Sentir, deviner, explorer...

On devrait parler de peinture plutôt que de dessin car ici point de traits et encore moins de ligne claire. Touches et aplats de couleurs sculptent personnages et paysages non sans un certain surréalisme. En effet, les personnages comme les objets se trouvent souvent déformés par d'improbables mouvements ou perspectives. On comprend vite que l'auteur n'est pas à la recherche d'une description détaillée et précise pas plus qu'attiré par une virtuosité académique. On n'est pas tant dans la photographie que dans une radiographie qui chercherait à donner une idée plus juste du fond plutôt que de la simple forme.

Audrey Spiry, l'auteur, cherche davantage à stimuler nos sens qu'à nous livrer une vérité objective de l'environnement et de ses protagonistes. Sentir l'atmosphère, deviner les sentiments, explorer les humeurs reste préférable à une réalité qui ne laisse rien suggérer qui impose plutôt que ne suppose.

Avec ce récit, le lecteur aura donc tout le loisir de se perdre dans toutes sortes de sensations et d'interprétations poussées par un dessin libre et ouvert.

Les couleurs chaleureuses et flamboyantes apportent lumière et dynamisme. Elles aident grandement à ressentir les éléments environnant - la chaleur de l'été, la fraîcheur de l'eau - tout comme les émotions des personnages - la peur, la joie, l'excitation, la quiétude.

Pour justifier un graphisme aussi particulier, il fallait certainement un sujet tout aussi particulier. Une BD dont l'action principale se passe au cœur d'une rivière lors d'une séance de canyoning, voilà qui n'est pas banal ! Le lecteur est ainsi embarqué dans une longue balade à suivre les méandres d'un torrent de montagne avec ses obstacles tels que cascades, toboggans naturels, rochers à escalader et autres passages aquatiques. Si de plus en plus de BD traitent de sujets d'actualité sous forme documentaire, J'en connais finalement peu qui traitent d'activités sportives et outdoor (même si je pense toutefois à l’inégalable Le Sommet des Dieux).

L'intérêt pour le lecteur est alors de découvrir un univers parfois original surtout si cet univers est suffisamment documenté. C'est ainsi que les séries TV ayant pour cadre le milieu hospitalier ont connus un certain succès. Installer son intrigue (même légère) dans un cadre existant permet de profiter des règles établies, des pratiques spécifiques, bref, c'est une façon de créer de la nouveauté facilement sans avoir à tout inventer comme doit le faire, par exemple, la science fiction.

Toute la difficulté est de rester crédible avec une bonne connaissance du milieu sans pour autant laisser l'intrigue écrasée par une tonne de détails propres aux spécialistes du genre qui apprécieront certainement mais dont les précisions nuiront à tous les autres.

A la lecture de cet ouvrage, je ne serais pas surpris que l'auteur se soit très probablement exercé au canyoning ne serait ce que par la diversité des expériences relatées qui se focalisent davantage sur les émotions que sur les aspects techniques d'une telle activité.

Au fil de la balade aquatique, on comprend peu à peu qu'avec cette sortie hors des sentiers battus se joue quelque chose de plus important que le simple plaisir sportif. On comprend alors que cette exploration tient plus de la métaphore que de la description technique d'une pratique outdoor. On comprend ainsi le choix du dessin si onirique qui dépeint davantage l'intérieur des corps que leur plastique extérieure.

On pourrait résumer cette histoire comme la dernière chance pour un couple de continuer ensemble. Car finalement c'est bien d'une histoire d'amour que nous conte ce récit atypique. Tout ça pour ça diront certains déçus ?!

Si je n'ai pas été spécialement séduit par le second niveau de lecture je dois cependant dire que suivre simplement les déambulations de nos personnages le long de cette rivière m'a offert suffisamment d'intérêt, de surprise, d'étonnement et de plaisir pour recommander sans hésiter le plongeon dans cette lecture rafraîchissante et séduisante.