Ce tome fait suite à Kill or be killed T01 (épisodes 1 à 4) qu'il impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 5 à 10, initialement parus en 017, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser.


Dylan se tient assis sur les toilettes d'un petit restaurant, dans son sweat à capuche, avec son foulard rouge devant la bouche, en tenant un fusil à pompe dans les mains. Il est en train de penser combien les conditions de naissance d'un individu le prédestinent à une certaine forme de vie. Un individu (Barry Jameston) en costard cravate entre dans les toilettes, et essaye la porte du box qu'il trouve fermée. Il se rabat sur l'urinoir. Dylan sort des toilettes et l'abat à bout portant. Le policier qui était dans la salle du restaurant surgit devant la porte des toilettes et le couche en joue. Dylan revient à quelques semaines en arrière dans sa narration, alors qu'il prenait des cours e boxe, pour éviter de se retrouver à se faire démolir le portrait par la première prostituée venue. Après son entraînement, il rentre chez lui, où il retrouve Mason avachit devant la télé, sans plus de motivation depuis que Kira a rompu avec lui. Dylan revoit encore Kira une fois par semaine pour prendre un verre et parler littéralement de la pluie et du beau temps avec elle. Le mois dernier, il avait abattu sa victime dans la rue, avec un pistolet muni d'un silencieux : un empoisonneur de chiens.


Le soir dans sa chambre, Dylan a l'impression que le démon vient lui parler et le rabaisser. Le lendemain, il se rend à une nouvelle séance d'entraînement de boxe où il passe sa frustration sur son partenaire. En sortant du gymnase, il tombe nez à nez avec Daisy, une de ses ex qu'il accepte de revoir pour prendre un café. Non loin de leur table, il repère Barry Jameston, un col blanc ayant rendez-vous avec son avocat d'affaires. Il se souvient qu'il avait été condamné dans une affaire de système Ponzi pour lequel il n'a écopé que de 4 ans, alors que ses clients floués y ont laissé leurs économies. Dylan écoute d'une oreille distraite la conversation de Daisy tout en observant Barry Jameston du coin de l'œil. Il se dit qu'il a trouvé sa prochaine victime. Il le suit pendant les jours qui suivent et se rend compte que les journées de sa cible suivent une organisation immuable.


Après un premier tome très alléchant, il était hors de question que le lecteur ne revienne pas pour connaître la suite des exécutions réalisées par Dylan, plus ou moins sous substance médicamenteuse. Il découvre la situation de départ, aussi explosive que celle du premier tome, alors que Dylan s'apprête à commettre son meurtre du mois pour satisfaire le démon qui l'a sauvé du suicide. Dylan continue donc son action de vigilant, exécutant un individu qu'il estime le mériter par mois calendaire, généralement la dernière semaine du mois. Il retrouve sa vision désabusée de la société, où les tribunaux sont bien incapables de punir les coupables à la hauteur des crimes dont ils se sont rendus coupables. Il retrouve également la dimension surnaturelle qui progresse peu dans ce tome, avec 2 ou 3 apparitions d'un démon dans ce tome, et toujours le même jeu sur la réalité de cette créature : peut-être à prendre au premier degré, peut-être à voir comme une manifestation de l'état mental de Dylan. Sean Phillips insiste sur les ténèbres dont elle est constituée, comme si elle aspirait toute lumière autour d'elle. Ed Brubaker insiste sur la manière dont elle houspille Dylan, et il en rajoute une petite couche avec une évocation de la position de Carl Gustav Young sur l'existence de phénomènes surnaturels, tout en indiquant que ce souvenir de Dylan est fortement sujet à caution.


Les auteurs continuent également de développer l'étude de leurs personnages, essentiellement Dylan et Kira. Le récit continue de se focaliser sur le parcours du premier, sa façon de se montrer méthodique, sa propension à la déprime et à une forme de résignation. À nouveau, il professe son écœurement devant les travers les plus méchants de l'humanité, et son incapacité à mettre hors d'état de nuire les individus toxiques pour la société. Sean Phillips continue de dépeindre Dylan, comme un jeune tout ce qu'il y a de plus normal, sans capacité physique extraordinaire, avec une petite vie d'étudiant. Le lecteur apprécie de retrouver sa chambre, sa colocation, les rues de New York, et de l'accompagner dans des lieux différents, comme le pavillon de sa mère en banlieue, la bibliothèque municipale, ou encore le van de Rex (Arnold Rexford) son dealer de médicaments. Le lecteur retrouve les dessins très sophistiqués de l'artiste, capable de passer d'une impression de photoréalisme (les rues de New York, la bibliothèque), à des cases aux arrière-plans très simplifiés, sans solution de continuité. Il peut se projeter dans chaque endroit, laisser son regard errer sur les détails prosaïques (le modèle d'urinoir dans les toilettes, les tables de travail dans la bibliothèque), ou n'y prêter aucune attention s'il préfère privilégier la vitesse de lecture. La qualité d'immersion est vraiment extraordinaire, encore rehaussée par la mise en couleurs d'Elizabeth Breiweiser, toujours un peu cafardeuse (pour renforcer l'état d'esprit de Dylan), faisant ressortir avec efficacité les différents plans au sein d'une même case, ainsi que les différents éléments, les uns par rapport aux autres.


