Klaus
6.8
Klaus

Comics de Grant Morrison et Dan Mora (2015)

Pourquoi par la cheminée ?

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 7, initialement parus en 2015/2016, écrits par Grant Morrison, dessinés et mis en couleurs par Dan Mora. Il comprend les couvertures originales de Dan Mora, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Felipe Smith, Frazer Irving (extraordinaire), Chris Burnham, Cully Hamner, Vanesa R. del Rey, David Rubín. Les mêmes auteurs ont depuis réalisé d'autres aventures du personnage.


Il était une fois un pays enneigé, où un trappeur tirait son traîneau dans les bois en se dirigeant vers la ville de Grimsvig. Klaus se présente aux portes de la ville, où les 2 gardes en faction acceptent de le laisser rentrer dans l'enceinte, tout en lui indiquant qu'ils vont inspecter le contenu de son traîneau ultérieurement. Il se rend à la taverne pour demander une bière. Il s'enquiert auprès du tavernier de la raison pour laquelle les habitants ne respectent pas la trêve habituelle de la fête de Yule. Ce dernier lui répond que les hommes sont au travail à la mine parce que la ville a besoin de charbon. Les gardes arrivent sur ces entrefaites et indiquent à Klaus qu'ils ont inspecté son chargement. Ils lui apprennent qu'ils confisquent ses peaux de bête et qu'il est prié de quitter la ville. Pendant la discussion, un garde observe un enfant en train de jouer avec une pierre. Il lui rappelle que c'est interdit et lui porte un coup parce que le gamin ne déguerpit pas assez vite. Klaus se précipite pour protéger l'enfant ; il se fait ruer de coups par les gardes. Ils le conduisent avec les mains liées dans le dos aux portes de la ville, sans son chargement, sans son manteau.


Klaus avance vers le bois en marchant dans la neige. Il s'assoit à côté d'un rocher coupant et commence à y frotter les cordes qui attachent ses poignets. Un des gardes décoche une flèche depuis les remparts, qui vient se ficher dans l'épaule gauche de Klaus. Un groupe d'une demi-douzaine de soldats avancent sur Klaus qui est protégé in extremis par une énorme louve blanche surgissant de nulle part. Elle ronge ensuite les liens de Klaus, et le libère. Dans l'intérieur du château de Grimsvig, le baron Magnus se dirige vers la chambre de son fils Jonas. Ce dernier est en train de détruire un magnifique village miniature estimant que ces jeux sont sans aucun intérêt. Son père lui indique qu'il doit venir à table pour manger avec sa mère Dame Dagmar. Devant un repas de luxe, Jonas se plaint de ses jouets, Magnus explique ses difficultés avec l'intrus, Dagmar répond qu'il aurait pu le garder pour le faire travailler dans les mines. Pendant ce temps-là, uniquement armé d'un couteau, Klaus est en train de livrer un combat à main nue, contre un magnifique cerf, avec l'aide de Lilli.


En découvrant ce projet, le lecteur se dit qu'il y a plus de raisons pour qu'il passe son chemin, plutôt que d'en tenter la lecture. Pour commencer, Grant Morrison est un auteur cérébral et ambitieux, et il n'est pas sûr que le père noël soit un sujet adéquat. Ensuite, le principe même de la jeunesse du père noël semble aussi intrigante que celle d'une cafetière. Enfin, l'éditeur Boom Studios est spécialisé dans les récits tout public, avec de temps à autre des récits adultes, et l'enfance de ce Klaus ne semble intéressante ni dans une approche, ni dans l'autre. De séquence en séquence, le lecteur se rend compte que Grant Morrison a adopté une écriture tout public, à la fois pour la linéarité de l'intrigue, pour la simplicité des situations et des personnages, pour des dialogues accessibles à tous. Ensuite, le titre indique bien qu'il ne s'agit pas de l'histoire du père noël, mais de celle de Klaus, comme dans Santa Claus, c’est-à-dire l'appellation anglaise de Saint Nicolas. En fait, il ne s'agit pas du tout de l'histoire d'un saint de l'Église, mais beaucoup plus de celui d'un individu qui distribue des cadeaux à Noël, en les déposant par la cheminée.


À bien y regarder, Grant Morrison sait adroitement louvoyer entre les écueils liés à la religion. L'histoire ne se passe pas à Noël, mais à l'occasion de la fête de Yule, c’est-à-dire une fête du solstice d'hiver occidentale préchrétienne. En fait, l'histoire se déroule dans une époque évoquant le bas moyen-âge, et il y a bien une église au sein de l'enceinte de la ville de Grimsvig. Le prêtre apparaît le temps de 2 pages dans l'épisode 3 et il est question de la cloche de l'église. Pour le reste, Klaus n'est aucunement lié à la religion catholique, le scénariste utilisant une croyance païenne, en tant que ressort narratif, sans aucune conviction spirituelle. Du coup, le lecteur a l'impression de découvrir un nouveau personnage, plutôt que les origines secrètes du père noël. Bien sûr, il observe comment Klaus en arrive à distribuer des jouets par la cheminée, mais sans cette image de vieux barbu débonnaire, sans consumérisme, sans bons sentiments dégoulinant de mièvrerie. Enfin, l'auteur se contente de raconter un bon récit d'aventures, avec de l'action spectaculaire, un héros avec des valeurs morales, et un soupçon de merveilleux, soit une bonne histoire de Noël. En plus, il bénéficie d'un excellent dessinateur.


