Quand la société est de droit féminin, l’ordre est souple et les femmes ne dominent pas.

Ce tome est le second d’un diptyque, la première partie étant L'Incroyable histoire du sexe livre 1 : en Occident (2017). Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Philippe Brenot (psychiatre, anthropologue, thérapeute de couple) pour le scénario, par Laetitia Coryn (bédéiste) pour les dessins. Les dialogues ont été coécrits par les deux. La mise en couleur a été réalisée par Isabelle Lebeau. Cette seconde partie compte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, pour sept chapitres.


Inde, la civilisation de l’amour. Au début du troisième millénaire avant J.-C., l’humanité s’organise autour des rives de grands fleuves – l’Euphrate, le Nil et l’Indus – où émergent de grandes cités comme Harappa, et Mohenjo-Daro. À l’image de beaucoup d’autres cultures, le dieu premier est un dieu du Soleil, Surya, qui donne naissance à la divine trinité, le Trimurti : Brahma, Vishnou, Shiva. Selo, la légende, Shiva, dieu phallique tout-puissant, est le créateur de l’Univers. La nuit et l’océan occupaient tous les espaces. Sur les eaux flottait un géant, Vishnou. Tandis qu’il méditait, Vishnou vit fondre sur lui, du fond des ténèbres, un être incandescent de lumière. Brahma l’âme du monde. Les deux dieux se querellaient dans la nuit infinie lorsque jaillit de l’océan un immense phallus de feu qui se mit à grandir de façon gigantesque. Stupéfaits, Brahma et Vishnou le regardèrent monter comme une tour sans fin dont ils ne pouvaient estimer l’immensité. Ils se transformèrent alors en leurs avatars pour tenter d’atteindre ses extrémités et prendre la mesure de cette énormité phallique. Brahma, le jars, planant dans les airs, Vishnou, la tortue, fouillant les entrailles de la mer, sans que l’un ou l‘autre ne puisse atteindre l’extrémité du phallus géant d’où sortit Shiva, la force suprême de l’Univers. Brahma et Vishnou ne purent que se prosterner pour adorer Shiva, le grand créateur.


Moyen-Orient, mille et un sexes – Le judaïsme. Dans le texte fondateur des trois grands monothéismes, le sexe et l’amour surgissent dès les premières lignes avec le trio inaugural : l’homme, la femme et la tentation (le serpent). Au fil des siècles, différentes lectures ont tenté de gommer la représentation des pulsions, mais le sexe y est naturellement présent, comme dans beaucoup d’autres textes anciens fondateurs du judaïsme : la Torah, le Talmud, le Lévitique, le Deutéronome… Après la désobéissance d’Adam et Ève et l’exil du Jardin d’Éden, la Genèse explique que Dieu punit l’humanité par le Déluge dont seuls Noé et sa famille sont sauvés. Noé plante une vigne, devient viticulteur, s’enivre de son vin et s’endort nu sous sa tente. Le texte précise que Cham, son plus jeune fils, vit la nudité de son père, puis appela ses frères, qui couvrirent Noé de leur manteau. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet (Genèse 9:20-27). Plus loin dans la Genèse (19:32), le vin est un puissant allié de la libération des pulsions. Fuite de Sodome par Loth et sa famille. Deux anges viennent les avertir : Fuyez ! Abandonnez tout ! Et ne vous retournez pas ! La femme de Loth se retournant est changée en statue de sel, une façon d’avouer ses péchés.


Le premier tome racontait l’histoire de la sexualité en Europe, et plus précisément en France depuis l’homo sapiens jusqu’à nos jours. Le lecteur salue l’ambition de raconter cette même évolution dans sept autres pays, régions ou continents en un seul chapitre comprenant entre treize et vingt-cinq pages : l’Inde, le Moyen-Orient, l’Afrique, la Chine, le Japon, le continent Américain. Du coup, chaque chapitre est découpé en courts sous-chapitres, de une à quatre pages, avec quelques exceptions comme celui consacré aux Milles et une nuits qui compte neuf pages. Par exemple pour le chapitre consacré à l’Océanie amour et vahinés, les titres des sous-chapitres sont les suivants : origine de l’humanité, la défloration rituelle, les initiations sexuelles, les particularismes sexuels, les écorchures érotiques, le mariage communautaire, le drame de la magie amoureuse, le sperme initiatique, le fantasme vahiné, l’amour missionnaire. Comme dans le premier tome, l’exposé se focalise sur les pratiques sexuelles, avec une richesse remarquable dans la diversité. L’auteur évoque aussi bien des éléments culturels classiques, que des d’autres méconnus. Le lecteur retrouve ainsi des informations sur le Kamasutra, sur les mutilations sexuelles, la sexualité de Mao Zedong, l’art de l’estampe érotique et le fête de la fertilité au Japon, etc. Parmi ceux moins connus : les différentes étapes du rituel de mariage d’un maharadja, érotisme préféministe des Heian, les écorchures érotiques en Océanie, les Hopis agressifs en amour, etc.


