Ah le charme des années 90 !
Mais ce premier tome de « Largo Winch » il transpire de ça par tous les pores !
Il ne suffit que de quelques pages pour se rendre compte qu’on nous parle d’un monde qui n’est plus tout à fait le même.
Une humanité dont on nous suggère qu’elle compte moins de six milliards d’individus.
Une suprématie incontestée et magnifiée du capitalisme américain dominant sur un Occident sans partage.
Un homme qui est le plus riche du monde avec seulement dix milliards de dollars.
Et puis cette culture de mâle alpha totalement assumé. Du muscle, des gnons et de la baise… Et tout ça avec un petit flegme qui n’est pas sans rappeler James Bond…
Bref, on est en plein dans l’univers des années 90 et de Jean Van Hamme…
Et ça fait du bien.


Ça fait du bien parce que déjà, c’est beau.
Moi qui suis en train de me farcir actuellement les « Sillage » et ses pages fadasses faites à la palette graphique dégueulasse, ça me fait du bien de retrouver le trait de Philippe Francq.
C’est à la fois très lisible mais très fouillé. On a des gueules qui ont du caractère et de l’expression. C’est aussi un régal de s’attarder dans ces décors parfois pétris de détails. Surtout que Francq a un vrai sens de l’esthétisme et de la narration.
Chaque page est pensée comme une unité de narration, avec son lieu et ses couleurs.
Et puisqu’on voyage beaucoup avec Largo Winch, parfois on n’hésite pas à marquer les contrastes et les oppositions, tout ça s’orchestrant en fonction de la structure de l’album.
On sait quand le lecteur va se retrouver à tourner une page, alors parfois on marque la rupture avec l’arrivée d’un décor magistral.
Ça marche impeccablement bien parce qu’en plus de ça Francq est un pur bédéiste, il sait donner de la dynamique et de l’intérêt à chaque composante de ses planches.
Ah ça, en termes de simple plaisir formel ce premier tome de « Largo Winch » se pose déjà là.

Et sur ce point Van Hamme a toujours su bien s’entourer et ne m’a jamais déçu.


Niveau intrigue, Van Hamme fait du Van Hamme, avec ce que ça implique de meilleur et de moins bon.
D’abord le moins bon avec cette intrigue qui a encore des airs de série B américaine pétrie de clichés en manquant cruellement d’épaisseur. Même si assez rapidement le vent tourne et Van Hamme rappelle ce qui fait son efficacité.
Il sait faire voyager pour mettre en valeur les qualités du dessinateur qui travaille à ses côtés.
Il sait poser quelques personnages intrigants et des situations qui appellent à nous interroger sur ce qui risque de nous attendre.
Ainsi parvient-il à retourner les clichés en force.
Ce premier opus coche vraiment toutes les cases d’un James Bond / Jason Bourne moderne : avec du seul-contre-tous, des rencontres hasardeuses pour le pire comme le meilleur, et surtout un yoyo constant entre Eros et Tanathos.
On frôle la mort, puis on échoue sur une île de nymphes, puis on refrôle la mort à nouveau…
Van Hamme maitrise vraiment cette mécanique qui consiste à animer ses intrigues de cette pulsion de vie primaire propre à tout bon thriller d’action.


Et puis bien évidemment tout le sel de ce tome-ci repose aussi sur la manière de nous amener le héros éponyme : Largo Winch.
Et pour le coup la formule est aussi rodée qu’efficace.
Largo, à l’image de XIII – autre héros de Van Hamme – est un homme qui intrigue aussi bien pour son passé mystérieux que pour ses capacités redoutables.
Il nous est posé là comme un grain de sable laissé dans une immense mécanique bien plus puissante que lui.
C’est clairement le combat de David contre Goliath. Mais on ne se demande jamais comment David va triompher mais plutôt de ce que va impliquer ou révéler sa victoire.


L’air de rien, dès ce premier tome, Van Hamme parvient à connecter tout de suite le lecteur à un personnage vis-à-vis duquel on va forcément entretenir un rapport ambigu.
Largo Winch, comme tout héros de Van Hamme va fasciner autant qu’il va agacer.
On enviera parfois sa légèreté et cette capacité à tirer profit de chaque situation qui se pose à lui mais d’un autre côté on constatera froidement le fardeau qui se pose régulièrement sur ses épaules.


Et ne serait-ce que pour la capacité de ce tome à poser clairement tout ce que va être cette saga, je trouve qu’il est une vraie et habile réussite.
Quand j’ai refermé cet album. J’étais déjà curieux pour l’avenir de ce héros.
J’avais envie de savoir qui il était vraiment et ce qu’il avait devenir.
J’avais identifié ses amis et m’étais déjà pris d’affection pour eux, tout comme j’avais déjà identifié le Goliath en attendant d’en apprendre davantage.
Et puis surtout j’ai cerné l’état d’esprit global de la saga, j’ai déjà eu un avant-goût de ses charmes et de sa maitrise.
Bref j’étais dans les meilleures conditions pour découvrir la suite.


Eh bah ça, l’air de rien – même quand c’est au service d’une petite série B d’action sans grande prétention discursive – moi je trouve que ça mérite d’être apprécié...

Créée

le 24 mars 2021

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