Heidi au printemps
6.5
Heidi au printemps

BD franco-belge de Marie Spénale (2017)

Ce qui frappe d’abord avec Heidi, c’est sa couverture : sur un tapis de fleurs fraîches colorées - déjà porteuses d’un double-sens sexuel imagé et subtil -, deux mains. Deux mains que l’on devine en pleine exploration d’un corps que l’on ne voit pas encore, deux mains adolescentes, hésitantes, dont l’ingénuité est rendue à merveille par le trait épuré quoique fin et précis de Marie Spénale. Le ton est donné. A l’image de cette couverture, l’ouvrage fera montre d’une grande délicatesse tout en faisant tomber les complexes et les mystifications relatives à la sexualité, et ce de façon brillante et maîtrisée.


Qui aurait imaginé qu’Heidi, née sous la plume de l’autrice suisse Johanna Spyri dans les années 1880, puisse un jour s’éveiller à la sensualité ? Figée pendant plus d’un siècle sous l’apparence désuète d’une fillette des alpages dévouée à son grand-père adoré et gambadant avec ses chèvres toute la journée, c’en est fini : désormais, Heidi est une jeune femme, et elle se rebelle. Lassée des éternels paysages de son enfance et avide de découverte, elle commence par celle de son propre corps, puis celui de son ami d’enfance Peter, le petit berger du coin lui aussi devenu jeune homme. Mais comme toute exploration, la recherche de son plaisir lui réserve quelques déconvenues. Loin de décourager Heidi, cela va au contraire l’encourager à s'émanciper davantage et à emprunter les routes séduisantes et inconnues de l’indépendance.


L’un des principaux points forts de ce bel album en forme de conte initiatique réside dans sa manière d’aborder des thèmes trop souvent tabous sans une once de lourdeur ou de clichés. Je pense que c’est en partie imputable au dessin à la fois enfantin et maîtrisé de l’autrice : en reprenant certains codes du conte - temporalité étalée, intervention d’éléments fantastiques dans les fantasmes et les angoisses d’Heidi… - elle parvient à les utiliser pour prôner une vision moderne et féministe de la sexualité. Notons d’abord une représentation picturale sans fard de ces premiers émois, que je qualifierais presque de « crue » bien que je trouve le terme un peu fort. Car après tout, il ne s’agit « que » de corps nus d’adolescents, et en les représentant de la manière la plus fidèle et objective possible, il s’agit de lever le tabou de la nudité, et notamment dans le cadre de la sexualité : Spénale introduit dans son dessin des éléments trop souvent omis dans les représentations de l’acte sexuel - notamment au cinéma : l’anatomie relativement précise des sexes, les restes de semence… le tout abondamment saupoudré de fleurs tout au long de l’album, fleurs dont la dimension métaphorique évidente mais souvent pudibonde (« il l’a déflorée ouloulou ») est là encore renversée. Egalement, on note aussi dans ce travail de démystification certaines cases aux relents militants subrepticement glissées dans l’album qui seraient probablement salvatrices pour les jeunes lecteurs.trices en pleine découverte de leur sexualité, comme le moment où Heidi se révolte contre Peter qui ne pense qu’à son propre plaisir, sans accorder la moindre importance à la satisfaction de sa jeune partenaire. L’insertion de tous ces éléments dans l’univers intemporel et désuet des contes enfantins ne renforce que mieux le propos.


L’idée de départ de l’album aurait tout à fait pu produire un ouvrage racoleur et tarte-à-la-crème. Il n’en fut rien. Portée par un dessin tout en douceur et en simplicité, c’est une véritable épopée de passage à l’âge adulte par l’éveil à la sensualité qui nous est ici contée. A lire, "juste" pour le plaisir.


(L’album est estampillé au « contenu explicite ». Mais selon l’avis de l’autrice, il est accessible aux grands adolescents à partir de 15 ans, avis que je partage.)

lucielgt
8
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le 18 août 2017

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