L'album qui enflamme les sens, l'essence et le bon sens !

"Tout l'océan brûle ! (...) Sauve qui peut !"


Cinq jours plus tôt:
"Ces types viennent d'enlever Jeanjean !"


Parfaite illustration du crescendo dont fait toujours preuve avec brio Jacques Martin dans cette deuxième aventure de Guy Lefranc. Comme dans La Grande Menace, le récit s'ouvre sur un piste policière réaliste aux enjeux humbles pour projeter progressivement le lecteur dans un final d'action et de science fiction purs haut en couleur !


Le retour de certains personnages d'abord inattendu peuvent faire craindre un affaiblissement de leur intérêt dans une nouvelle aventure où ils ne seraient pas à leur place. Mais il n'en est rien et ceux-ci y gagnent même tant en prestance, en agilité, en courage, en témérité, qu'ils deviennent de l'avis même de l'auteur encombrants dans les volumes suivants, puisqu'ils se mettent à faire de l'ombre au héros de la série.


Premier à réapparaître, c'est évidemment Jeanjean, qui en agace plus d'un, mais qui se fait moteur de l'intrigue avant de sauver littéralement Guy Lefranc en fin d'aventure !
Le second, qui apparaît déguisé avant de se révéler, c'es l'Inspecteur Renard qui n'a jamais aussi bien porté son nom. Devenu une sorte de Commissaire Juve des films de Louis Feuillade, notre ex-inspecteur alsacien devient un as du déguisement mais aussi un membre des services secrets, suite à son dernier coup d'éclat. Il sera tout du long l'allié secret et providentiel de Lefranc, le tirant des pires situations tout en ayant à affronter les siennes.
Enfin, retour plus élégant encore, celui d'Axel Borg. Le parfait méchant de La Grande Menace est ici l'homme de main du véritable antagoniste. Du moins, le pense-t-on. Car Arnold Fischer , le milliardaire responsable de toute cette affaire, fait en réalité appel à lui en désespoir de cause, ne sachant plus comment agir de son propre chef. Axel Borg prend peu à peu les rennes et l'homme de main devient le grand manitou. Car il manie tout et passe en tête des sbires sur le terrain, n'hésitant pas à risquer sa sa vie pour atteindre ses objectifs. La fin le laisse pour mort pour mieux le ressusciter comme le suggère le titre du troisième volume des aventures de Guy Lefranc.


Trois points forts servent cet album.
La beauté incomparable des dessins, l'inventivité du segment de science-fiction et le final littéralement explosif.



Un déluge d'esthétisme et de détails !



Dès les premières cases, le voyage est lancé !
Dans le temps d'abord pour nous, lecteurs du XXIe siècle et vers un ailleurs pour les lecteurs de l'époque ainsi que les personnages. Nous découvrons une minutieuse reconstitution de la gare Montparnasse de la fin des années 50. Si le lieu invite au voyage et les événements qui s'y produisent déclenchent un course-poursuite, c'est une incursion dans un lieu bien connu de nombreux parisiens et de nombreux voyageurs plus d'un demi-siècle plus tôt pour les yeux de 2018 ! Jacques Martin lui-même soulignait en 1987 les changements opérés entre la gare qu'il avait reproduite et celle qu'elle est devenue !


Le voyage commence dans la région parisienne dans des lieux bien connus de votre serviteurs et de ses amis proches: le plaisir indicible de voir apparaître Elancourt ou Saint Quentin dans un Guy Lefranc sur une carte servant à trouver Trappes !
Toutefois, Guy Lefranc entraîne son lecteur surtout en Bretagne et en Normandie, des lieux qui, comme l'Alsace l'était pour votre serviteur sont le berceau de sa plume. Et, en fait d'Haut-Koenigsbourg, le Mont Saint-Michel, impérial, mystérieux et périlleux, nocturne et diluvien !
Comme pour le célèbre château alsacien, la célèbre île bretonne bénéficie d'une restitution des moindres détails, offrant une belle visite guidée Mais plus encore que son prédécesseur, le Mont Saint-Michel use de tous ses atouts pour devenir le noyau dur de l'aventure que le phare de Tergaou, nouveau repaire imprenable, peinera à remplacer. Car dès la page de garde, tel un bijou dans un écrin, le Mont Saint-Michel, que les Bretons et les Normands se disputent tant, trône gorgé de ténèbres bleutées, accompagné de son reflet dans l'eau et de ce reflet seul. Une pure merveille qui n'a d'égale que celle du Mont Saint-Michel noctambule du récit ou celle du final de l'ouvrage.