Le récit continue également dans le registre de la comédie dramatique, plutôt noire. Outre le parcours sans retour de Dylan, et sa vision négative de la vie, le lecteur se retrouve confronté à ses relations avec Kira et Daisy. Avec la première, il fait tout pour éviter de l'impliquer par peur des conséquences pour elle, se coupant ainsi de la seule personne pouvant potentiellement l'écouter et le soutenir. Le lecteur peut voir le naturel avec lequel ils se parlent dans le café, mais aussi la retenue qui fait qu'ils évitent des sujets trop personnels ou des confidences. Dans le dernier épisode, Sean Phillips fait preuve d'une excellente direction d'acteurs, le lecteur voyant les sentiments et l'implication de Kira pour Dylan, ainsi que la position défensive de ce dernier qui fait tout pour rester à distance de cette implication émotionnelle. En parallèle de cet éloignement, les auteurs mettent en scène le rapprochement entre Daisy et Kira. En observant les comportements montrés dans les dessins, le lecteur voit qu'il ne s'agit pas du tout du même type de relation, que Daisy se montre ouverte et honnête vis-à-vis de Dylan, profitant du plaisir de l'instant, alors que le langage corporel de Dylan reste plus réservé. À nouveau, Sean Phillips fait beaucoup plus que simplement illustrer le scénario, en apportant des éléments de narration au travers de ses dessins.


Le lecteur se rend compte que les auteurs développent aussi par petites touches, la relation de Dylan avec les médicaments, ainsi que sa relation avec les peintures de son père. Il absorbe ces informations, tout en restant captivé par l'intrigue. Les auteurs donnent en effet la priorité à l'histoire, aux décisions de Dylan, à ses actes et à leurs conséquences. Il continue à devoir trouver des criminels s'en étant tirés à (trop) bon compte dans le système judiciaire, pour les exécuter à raison d'un par mois. Ed Brubaker ne choisit pas la solution de facilité d'établir une source automatique pour ces cibles potentielles. Dylan doit faire preuve d'inventivité et de ressource. Le scénariste développe également la manière dont Dylan choisit ses armes, accomplit ses exécutions, et parfois rate son coup. Il montre comment la police essaye de faire sens de ce qu'elle trouve : cadavres, modus operandi, et d'en déduire un motif. Il prend également la peine d'expliquer comme Rex (Arnold Rexford) a établi et fait fonctionner son petit trafic. Le résultat est assez déstabilisant du fait de l'écart entre cette approche prosaïque et plausible et l'élément surnaturel. L'intrigue reste prenante et haletante, en équilibre entre la catastrophe annoncée, et une réelle progression de Dylan dans sa croisade.


Les auteurs surprennent le lecteur en développant 2 personnages. Il y a Lily Sharpe, l'inspectrice de police qui est persuadée d'avoir détecté les agissements d'un vigilant, mais dont la position au sein de son commissariat (une pièce rapportée lors d'une phase de lutte contre la corruption) en fait une paria que personne ne souhaite écouter. Ed Brubaker en profite pour tourner en dérision l'expertise de certaines équipes spécialisées, trop obnubilées par leurs méthodes scientifiques et académiques, pour avoir un regard pragmatique sur les faits évidents. Sean Phillips dresse un nouveau portrait de femme un peu désabusée, mais toujours combative et motivée, avant tout un professionnel faisant de son mieux avec sa situation peu favorable. Le lecteur est encore plus surpris par la tournure que prend l'épisode 7, entièrement dévolu à Kira. Le temps d'un numéro, ils abandonnent Dylan et sa croisade, pour se focaliser sur son amie, sa situation personnelle, son histoire familiale. Ils en avaient déjà abordé un aspect très inattendu dans le premier tome : les pratiques sexuelles de sa mère. Il en est encore question dans ce tome, mais plus sous la forme affective, quand elle déclare savoir mieux entamer des relations avec des hommes, que les entretenir dans la longueur. Avec les difficultés de Kira à faire face à la situation de sa mère, la souffrance émotionnelle de son père, les auteurs nourrissent la dimension dramatique du récit, la douleur générée par les relations entre individus. Le lecteur en déduit que Kira est un personnage principal au même titre que Dylan, et que le thème principal du récit sur l'injustice, se double d'un thème sur les relations amoureuses.


Au fil des épisodes, le lecteur constate également que les auteurs continuent de jouer avec les formes de la narration. Comme dans le premier tome, il retrouve quelques pages construites sous la forme de courts paragraphes de texte dans la partie gauche de la page, venant commenter ou compléter les dessins se trouvant dans la partie droite de la page. L'épisode consacré à Kira est bâti pour plus de la moitié sur des souvenirs photographiques, comme si le lecteur feuilletait un album photo de la famille, avec les commentaires de Kira en vis-à-vis de chaque cliché. Ed Brubaker joue également avec le lecteur, sous une autre forme. Ce dernier continue de découvrir les pensées intérieures de Dylan dans des cellules de texte, comme s'il s'adressait directement à lui, ou à un interlocuteur invisible. À 2 reprises, Dylan attire l'attention de son interlocuteur fictif sur le fait qu'il va vraisemblablement oublier un détail qu'il lui explique, alors que celui-ci aura son importance par la suite. Quand vient le moment de valoriser ce détail, Dylan le rappelle au lecteur, produisant un effet à la fois de raillerie vis-à-vis du lecteur, et de mise en lumière d'un artifice, dans un effet de narration consciente d'elle-même.


Ce deuxième tome est aussi riche, passionnant et captivant que le premier, que ce soit pour l'intrigue, pour la sophistication discrète de la narration visuelle, pour les personnages complexes, ou pour le regard teinté de noirceur porté sur la société et la condition humaine.

Presence
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le 2 sept. 2019

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