Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2015, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Declan Shalvey, avec une mise en couleurs réalisée par Jordie Bellaire. Les couvertures ont été réalisées par Shalvey.


Dans l'hôpital de Sawlung, Maria Kilbride se dirige difficilement vers la fenêtre en s'appuyant lourdement sur sa canne, alors qu'un commentaire remarque qu'il ne reste plus grand chose en elle. Elle se rend à un entretien avec une vieille femme avec un chignon, désignée sous le nom de Control. En réponse à la question de Control, elle lui demande un sandwich puis se lance dans une explication sur son identité et sur l'évolution de la signification du sigle FPI, voulant aujourd'hui dire Force Projection International. Control lui explique qu'elle a besoin d'elle pour retrouver un artefact exploitable et un individu. Kilbride redemande un sandwich. Control fait une référence à un événement passé, la dissolution de la CCCU (Cultural Cross-Contamination Unit) et sa concomitance avec le début d'apparition de phénomènes surnaturels. Maria Kilbride retourne dans sa chambre et se souvient de l'arrivée de Robin Morel (cunning man, esotériste, chaman, philosophe) au sein de la CCCU où il fut accueilli par Maria Kilbride (professeur de sciences appliquées), Brigid Roth (informaticienne, spécialisée dans les intelligences artificielles), Simeon Winters (logicien, éthicien, détective), Vivek Headland (stratégiste + agent de terrain). Puis Maria Kilbride appelle Brigid Roth pour qu'elle la mette en contact avec Robin Morel.


Robin Morel est en train de se promener en pleine campagne, ce que le commentaire qualifie comme étant les veines et les artères de la Grande Bretagne. Il est interrompu dans sa marche par la Secrétaire permanente du Parlement du Ministère du Temps et des Mesures. Après avoir échangé quelques phrases sur leurs origines respectives (anglaise et galloise), elle lui propose de rejoindre une organisation appelée Breaker's Point, offre qu'il décline. Elle insiste en lui rappelant qu'il fait partie de la lignée des Cunning Men. Après un moment d'énervement, il préfère s'éloigner en réfutant sa condition de Cunning Man. Maria Kilbride est sortie de l'hôpital et est assise à l'arrière d'une voiture qui l'emmène dans l'installation du FPI abritant les locaux de l'Annexe de l'Archéologie Exploitable. Elle reçoit des informations du laborantin qui l'accueille : tout a commencé quand un archéologue a projeté du son sur une pierre ouvragée trouvée à Pennwith. En fait 3 personnes ont été portées disparues : l'archéologue et 2 gardes de la sécurité. Maria Kilbride pénètre dans la pièce où les événements ont survenu, découvrant un paysage baignant dans la pénombre avec un sol parsemé d'excroissances phosphorescentes, peut-être végétales.


Warren Ellis, Declan Shalvey et Jordie Bellaire avaient déjà collaboré pour les 6 épisodes de Moon Knight All new Marvel now 1 en 2014, imaginant une version de Moon Knight plus actuelle, à la fois plus terre à terre et plus mystérieux. Dans la foulée, le scénariste avait recommencé à écrire des comics indépendant en lançant la série Trees illustrée et mise en couleurs par Jason Howard. En entamant ce tome, le lecteur découvre une histoire qui n'a rien à voir avec Trees, mais dont certaines caractéristiques évoquent 2 séries antérieures. Sous un certain angle, les capacités des membres de la CCCU peuvent évoquer pour partie celles de quelques-uns des membres de The Authority, dessiné par Bryan Hitch. Sous un autre angle, le lecteur peut avoir la sensation que les missions effectuées par les membres de la CCCU s'apparentent à celle de l'équipe Planetary. Ces impressions sont bien réelles, mais elles n'impliquent pas qu'il s'agit d'une redite et il n'y a pas de superhéros en costume. En découvrant que certaines scènes bénéficient d'une voix off, le lecteur pense aussi à un dispositif similaire utilisé par Ellis dans l'extraordinaire Supreme: Blue Rose illustré par Tula Lotay. Là encore le lien reste cosmétique car le sens de ces commentaires est totalement différent.


Qu'il soit un lecteur avide des œuvres de Warren Ellis ou non, le lecteur se rend vite compte qu'il n'a d'autre choix que de se livrer à la narration du scénariste qui utilise une savante alternance de scènes au présent et passé comme structure. Au temps présent, il découvre ce que font les 5 ex-membres de la CCCU ; au temps passé, il découvre comment le groupe s'est constitué et quel était son objectif. Il faut un peu de patience pour disposer d'assez de pièces du puzzle et comprendre ce qui se trame. Ce montage permet à Ellis de faire apparaître l'étrangeté des situations que le lecteur ne peut pas encore comprendre. Comme d'habitude il se repose sur fortement sur le dessinateur pour porter la narration et rendre ses concepts convaincants. Jordie Bellaire a fortement progressé depuis ses précédentes productions, sa mise en couleurs donnant une impression d'évidence naturelle. Elle applique les couleurs de manière assez simple en respectant les traits de contour sans dépasser, en faisant attention à ce que des couleurs pour des formes contiguës permettent de les faire ressortir l'une par rapport à l'autre, sans qu'elles ne jurent. Elle effectue également un travail très léger pour rehausser discrètement le relief de certaines surfaces ou la texture d'autres. Elle utilise les effets spéciaux infographiques avec parcimonie, essentiellement pour la luminescence. Elle peut aussi bien utiliser des aplats unis pour le vert de la campagne dans une vue aérienne, qu'une mise en couleurs très minutieuse pour les différentes teintes d'une façade. Il faut vraiment que le lecteur concentre son attention dessus pour se rendre compte des quelques moments où Bellaire s'écarte d'une approche naturaliste pour créer une forme de glissement vers un monde un peu moins réel, un peu plus spirituel ou artificiel.


