Epiphania, tome 3
7.1
Epiphania, tome 3

BD (divers) de Ludovic Debeurme (2019)

Avec une tension qui avait atteint son point culminant à la fin du deuxième tome en nous laissant sur le qui-vive, c’est avec une certaine impatience qu’on l’attendait, le dernier épisode du triptyque hors-normes de Ludovic Debeurme. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le résultat est pleinement à la hauteur des attentes.


En s’inspirant des comics américains, l’auteur de « Lucille » (primé à Angoulême) a produit une œuvre tout à fait étonnante. Avec « Epiphania », il ne s’est pas contenté de singer la production d’outre-Atlantique même s’il en reprend une bonne partie des codes. Au contraire, il s’est efforcé d’intégrer le genre à son univers très particulier, qui évoque par certains moments celui de Charles Burns, en plus optimiste.


Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans son trait, plus réaliste que dans ses œuvres précédentes, mais qui en a conservé l’étrangeté et le minimalisme fragile. En narrant l’épopée des Epiphanians, Debeurme semble totalement pris d’empathie pour eux, révulsé lui aussi par la bêtise des humains, qui acceptent mal les « difformités » de ces êtres parias. Dans ce dernier tome, c’est un véritable feu d’artifice graphique qui, dès le premier tiers du livre, va se déployer sous nos yeux ébahis. Avec la chute d’une nouvelle météorite, la narration va évoluer de pair avec la structure visuelle. D’abord centrée sur les protagonistes et leurs altercations résultant de l’attentat manqué, sur un rythme échevelé, elle va prendre par intermittence la forme d’une suite de tableaux bibliques spectaculaires, destinées à situer le contexte général. Un contexte perturbé par ladite catastrophe, qui a son tour, telle une répétition de l’Histoire, va générer cette fois des géants, qui comme les Epiphanians, vont sortir de terre, provoquant un chaos apocalyptique. Mais la suite réservera bien d’autres surprises au lecteur, avec certaines planches suscitant autant la sidération que l’émerveillement. Le jeu des couleurs, lui, s’est affiné. Sans souci de crédibilité, les tonalités artificielles créent une atmosphère irréelle qui contribue un peu plus à nous transporter dans une dimension onirique, loin de notre Terre à terre…


Sur le fond, l’histoire correspond pile-poil à l’esprit du temps, intégrant des préoccupations très actuelles, politiques (la montée de l’intolérance et du fascisme) et, de façon plus suggérée, écologiques. Ces êtres hybrides que sont les Epiphanians, conçus dans la terre nourricière, symbolisent parfaitement la supplique adressée par la nature à l’Homme l’invitant à se reconnecter au monde qui l’entoure. Avec « Epiphania », Ludovic Debeurme nous offre une œuvre ambitieuse particulièrement rafraichissante. Ces teenagers Epiphanians, qui semblent sortir tout droit de « Black Hole », nous tendent un miroir peu reluisant en nous rappelant à quel point nous nous sommes éloignés à la fois de notre humanité et de notre animalité (dans le bon sens du terme), gangrénés moralement par un individualisme forcené, à la faveur d’un système politico-économique inique et corrompu.


Du début à la fin, cette œuvre inspirante n’aura cessé de monter en puissance, telle une fusée larguant successivement, grâce à un timing parfaitement étudié, ses trois étages : un premier qui intrigue, un second qui captive, et enfin un troisième qui émerveille. Il serait vraiment dommage de passer à côté de cette série, une des plus originales et les plus brillantes de la décennie, qui se termine sur des hauteurs célestes.

LaurentProudhon
8
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le 6 janv. 2020

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