Ce tome comprend les épisodes 1 à 4, ainsi que l'histoire courte Last call, initialement parus en 2007/2008, écrits, dessinés, encrés, mis en couleurs par Ben Templesmith.


Le 21 juillet 1969, Buzz Aldrin et Neil Armstrong foulaient le sol lunaire. Entendant comme un appel, Aldrin s'éloigna d'Armstrong et eut la vision de calmars géants (avec des yeux rouges) flottant dans l'espace. Au temps présent, dans le bar The dark Alley, Wormwood (un ver extradimensionnel doté de conscience, et habitant l'orbite droite d'un cadavre tiré à quatre épingles) raconte ses souvenirs de l'assassinat de Jules César, à Monsieur Pendulum et Phoebe Phoenix, en éclusant des bières. Ses réminiscences sont interrompues par d'énormes coups portés sur la matière de la réalité. Une entité extradimensionnelle essaye de forcer la barrière entre les dimensions.


Womwood, Pendulum, et Phoenix sortent à l'extérieur pour voir ce qui se passe, accompagnés par Madame Medusa (la tenancière du Dark Alley), et Trotsky, un spectre ayant été inspecteur de police dans sa vie antérieure. Alors que les coups se font de plus en plus brutaux, Wormwood indique aux autres qu'il a besoin d'aller chercher quelque chose chez lui. Il devient évident que Wormwood a une idée sur l'identité de ce qui essaye de forcer le passage.


Pas d'erreur, c'est bien Ben Templesmith qui a dessiné cette histoire. Le lecteur retrouve sa propension à dessiner de manière esquisser les corps des personnages, en exagérant ou simplifiant les formes en fonction de la nature de la séquence. Il peut s'agir d'un contour fluide et arrondi pour le corps d'une femme (Madame Medusa, en bikini tout au long de l'histoire), ou au contraire d'une accentuation du décharnement du corps habité par Wormwood. Pour ce dernier, l'artiste a conservé son habitude de lui dessiner systématiquement le même rictus immuable tout au long des 4 épisodes. Ce personnage a également conservé son pentagramme sur le front, ainsi que l'habitude de fumer des clopes (alors que ses poumons ne fonctionnent plus, et qu'il ne doit pas sentir le goût du tabac).


La représentation de monsieur Pendulum s'inscrit dans le même registre : grosse barbe blanche, crâne tout rond (avec un légèrement reflet métallique), enveloppé dans son grand imperméable. Phoebe Phoenix semble avoir le même corps que Madame Medusa, mais avec une chevelure rousse, et des cheveux coupés courts. L'apparence de Trotsky est tout aussi esquissée, mais il bénéficie d'un bel halo bleu pour figurer son état de spectre. Comme à son habitude, Templesmith délaisse les décors qui sont les parents pauvres de la narration.


Comme à son habitude, Ben Templesmith habille ses dessins par des textures et des couleurs travaillées à l'infographie qui donnent de la consistance à ce qui ne serait sinon que des croquis rapides, pas très appliqués, et pas forcément très précis. Cela commence dès la première page avec l'éclat de la lumière sur le casque d'Aldrin, ainsi que la Terre qui se reflète sur sa visière. Par endroit le lecteur a presque l'impression de contempler une photographie. 2 pages plus loin, l'artiste intègre l'ombre de tentacules filiformes devant la Terre, pour un effet diaphane très réussi. Dans le bar The dark Alley, il réutilise un camaïeu mordoré, évoquant le à la fois un feu de cheminée, et le doré de la bière, pour une ambiance chaude et chaleureuse. Il s'amuse à surimposer 2 fois le même dessin, pour aboutir à un effet de tremblement, répercutant les secousses dues au coup sur la barrière entre les dimensions. Lors de la bataille contre les calmars, en pleine rue, il utilise à nouveau des camaïeux orange mais dans d'autres nuances pour rendre compte du feu de la destruction.


Une fois que Wormwood passe dans la dimension des calmars, Ben Templesmith passe à des camaïeux verdâtres traduisant la corruption des chairs que provoquent les calmars. En tant qu'auteur complet, Ben Templesmith gère la densité des informations visuelles, et la manière dont il les représente, pour aboutir à une narration visuelle très cohérente avec le récit en lui-même. Le lecteur reste sur sa faim en ce qui concerne les lieux et les environnements, mais il se retrouve quand même en immersion dans l'impression que les endroits génèrent sur le psychisme des personnages. Il éprouve le réconfort du bar, la violence de l'affrontement, ou encore la claustrophobie provoquée par la dimension des calmars.