La beauté et l'authenticité des images dans cet album dépasse les simples règles de l'Ecole de Bruxelles pour venir flatter les yeux.



Un séisme écologique et politique



Pourtant, L'Ouragan de feu ne se contente pas d'être beau: il fait preuve aussi d'une savante intelligence des évolutions possibles du monde des années cinquante et devine bien des choses à venir. C'est un véritable manifeste écologique avant-gardiste et visionnaire, qui s'accompagne d'une réflexion très juste, encore qu'un poil caricatural, sur le rapport entre écologie et politique.
D'où peut-être le choix du Mont Saint-Michel, roc cerné par les flots dont le sort dépend autant de la nature que des intérêts économiques.


Jacques Martin reprend sa poétique du premier ouvrage et, ayant appris la mort inexpliquée à Rouen d'un homme qui prétendait avoir su changer l'eau de mer en pétrole, décide de théoriser voire d'affabuler sur le modus operandi de cet alchimiste des temps modernes. Agissant de la sorte, Martin pense les marées noires dix ans avant la lettre, la transition énergétique, ses avantages et ses inconvénients bien avant l'heure ! Et fort de cet effort visionnaire, nourrit ses habiles fantasmes d'un parallèle avec le mythe de l'Apprenti sorcier, dépassé par ses créations, pour condamner ce que les hommes s'apprêtent, sans le savoir, à infliger à leur environnement naturel !


Le plus étonnant restant que les scientifiques de l'époque ne réfutaient pas le protocole du scientifique, lui accordant un potentiel scientifique réel, et que des scientifiques contemporains consultaient Jacques Martin jusqu'en 2010, très intéressés par la théorie développée dans L'Ouragan de feu.


A savoir, transformer du plancton vieilli chimiquement en comprimés de pétrole !



L'Ouragan de feu



C'est bien entendu le final qui l'emportera, véritable synthèse entre l'exploit esthétique des images et l'intelligence incroyable du propos de science-fiction.
Après avoir montré le potentiel destructeur des eaux sur le Mont Saint-Michel, Jacques Martin s'attache finalement à mettre en scène une véritable apocalypse progressive, faisant se déchaîner tous les éléments. Absolument tous !


Premier pas de cette apocalypse, l'apocalypse au sens étymologique: les héros et leurs ennemis découvrent le lieu où se terre le savant disparu, découvrent son incroyable invention puis c'est au tour du monde de la découvrir. Première tempête, médiatique et politique puis militaire.
Deuxième étape, un ouragan se prépare qui fonce droit sur le lieu du délit à peine moins vite que les navires des armées du monde entier !
Déclenchement ? Les eaux déchaînées s'attaquent au phare et un personnage tire une fusée de signalisation, mettant de ce fait littéralement le feu aux poudres !


Dès lors, ce n'est qu'un déluge de feu qui détruit tout sur son passage, puisque l'essence marine s'enflamme ! L'occasion d'un sublime des éléments implacables de l'eau et du feu conjugués, non plus opposés mais effroyablement complémentaires ! L'occasion de peindre la flamme comme une vague, de donner une allure épique et tragique toute cornélienne ou racinienne aux dialogues et de faire vivre la catastrophe.
Une catastrophe tant élémentaire que théâtrale: il n'est pas de gagnant à la fin, tous les hommes perdent, impuissants face à la force démesurée de la nature qu'ils ont rendu eux-mêmes destructrice. Catastrophe au sens théâtrale, tout préparant la machine infernale jusqu'au terrible final ! Catastrophe catharsis censée faire réfléchir à la responsabilité des hommes dans l'aggravation des phénomènes climatiques.
Sublime (tant beau que terrifiant), dantesque, le final de L'Ouragan de feu est aussi une sonnette d'alarme pour les années 50 et un réquisitoire sans appel les années 2010-2020.



BOOOOOooooooouuuuuuuuuuM !!!!!!!



Une excellente bande-dessinée, qu'on l'approche en tant que suite des aventures de Guy Lefranc ou qu'on la lise pour elle-même.
A lire pour s'enivrer de beauté et pour réfléchir.
Une oeuvre comme on aimerait en voir plus souvent !

Frenhofer
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le 21 oct. 2018

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Profession : Reporter

Cette critique ne portera pas tant sur l'intrigue en elle-même de « L'Ouragan de Feu », excellent album signé Jacques Martin, que sur le personnage de Lefranc, bien plus intéressant qu'on ne pourrait...

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