Gisèle & Béatrice
6.2
Gisèle & Béatrice

BD franco-belge de Benoît Feroumont (2013)

Réquisitoire très maladroit contre la misogynie

Une bande dessinée qui se veut érotique, engagée, drôle, et qui pour moi rate le coche sur toute la ligne. Le pitch : Béatrice, employée ambitieuse d'une entreprise lambda ne parvient pas à décrocher une promotion, puisque son patron lui fait un chantage sexuel. Elle parvient à le punir en l'invitant chez elle et en lui faisant boire un verre qui le transforme en femme de ménage… plus précisément, en femme de ménage sans papier venant d'un pays de l'Est fictif, la Kholdavie. L'ancien patron misogyne rebaptisé Gisèle va alors peu à peu goûter aux heurs et malheurs d'être une femme soumise, à la merci des hommes et d'un monde patriarcal hostile.


Alors commençons par une chose simple, le scénario tient sur un post-it et les personnages à peine ébauchés n'ont aucune profondeur et n'inspirent aucune sympathie. On comprend vite que l'auteur se veut expéditif et enchaîne les artifices grossiers pour gagner en vitesse (la magie est bien commode dans ces cas-là). Il y a très peu de personnages pourtant, mais ce sont de vraies caricatures de personnes toxiques et malveillantes. Sous couvert de dénoncer le patriarcat, on autorise l'héroïne Béatrice, femme qui se révèle être pourvue d'un pénis (c'est magique on vous dit), à violer son patron qui vient à peine d'être métamorphosé en femme. Très vite, Béatrice va se comporter comme le pire macho criminel que la Terre ait jamais porté, et on se demande jusqu'où ça va aller. Allant de fellations forcées aux plaisirs non consentis, en passant par l'esclavage domestique le plus écœurant par ses humiliations répétées. Pour moi, un héros qui lutte contre le mal ne peut pas gagner en s'y substituant ou en faisant pire. Autrement, ça reviendrait à dire que les féministes veulent juste être des machos comme les autres voire pire. J'aurais préféré qu'elle montre une alternative positive. Mais non, l'héroïne se montre parfaitement ignoble de bout en bout de l'album. Quant à la psychologie de Gisèle, elle est incompréhensible pour ne pas dire absurde. Tantôt elle est dépourvue de libre-arbitre (par magie là aussi), tantôt elle semble consciente de qui elle est, puis on assiste à un sordide syndrome de Stockholm qui nous crée un certain sentiment de malaise. On nous dépeint Gisèle comme une femme qui se résigne et accepte son sort, et mieux, apprécie qu'on la soumette en lui collant des fessées et en lui tirant les cheveux de temps en temps. Ah, et autre chose : son accent de l'Est qui l'empêche de s'exprimer dans un français correct est censé être hilarant. Glottophobie ? D'ailleurs, la Kholdavie son pays d'origine qu'elle n'a jamais connu finalement est sous-entendu arriéré. Racisme, vous avez dit racisme ? Gisèle va évoluer et en fin de compte remettre ses préjugés d'homme misogyne en question et devenir plus compréhensive à l'égard de la détresse des femmes au quotidien. On devine déjà la fin que je ne divulgue pas.


Pour ce qui est des dessins, tout est plutôt laid et basique à mes yeux. Les décors ne sont pas vraiment très fouillés, en extérieur la ville est dessinée de façon très déprimante avec des immeubles gris rectangulaires sans âme qu'un enfant de 5 ans aurait facilement pu mieux faire. Les personnages sont cartoons et caricaturaux, et pour moi ne dégagent aucun érotisme mais plutôt la vulgarité des couvertures de la collection Osez… des éditions La Musardine. Certaines scènes peuvent être excitantes si on retire tout le contexte scabreux des abus à répétition. Mais dès qu'on reprend conscience qu'on assiste à situation d'oppression, sur quelqu'un qui finit par aimer ça, la magie n'opère plus, elle laisse place à l'inquiétude perplexe du lecteur qui se demande où on va avec tout ça. D'ailleurs un troisième personnage va faire les frais de cette morale très bancale qui baigne le récit, il s'agit du pauvre salarié rival de Béatrice, un insupportable lèche-botte qui s'est fait virer par elle lorsqu'elle est récemment devenue patron à la place du patron quand ce dernier est devenu Gisèle (ne me demandez pas comment s'est fait le putsch je crois que l'auteur ne le sait pas non plus). Donc ce lèche-botte veut retrouver son patron porté disparu depuis sa transformation, et finit par rencontrer Gisèle, être très attiré par elle et vouloir la violer à son tour… oui mais attention, là ce n'est pas bien du tout car il s'agit d'un homme qui cherche à violer une femme. Ouf, Béatrice arrive à temps pour l'assommer et l'idée que Gisèle trouve pour le punir c'est… ô surprise ! le transformer en femme de l'Est (décidément). Le pauvre ne va pas connaître un sort aussi "positif" que Gisèle puisqu'il va finir extradé en Kholdavie et prostitué dans un bar à soldats. Hilarant non ?


Mais que veut vraiment nous dire ce livre finalement ? Que les femmes sont toutes des soumises en puissance rongées par le ressentiment ? Que les hommes sont machos, égoïstes et dépourvus d'empathie, et qu'un petit viol ne leur ferait pas de mal ? Que les pays de l'Est sont bien pires que les pays occidentaux ? Qu'aucun espoir n'est permis à une femme ambitieuse dans une entreprise ? Je me demande comment un éditeur a pu valider un projet pareil, ne serait-ce qu'au niveau des dessins, mais surtout de la maladresse du récit. La fable semblait pourtant prometteuse sur le papier, avec le coup du philtre magique qui transforme en femme un homme arrogant, on pouvait faire tellement de choses positives et dépourvues de haine, mais ce n'est malheureusement pas le cas ici.


Dans le même thème, je recommanderais plutôt Peau d'homme de Hubert, qui est pertinent, réellement subversif, mais beau et bienveillant dans l'ensemble, avec des personnages attachants qu'on a aimé vraiment après avoir refermé l'album. Si vous préférez cependant des personnages plats dans un univers sans âme, qui aiment se faire souffrir et qui, pour certains, finissent par aimer souffrir, alors vous pouvez y aller. Maïa Mazaurette a, semble-t-il, validé cet album, je vous laisse en tirer vos propres conclusions.

FlorianEgea
3
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le 8 août 2025

Critique lue 2 fois

FlorianEgea

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