Presqu'à son insu, le lecteur se retrouve captivé par la narration visuelle qui lui fait ressentir l'état d'esprit des personnages. Pourtant ces derniers ne présentent pas une grande personnalité. Wormwood a la langue bien pendue, le sarcasme qui fait mouche, et la moquerie vacharde. Il semble toujours avoir une meilleure compréhension de la situation que ses vis-à-vis, ce qui lui permet de prendre l'ascendant sur eux, même dans les situations désespérées. Du point de vue de l'intrigue, le lecteur apprécie de voir la menace des calmars prendre corps, leurs émissaires étant déjà apparus dans le tome précédent. Sur le fond, il s'agit d'une race extraterrestre lancée dans une phase expansionniste où ils assimilent tout ce qui se trouve sur leur passage (c’est-à-dire qu'ils les asservissent à leur mode de vie).


Le lecteur découvre que Wormwood a déjà eu maille à partir avec ces calmars, et qu'il ne s'en était pas sorti avec les honneurs. Le scénariste raconte plus qu'une histoire linéaire dans laquelle les calmars débarquent et les héros ripostent. Il fait prendre la tangente à son personnage principal pour une confrontation physique contre la plus grande des calmars. Voilà qu'au trois quarts du récit, à la fin de l'épisode 3, il utilise un deus ex machina énorme pour débloquer son intrigue. Dans un premier temps, le lecteur revient une page en arrière pour être sûr qu'il n'a pas raté une transition ou une explication. Templesmith persiste et signe, avec ce sauvetage providentiel, parachuté de nulle part, par un individu trop énorme pour être pris au sérieux. À partir de là, le lecteur ne peut plus prendre le récit au sérieux, la lecture au premier degré n'est plus permise, et il faut accepter qu'à un épisode de la fin l'auteur saborde son intrigue pour lui faire opérer un virage faire la facilité. Ce ne peut pas être du goût de tout le monde.


En effectuant ce virage, Ben Templesmith ne perd rien de sa verve, et Wormwood ne perd rien de son bagout, ce qui permet à la lecture de conserver son niveau de divertissement. Le lecteur n'a d'autre choix que de faire le détour imposé par le récit et de voir arriver la résolution de l'intrigue avec ses gros sabots, mais toujours avec un ton à l'opposé du politiquement correct.


Cette troisième aventure de Wormwood présente les mêmes caractéristiques visuelles que les 2 premières, avec une approche graphique qui n'appartient qu'à Templesmith, mais raconte l'histoire dans un ton convaincant. Du point de vue de l'intrigue, l'auteur commence par un affrontement franc et massif, avec des coups de feu, et des assimilations forcées. Le lecteur se dit que le scénariste a prévu un développement sous une forme plus ambitieuse que d'habitude lorsqu'il sépare Wormwood du reste des personnages. Effectivement, il s'en suit une confrontation à haut risque sous une forme inédite. Puis l'auteur sort un retournement de situation de son chapeau, pour embrayer sur une solution de facilité. La narration est toujours aussi sarcastique mais le lecteur n'éprouve plus aucun intérêt pour l'intrigue.


Le tome se termine avec une histoire courtes de 10 pages intitulée Last Call. Wormwood prend à partie le barman de l'établissement dans lequel il se trouve pour lui ouvrir les yeux sur sa situation.


Le lecteur note que Ben Templesmith s'est plus investi dans la réalisation de ses arrière-plans. Ils ne sont toujours pas figuratifs, mais ils présentent une structure plus complexe, en termes de camaïeux, et de surimposition de textures. L'intrigue place Wormwood en position de sachant qui va manipuler ses opposants pour leur montrer qu'ils ont déjà perdu. Wormwood est sarcastique et cynique à souhait, une belle variation sur le personnage de John Constantine. Une histoire courte efficace et rondement menée.

Presence
7
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Créée

le 14 mars 2020

Critique lue 45 fois

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