La Ballade des baffes
6.1
La Ballade des baffes

BD franco-belge de Collectif (1983)

Cet album n’est pas facile à aborder. Il nécessite plusieurs niveaux de lectures. Une première lecture distraite pourra renvoyer au néophyte l’impression d’une œuvre décousue, désunie, voire bâclée par endroits, du fait de la très grande diversité des auteurs, et donc des styles de dessin, de ton narratif, voire de fidélité avec la monumentale œuvre d’origine – est-il nécessaire de la nommer?


D’abord, l’hommage à la série d’origine est réussi. Ce pari était pourtant sacrément casse-gueule, un tel hommage peut très facilement sombrer dans l’admiration complaisante. Il n’en est heureusement rien. La Ballade Des Baffes est bourré de références évidentes, mais toujours habilement amenées, tel le rappel du mythe de l’album n°5: "Il n’y a pas, il n’y aura jamais d’albums de Baston N°1, 2, 3, 4 et 6!". Autre détail de taille, ces traces de pieds encadrant certaines pages, ça renvoie directement aux petites traces de pas bleues cernant les toutes premières apparitions de Gaston dans le journal de Spirou (cf. Gaston 0: Gaffes et Gadgets)! La page 8 est une succulente parodie d’édito du journal de Spirou.


Certains passages s’inspirent directements de l’œuvre d’origine, tournant même au pastiche, comme la page 17 qui reprend l’introduction d’un gag déjà existant avant de s’en écarter subtilement. Parmi les planches les plus fidèles, je cite les pages 7 et 14, où les auteurs se régalent et nous régalent avec des jeux de mots et une cocasserie que n’auraient peut-être pas renié Franquin. Dans la même veine, les page 28 (J. Fernandez) et 42 (Charlie Schlingo) sont moins réussies.


Ensuite, des prises de libertés bienvenues qui ajoutent encore à la singularité de l’album. En plus de la variété de styles précitée, le rôle de Gaston / Baston est perpétuellement revisité, pour notre plus grand plaisir. Parmi les morceaux de bravoure, citons la page 35 signée Wasterlain, lequel n’hésite pas à renverser les rôles en faisant de Baston un employé modèle exigeant et l’unique bourreau de travail de la maison Dupuis, de mêche avec M. De Mesmaeker et malmenant Prunelle, Boulier et cie, le tout chapeauté par une conclusion hilarante! Bruce Krebs transforme en page 10 le gaffeur (baffeur?) en un PDG despotique. En page 17, Baston est érigé en travailleur studieux, à la touchante modestie. La planche la plus singulière est probablement celle de Geerts, nous plongeant dans l’enfance du gaffeur et nous livrant une clé de son aversion du travail…


Enfin, le ton des planches varie extrêmement d’une page à l’autre. Gaston est successivement un no-life (Walthéry, page 22), un roublard (Armand, page 9), un chômeur (page 32), un dragueur malchanceux (Dany, page 33, Jeanne est un brasier sur pattes), un jeune délinquant (page 6). Il fume des oinjs avec ses collègues de bureau (Tome & Janry, page 38, exquise chute!), croupit dans une maison de retraite (Dodier, page 43; "Boum, en l’air contrats!"), profite d’un expérience de chimie amusante tournant mal pour faire l’amour à sa plantureuse Jeanne (Hermann, page 21, excellent), ou est froidement abattu par Longtarin (page 26)… La facette la plus sérieuse de cette ambitieux album est représentée par la mise en abyme, inventive et réussie, de l’affaire du tome 5 manquant de Gaston (pages 11 à 13), dans un univers polar.


Et devinez la meilleure… il y a des inserts de l’univers de Tintin dans cet album! La géniale mise en abyme de la page 5 (Édika!), les apparitions de Tintin dans les pages 28 ("Si on peut pas s’aider d’une BD à l’autre, alors!") et 6. Mieux encore, la page 30, où Yann De Moor reprend à son compte et avec talent le style d’Hergé, et pose une intrigue où les agissements du gaffeur sont décrits en filigrane… Du grand slowburn gag! Reiser frappe fort lui aussi en introduisant son personnage Gros Dégueulasse (absolument excellent au passage) au beau milieu de l’album! Dommage, j’aurais aimé voir Gaston croqué par le crayon du défunt Reiser!


Quelques planches me paraissent manquer de matière, comme la décevante page 25 où il ne se passe pas grand-chose, ou la page 36, trop bavarde à mon goût. Les pages 24 et 39 me paraissent trop simples. Je regrette également l’esthétique hâchée et très criarde des pages 15 et 42 (ces couleurs…). Heureusement, ces baisses de forme sont plutôt bien réparties sur l’album, nous échappons donc à une baisse brutale de régime généralisée (ouf). Pour conclure, la lecture de l’album de bout en bout révèle un étonnant sens du rythme, le passage constant d’un univers à un autre confère sa singulière force à La Ballade Des Baffes. Et c’est paradoxalement à ma connaissance le seul et unique album hommage à Gaston Lagaffe respectueux de l’œuvre originale: d’une sérieuse légèreté, d’une main de maître.

Créée

le 31 oct. 2021

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4

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