir l’heureux propriétaire d’une (vieille) 2 CV pour la modique somme de «deux francs cinquante»...

Fred - 8 bulles

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le 12 avr. 2023

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