À plusieurs reprises, l’auteur revient sur des clichés pour les remettre dans leur contexte, et, le cas échant, dissiper un malentendu ou contrebalancer une idée toute faite. Par exemple, il met en scène l’origine de l’appellation de la position du missionnaire dans le chapitre consacré à l’Océanie. Il revient sur le contenu de l’ouvrage des Milles et une nuits, qui a été expurgé de ce qui est trop intime, immoral ou inconvenant par les tenants d’un Islam rigoureux. La part cachée des Milles et Une nuits parlent d’amour physique, d’homosexualité, d’infidélité, de vengeance et d’exécutions sommaires. Mais aussi de voyeurisme, de fétichisme, d’exhibitionnisme, d’inceste, de pédophilie, de nécrophilie, de zoophilie… Dans le même ordre d’idée, il aborde également la fausse réputation des geishas. La geisha allie le summum du raffinement (coiffure, maquillage), de l’élégance (kimono et sandales surélevées), et de la culture, c’est une véritable artiste. Dès l’âge de treize ans, la novice apprend l’art de la conversation, de la musique, de la danse et du maintien. Elle cultive le mystère et l’érotisme, laisse deviner ses sentiments même si elle ne les éprouve pas. Méticuleusement drapée, la geisha ne laisse entrevoir qu’une partie de sa nuque, ce délicat triangle fardé de blanc, à l’arrière du cou, qui attire tous les regards. La séduction commence là, à la manière qu’a une femme d’entrouvrir le col de son kimono. Mais rares sont celles qui s’adonnent à la prostitution, synonyme de déshonneur et de perte du titre de geisha.


Du fait de la composition de l’ouvrage, la narration visuelle se trouve encore plus soumise au texte que dans le tome un, usant de mise en situation pour incarner l’exposé, et pour apporter des touches humoristiques. L’artiste met à profit les possibilités comiques de la bande dessinée : exagération des expressions des visages pour un effet comique de comédie, jeu sur la taille des attributs sexuels pour jouer sur l’ironie, mise en situation de l’acte sexuel avec réaction décalée pour générer une prise de recul du lecteur, utilisation élégante d’anachronismes pour établir un rapport de comparaison avec l’époque contemporaine, mise à profit de la licence artistique pour créer des objets ou des parures mirifiques (avec une mention spéciale pour le cheval d’un Amérindien appartenant à une des tribus des plaines). Progressivement, le lecteur prend également conscience que les dessins assurent une fonction descriptive très consistante, et pas seulement de rapides esquisses de clichés visuels prêts à l’emploi. L’artiste aménage la densité de ce qu’elle représente en fonction du texte, dans un mouvement de vases communicants, beaucoup de texte et un dessin épuré, peu de texte et un dessin avec de nombreux détails. Ainsi, le lecteur peut voyager dans chacune des régions ou dans les payas évoqués, grâce à l’investissement important pour représenter les décors d’époque et les costumes correspondants également à cette époque. Lors du chapitre consacré au Japon, elle prend visiblement plaisir à imiter les caractéristiques visuelles des estampes dans la manière de dessiner les êtres humains.


Le lecteur constate rapidement que ce second tome comprend régulièrement des représentations d’amour physique plus explicites que dans le premier, en particulier avec de nombreux phallus dressés, et quelques gros plans de pénétrations, là aussi en cohérence avec l’époque évoquée, ce qui ne concerne pas seulement lesdites estampes. À chaque fois, ce choix de montrer se trouve en cohérence avec l’exposé, ne serait-ce que pour le Kamasutra, mais aussi le Manuel de la chambre à coucher en Chine, L’oreiller de Yoshiwara (un guide des quarante-huit positions japonaises de l’amour, avec un très beau rendu en silhouettes), ou encore cette légende des îles Trobirand (en Mélanésie) qui veut qu’à l’origine les humains avaient un sexe si long que, allongé dans son lit, un homme pouvait pénétrer une femme à plus de cent mètres. De chapitre en chapitre, de nombreuses pratiques diverses et variées sont passées en revue, et illustrées, souvent inattendues, l’introduction d’une cordelette (à l’aide d’une tige en ivoire) et ressortie comme un écouvillon dans le pénis du maharadja préparé pour son mariage, à la lutte amoureuse la nuit des noces au Rwanda.


Dans un premier temps le lecteur éprouve un peu une sensation de catalogue du fait de l’ampleur de chaque région ou pays couvert en un seul chapitre, entre recueil d’anecdotes rapides, faits culturels structurants, éléments historiques majeurs. Puis, il se produit le même effet que dans le tome un : la somme des parties dessine progressivement un tout, une approche holistique morcelée à travers ces différentes régions du globe. Il apparaît également des points de comparaison. Le plus flagrant se trouve dans l’origine du monde et des êtres humains : avec le dieu-soleil Surya en Inde, Mumbere l’ancêtre fondateur (fils de l’orgasme) en Afrique, l’œuf cosmique et le géant Pangu en Chine, Izanagi-no-Mikoto & Izanami-no-Mikoto au Japon, le volcan, les deux sœurs et les jeunes filles vierge aux îles Trobriand. En considérant la narration visuelle de chacun de ces mythes, le lecteur se rend compte qu’elle combine une approche respectueuse du texte, avec un humour bon enfant, dépourvu de raillerie ou de moquerie, dans un équilibre sophistiqué. De mythe en mythe, le texte met en évidence les invariants, souvent la domination masculine, et les exceptions, comme la famille matrilinéaire ou les femmes comme premières créatures humaines dans les îles Trobriand.


Au cours de ce tome, le lecteur passe par plusieurs phases. Tout d’abord le plaisir de retrouver la verve de la narration visuelle : agréable à l’œil, savamment dosée par rapport au texte, conçue en phase avec l’exposé, réussissant à le complémenter, donnant à voir sa dimension humaine, grâce à des personnages vivants, de l’humour visuel, et quelques anachronismes révélateurs. Dans le même temps, il se réjouit de pouvoir comparer le développement de la sexualité française, avec celle d’autres régions du monde. Puis il se dit que la pagination de chaque chapitre est trop faible pour pouvoir rendre compte d’un sujet d’une telle ampleur, même si chaque chapitre s’avère très riche. Progressivement, il fait l’expérience de la complémentarité des chapitres entre eux, aboutissant à cet effet de prise de recul par rapport à la France, chaque facette contribuant à construire une vision très complète sur le sujet à partir de tous ces points de vue. Édifiant et fascinant.

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le 28 janv. 2024

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