Je sais que je l’ai déjà dit mais je le redis tant ça me saute aux yeux, mais commencer un album de Largo Winch au début des années 2020, ça a toujours une étrange saveur…
Lire ces albums après la crise des subs-primes, l’émergence des GAFAM et la vague #Metoo, ça nous rappelle l’air de rien que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis leur sortie au milieu des années 1990.
Ainsi le Groupe W est-il un holding à l’ancienne, possesseur de biens de production tout ce qu’il y a de plus physiques et terre-à-terre. A sa tête se trouve un gentil milliardaire qui s’achète une belle conscience en déversant son pognon dans des actions caritatives de son choix pendant que, de son côté, Simon exerce son droit de cuissage sur sa secrétaire.
…Une autre époque vous disais-je. (…quoi que.)


Or c’est un con cet aspect là parce que l’air de rien ça m’impacte un peu dans ma lecture, et pas forcément dans le bon sens.
Je me souviens que lorsque j’avais découvert cette saga au moment de sa sortie – et à une époque où je n’étais qu’adolescent – j’étais acquis à la cause de ce dandy débonnaire.
Aujourd’hui, maintenant que je suis devenu un fieffé fonctionnaire remodelé par plus de dix ans d’activisme dans des partis et des syndicats d’obédience socialiste j’ai envie de casser la gueule à ce pauvre type à chaque fois qu’il tente de justifier le fait qu’il refuse de payer des impôts ou qu’il justifie ses dépenses fantasques.
Largo Winch – quand bien même est-il un baroudeur et un aventurier – n’en reste pas moins un gros connard de droitard libéro-libertarien qui entend bien faire ce qu’il veut quand il veut, sans que la collectivité n’ait à lui rappeler à quoi il doit sa richesse.


Et pourtant cela ne m’empêche pas pour autant de finir toujours séduit à la fin.
…Quoique « séduit » est peut-être un bien grand mot. Disons plutôt « convaincu ».
Car oui, même si Van Hamme n’est peut-être pas un auteur du même bord que moi, je dois bien lui reconnaitre un talent certain pour ficeler les intrigues.
Et d’ailleurs, s’il force sur le côté dandy-tout-permis durant ses premières pages, c’est pour mieux en désosser le principe dès les pages suivantes.


Largo s’amuse à nommer des copains irresponsables à la tête de divisions fort lucratives ? …Mais c’est pour mieux découvrir que ces divisions lucratives font leur beurre si des activités peu scrupuleuses.
Simon pelote abusivement sa secrétaire ? …Eh bien ça se retournera contre lui car cette femme est en fait un piège dans lequel il tombe à pieds joints.
…Reste juste cette histoire d’impôts qui ne trouve pas de débouchée. (Mais putain Largo, paye-les tes impôts !)



D’ailleurs, un peu comme lors du tome 2, cet album parvient progressivement à ouvrir la voie vers une lecture plus désenchantée et acerbe du monde de la finance.
Plus l’exploration du Groupe W avance et plus on se rend compte qu’il est pourri jusqu’à la moelle. Pas une branche n’est là pour rattraper l’autre. On est prêt à faire feu de tout bois pour le dieu dollar et l’incantation suprême de la sainte accumulation.
Et même si la critique reste superficielle et trop légère pour que cet univers de Largo Winch plonge pleinement dans les fables cyniques dont Van Hamme est depuis longtemps devenu le roi, d’un autre côté il pose suffisamment d’éléments et de parallèles pour faire que le tome suivant soit en mesure de ramasser potentiellement le jackpot.


Par exemple, la très grande idée de tome reste clairement le personnage de Phaï Tang, le seigneur de guerre thaïlandais. L’air de rien, Phaï Tang est clairement présenté dans ce tome comme un reflet de Nerio Winch. Il parle avec Largo comme un père. Il est à la tête d’un groupe violent et cruel mais s’en lave les mains en prétendant qu’il ne décide pas des règles. Et comme avec Nerio, Largo décide de trahir ce père spirituel en capturant Larsen ; père spirituel qui ne semble d’ailleurs pas lui en vouloir, comme persuadé que cette trahison n’est qu’une étape nécessaire pour que le fils prodigue finisse par comprendre qu’au final, c’est le pater familias qui a raison.


...
L’un dans l’autre donc, au regard du fait que cet « H » soit le premier volet d’un diptyque, il faut tout de même bien lui reconnaitre qu’il s’engage bien mieux que son prédécesseur en la matière : j’ai nommé le triste « O.P.A. »
Donc moi je reste l’esprit ouvert.
Je suis le trafic de près. Et je me dis qu’en suivant la filière de cette came encore un peu trop diluée, il ne serait pas impossible qu’à un moment donné, je finisse par tomber sur un gros album de pure…

Créée

le 29 mars 2021

Critique lue 115 fois

5 j'aime

9 commentaires

Critique lue 115 fois

5
9

D'autres avis sur H - Largo Winch, tome 5

H - Largo Winch, tome 5
mavhoc
7

J'ai pas vu Jamel

Cinquième tome des aventures de Largo Winch, cette fois-ci le groupe W se trouve mêlé à un sinistre trafic de drogue alors que Largo commence enfin à s'habituer à son travail d'homme le plus riche du...

le 28 avr. 2017

1 j'aime

H - Largo Winch, tome 5
Wor
7

Critique de H - Largo Winch, tome 5 par Wor

Cette fois ci, le trafic de drogues vient s'immiscer aux affaires de Largo Winch, et c'est reparti pour des surenchères de complots, avec traitres et tout. Mais ça se lit bien , il y a un bon rythme.

Par

le 14 mai 2017

H - Largo Winch, tome 5
Loki_Asgarder
7

Critique de H - Largo Winch, tome 5 par Loki Asgarder

La DEA pense que Largo Winch est à la tête d'un trafic d'héroïne. Comble de malchance, on lui colle le meurtre de deux policiers sur le dos et il est en cavale. Évidemment, il s'agit d'un complot,...

le 1 juin 2023

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

236 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

206 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

158 j'aime

122