Si Warren Ellis a décidé de retravailler avec Declan Shalvey, c'est qu'il avait dû être satisfait de sa prestation pour Moon Knight. En effet, c'est un scénariste très exigeant, à la fois parce qu'il conçoit des séquences visuelles ne souffrant pas les dessins stéréotypés, mais aussi parce qu'il se fait un point d'honneur à écrire une séquence muette par épisode ou presque. Dans l'épisode 2, Shalvey doit mettre en scène un combat muet sur 4 pages, dans une grande cuisine. L'affrontement physique est un grand classique des comics d'action, ce qui augmente le risque de clichés visuels. Or là, le lecteur assiste à un échange de coups aussi violents que rapides, avec des mouvements prenant en compte les obstacles dans la pièce, et des personnages ayant la présence d'esprit d'utiliser les accessoires s'y trouvant. Il ne s'agit pas tant d'une chorégraphie que d'une séquence de prise de vue rigoureuse et intelligente, efficace et bien rythmée. Le dessinateur doit également relever le défi de représenter les paysages surnaturels dans lesquels se retrouve Maria Kilbride, ce qu'il fait avec une force de conviction peu commune, sans en rajouter pour épater la galerie, tout en conservant une originalité suffisante. Sur le plan spectaculaire, le lecteur a le souffle coupé quand il découvre Robin Morel dissipant une illusion par la force de sa conviction, pourtant un concept pas simple à donner à voir dans ce cas précis.


Declan Shalvey s'avère tout aussi à l'aise pour des séquences plus banales comme une promenade dans les champs, ou un déplacement en voiture. Bien évidemment chaque personnage dispose d'une apparence spécifique qui le rend facilement identifiable, sans qu'il n'en devienne caricatural, ce qui n'exclut pas une forme de théâtralité quand il s'y prête, par exemple pour la première apparition de Simeon Winters. Tout comme la colorisation de Jordie Bellaire, la narration visuelle de Declan Shalvey va tellement de soi, que le lecteur ne résiste pas au plaisir de revenir en arrière d'une ou deux pages de temps à autre pour revoir comment l'artiste a ainsi réussi à l'emmener ailleurs sans qu'il s'en aperçoive. Cela peut se produire lors d'un glissement du réel vers une réalité différente, comme quand Robin Morel s'allonge sur son lit d'hôtel et que la pénombre s'installe progressivement. Cela peut se produire de manière beaucoup plus insidieuse comme dans le chapitre 5 quand les membres de la CCCU discutent entre eux et que les environnements en arrière-plan se modifient de manière subtile et élégante. Même s'il se sent perdu au départ, le lecteur éprouve déjà un plaisir ineffable grâce à la narration visuelle.


Au départ, Warren Ellis donne une vague impression de se reposer sur ses lauriers, en ressortant le concept d'explorateurs de l'étrange ou du surnaturel, avec une louche de folklore britannique pour faire bonne mesure, et des individus étant des génies chacun dans leur domaine. Il lie tranquillement magie et science dans le concept dénommé Injection qui ne semble pas si innovant que ça une fois expliqué par l'un des membres de la CCCU. Là où Warren Ellis fait la différence par rapport à d'autres auteurs, c'est dans la cohérence et l'intelligence de ce qu'il imagine. L'Injection en elle-même n'est peut-être pas révolutionnaire comme concept, mais la manière dont elle est élaborée par les 5 membres de la CCCU la rende à la fois plus plausible et à la fois plus imaginative. Un scénariste moins cultivé aurait eu les pires difficultés à différencier les applications des capacités de chacun des 5 membres, alors que les dialogues d'Ellis mettent en lumière ses différences entre leurs compétences. Il sait aussi leur donner de l'épaisseur dans leur propos qui ne sont pas interchangeables, et glisser quelques pointes d'humour assez noir (par exemple, Brigid Roth suggérant de débrancher et rallumer un individu électrocuté). Dans le même ordre d'idée, le scénariste sait tisser des liens entre magie et science, en utilisant des notions scientifiques précises et identifiables telles que le test de Turing ou les quatre forces fondamentales (l'interaction nucléaire forte, l'interaction électromagnétique, l'interaction nucléaire faible, la gravitation). Il ne s'agit pas de propos volontairement incompréhensibles dans lesquels surnagent quelques mots à la mode, mais d'une direction prospective scientifique agrémentée d'une couche d'anticipation pertinente.


Ce premier tome est une petite merveille de narration sophistiquée, aux visuels séduisants et envoûtants. Ainsi plongé aux côtés d'individus remarquables et faillibles, le lecteur se laisse mener dans une intrigue intelligente qui se dévoile progressivement, dans un mystère mêlant anticipation et folklore pour un questionnement sur la stagnation de l'innovation et la nécessité d'agir malgré le coût pour les individus.

Presence
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le 1 août 2019

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