E.P. Jacobs a toujours manié l'art du contre-pied. Sensible aux critiques de ses albums, il a sans cesse cherché à plaire. Aussi, après un opus de science-fiction (trop au goût de certains critiques), le voilà lancé dans un album purement policier. Pour ce faire, il renvoie ses héros en France et les lance aux trousses de ce diable d'Olrik qui fait encore des siennes. Le prétexte est peut-être un peu mince et le scénario guère original, mais la mise en images de Paris et de ses catacombes est remarquable. Elle l'est tout autant que la description de ce monde des gangsters qui évoque ceux qu'on trouvait dans le cinéma de Simonin. Ces deux éléments font la réussite d'un album peu cité parmi les meilleurs de l'auteur alors qu'il démontre sa capacité à créer de formidables ambiances aussi bien dans la création d'incroyables décors que dans le choix d'un vocabulaire propre au milieu de l'époque.


Avec ses personnages typés qu'on aimait croiser dans le polar français des années 1950, on se retrouve immergé dans une atmosphère parfaitement maîtrisée. Olrik en gangster élégant, les flics à la grande gueule sont un formidable hommage au cinéma de l'époque. Au milieu d'un Paris plus vrai que nature, nos deux amis Anglais dénotent forcément. Plus intrépides que jamais, ils permettent de faire avancer l'intrigue en dépit de leurs bonnes manières. On se surprend cependant à relever un Blake quelque peu différent, notamment sur le plan physique. Sa moustache un peu plus longue souligne combien E.P. Jacobs était certainement moins obsédé par ses personnages principaux que par le cadre et les personnages secondaires. On remarque, en effet, parfois que Mortimer lui-même n'est pas toujours aussi jacobsien que l'ont dessiné les repreneurs de la série. Enfin, et ce n'est pas l'une des moindres nouveautés, dans cet opus aux décors très sombres, Jacobs, un peu à la manière de Morris, se passe par moments de fonds pour mettre de la couleur sur ses personnages. Un travail tout en subtilité qui, paradoxalement, renforce le réalisme de l'ambiance.


Peut-être pas le plus abouti au niveau de son scénario (avec une conclusion un peu tirée par les cheveux), cet album est formellement une réussite totale. E.P. Jacobs a ce génie de retranscrire l'atmosphère idéale pour représenter la tonalité qu'il souhaite donner à ses albums. On est forcément loin du Piège diabolique qui conviait H.G. Wells, on est loin du cinéma impressionniste allemand de La Marque Jaune, on est ici dans le polar à la française et, si on tend bien l'oreille, on n'est pas loin d'entendre la voix de Gabin réciter du Audiard. Les amateurs apprécieront.

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le 26 juil. 2021

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PIAS

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