Dès la première page, Dan Mora emmène le lecteur dans les environs de cette ville sous la neige. Il voit progresser Klaus venant vers lui en marchant dans la neige, dans des cases de la largeur de la page. L'artiste dessine dans un registre descriptif et réaliste, et il utilise toute la largeur des cases pour intégrer des informations visuelles, ne se contentant pas d'une silhouette au centre de la case avançant dans le banc de la neige. Il réalise également la mise en couleurs de manière naturaliste, avec des légères variations dans les nuances d'une même teinte pour accentuer le relief de chaque surface. Il utilise les effets spéciaux de l'infographie avec parcimonie, uniquement pour la manifestation ponctuelle d'éléments surnaturels. Comme le montre la couverture, Mora a choisi une esthétique rappelant les superhéros ou Conan pour représenter Klaus : gros muscles, une épée très longue, des scènes de combats évoquant celles de superhéros dans leur dynamisme et la posture de Klaus. Ce dernier semble insensible au froid, portant des vêtements à manche courte, et ne semblant pas ressentir la morsure de la glace même quand il y est allongé et maintenu sur le dos. Il n'hésite pas à se lancer dans les affrontements physiques, à main nue. Mora et Morrison ironisent même de manière explicite sur le poids important d'une épée que le baron Magnus n'arrive à soulever et à manier faute d'assez de muscles.


Dan Mora représente les autres personnages avec plus de retenue, que ce soit les soldats, ou les civils. Il accentue un peu l'allure sinistre du baron Magnus, l'allure pure de Dame Dagmar, l'allure dépressive et colérique de Jonas, ou encore l'allure innocente des enfants de la ville. Il privilégie une direction d'acteur naturaliste, avec uniquement des gestes plus vifs pendant les scènes d'action. La progression initiale de Klaus dans la neige constitue un bon indicateur de l'implication de l'artiste. Tout du long des 7 épisodes, il s'investit de manière patente pour donner à voir Grimsvig et les différents environnements. Lorsque Klaus passe les portes de la ville, le lecteur peut admirer la grand-rue dans un dessin en double page, avec son pavage, ses façades de maison, les toits enneigés, les enseignes en bois, les fanions et les armoiries. Il peut ensuite admirer le gigantisme des pièces du château, et leur froideur. Mora ne s'attache pas à concevoir une architecture intérieure cohérente et rigoureuse, mais plutôt à transcrire l'impression qu'elle produit sur ses habitants. Lors de la présentation de la première fournée de jouets, le lecteur peut les observer un à un et voir qu'ils sont tous différents. Par la suite, il a l'occasion à plusieurs reprises d'admirer les toits de la ville, à nouveau avec des tuiles bien visibles et bien distinctes. Il est émerveillé par la dimension spectaculaire des acrobaties de Klaus pour passer de toit en toit. Il est subjugué par la beauté de l'apparition de la première fournée de jouets. Il reste béat lors de la première apparition du traîneau, et devant les suivantes également.


Dan Mora donne à voir dans le détail les environnements et les personnages, avec un sens du spectacle épatant, et un sens du merveilleux réjouissant. Le lecteur est donc conquis par la viabilité du récit dès le premier épisode, et ravit de ces aventures. Pour son intrigue, Grant Morrison oppose donc le preux Klaus au baron Magnus qui opprime son peuple pour son intérêt personnel. Au fil des séquences, le scénariste introduit de manière organique les éléments attendus, les jouets, leur distribution par la cheminée, le traîneau. Il déroule son intrigue en révélant d'où le baron tire sa puissance, et l'histoire personnelle de Klaus dans cette ville de Grimsvig. Il est question de cette période de l'année qui devrait être propice aux réjouissances (l'esprit de Noël, même s'il n'est pas nommé), ainsi qu'aux cadeaux pour les enfants. Le lecteur retrouve des thèmes très classiques comme l'oppression du peuple, la soif de puissance, l'égocentrisme, le courage, l'entraide. Il note les petits détails qui font que le récit est vraiment tout public, c’est-à-dire qu'il s'adresse aussi aux adultes : le travail dans la mine, la gouvernance déconnectée du peuple, le gavage des enfants, un écartèlement, tout en comprenant bien qu'il est dans un conte ce qui explique que les conséquences ne virent pas au gore ou au sadisme, et que la Famille Brillante derrière les lumières nordiques est un dispositif narratif bien pratique. Il prend petit à petit conscience que le thème principal est la défense de l'enfance, thème filé de manière adroite et élégante.


A priori, ce projet des origines du père noël a plus de quoi faire fuir pour son caractère artificiel, que d'attirer le lecteur, même le fan de Grant Morrison. À la lecture, il se trouve qu'il s'agit d'une bande dessinée bénéficiant d'un artiste sachant raconter les hauts faits de Klaus en pleine force de l'âge, avec une ville médiévale bien décrite, et des séquences spectaculaires, sans tomber dans la moquerie. Grant Morrison a décidé d'écrire une aventure au premier degré, sans intellectualisation, mais sans niaiserie, très divertissante pour elle-même, où il règne un esprit de noël de bon aloi, sans mièvrerie.

Presence
9
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le 8 nov. 2019

Critique lue 195 fois

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