Une excellente adaptation, pleine de caractère

En 1986, Richard Corben réalise une adaptation de La chute de la Maison Usher d'Edgar Allan Poe (nouvelle publiée en 1839), contenue dans ce tome, avec 2 autres histoires courtes, à savoir une adaptation de The raven (un poème de Poe, paru en 1845, l'adaptation de Corben date de 1974) et Shadow - a parable (un court texte de Poe daté de 1850, l'adaptation de Corben date de 1975). Toutes les histoires sont en couleurs.


La chute de la Maison Usher (26 pages) - Il s'agit d'une adaptation, dans la mesure où Corben a réarrangé plusieurs séquences. Edgar Arnold, un gentilhomme à cheval, traverse une zone naturelle désolée, où la végétation a dépéri. Il remarque le squelette d'un cheval dans le sol. Il arrive en vue d'une imposante demeure isolée de tout et son cheval chute et se noie dans une étendue d'eau. Il arrive trempé dans le hall de la maison des Usher où il s'évanouit à la vue de cercueils vermoulus et de cadavres décomposés. Lorsqu'il reprend connaissance, il est allongé sur un divan, et Roderick Usher (son hôte) est en train de lui parler.


Tout au long de sa carrière, Richard Corben aura adapté des histoires d'Edgar Allan Poe (parfois plusieurs fois la même, c'est le cas pour le poème Le corbeau). Dans les années 2000, il a consacré un recueil à une nouvelle série d'adaptation : Haunt of horror - Edgar Allan Poe (en français L'antre de l'horreur). Ici il s'agit d'une adaptation réalisée entièrement par ses soins (sans l'aide d'un scénariste comme Chris Margopoulos), et en couleurs. Corben a transposé l'histoire de Poe en y incorporant ses propres obsessions. Le premier signe d'une adaptation est qu'il donne un nom au narrateur (Edgar Arnold), alors que dans la nouvelle il reste anonyme. Le deuxième signe d'une adaptation est le rôle plus important de Madeline, la soeur de Roderick, avec des scènes déshabillées (nudité frontale, sauf pour le sexe de la dame, avec hypertrophie mammaire chère à Corben). L'avantage de ce mode de transposition est que le lecteur a l'impression de lire une histoire en bandes dessinées, plutôt qu'un charcutage du texte originel illustré par des images accolées pour une narration séquentielle plus ou moins heurtée. La contrepartie est bien sûr que le lecteur ne retrouvera pas exactement l'atmosphère de la nouvelle, encore moins les saveurs de l'écriture d'Edgar Allan Poe.


Si l'histoire ne présente que peu de surprises pour quelqu'un connaissant déjà l'original de Poe, elle est très savoureuse, car il est visible que Corben a passé du temps sur ses planches et s'est bien amusé. Dès la première page, il est possible de reconnaître son style caractéristique (un mélange de réalisme pour les personnages et les vêtements, et d'exagération simplifiée pour une partie des décors) dans le contraste entre la végétation désolée et le regard affolé de la monture d'Arnold. Les pages 2 & 3 offrent une composition conçue à l'échelle de la double page, où il est possible de suivre le déplacement du personnage d'une page à l'autre, ainsi que la première vue de la Maison Usher (une photographie retouchée à la main), puis dans la case du bas s'étalant sur les 2 pages, la distance séparant le cavalier de son but. La page d'après est constituée d'un premier plan fixe en 4 cases montrant Arnold s'approchant de la Maison, puis d'un traveling avant en 5 cases de la largeur de la page vers la Maison, pendant que les onomatopées du bruitage laissent deviner la chute du cheval dans l'étendue d'eau. Tout au long de cette histoire, Corben va jouer avec la mise en page à l'échelle de chaque planche, pour des découpages de séquence aussi rigoureux qu'intelligents et efficaces.


Corben travaille également sur la composition de plusieurs cases pour qu'elles offrent un spectacle saisissant. Au fil des pages, le lecteur pourra se régaler du premier degré (et parfois du second degré) d'un visage à la chair putréfiée suite à son séjour sous terre puis dans l'eau putride, d'un brouillard épais pourpre se déversant par l'interstice de la porte ouverte dans la chambre d'Arnold, d'Usher et Arnold s'ennuyant ferme le soir à la veillée, des murs suintant une humeur fétide dans les sous-sols de la Maison, d'une vue du ciel de la Maison entourée d'eau, etc. En fait chaque page recèle plusieurs trouvailles graphiques aussi bien en termes de mise en page, que de dessins suscitant l'effroi ou un sourire soit jaune, soit moqueur.


Richard Corben s'approprie l'histoire d'Edgar Allan Poe pour y greffer ses obsessions (humour noir et macabre, et sensualité déviante), avec des visuels inventifs et maitrisés. Il réalise lui-même ses couleurs un peu moins exubérantes que d'habitude, mais très efficaces pour installer l'ambiance de chaque scène. Il s'agit d'une histoire à placer parmi les réussites exceptionnelles de Richard Corben.


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The Raven (Le corbeau, 8 pages) - Un homme est assis dans son fauteuil, dans une maison isolée. Il est en train de lire quand il entend du bruit à la porte, mais il n'y a personne. Peu de temps après, il entend du bruit à la fenêtre qu'il ouvre, et un corbeau en profite pour pénétrer dans la pièce et se percher sur un buste de Pallas. Alors que l'homme se met à parler à haute voix, le corbeau répond à chaque fois Plus jamais (Nevermore).


Il s'agit d'un poème de 18 strophes de 5 vers chacune, qui a rendu Poe célèbre et qui a bénéficié de nombreuses adaptations y compris au cinéma (une version de Roger Corman). À moins de reprendre les vers du poème, il est impossible de transcrire l'effet qu'ils produisent sur le lecteur. Corben se lance donc dans une adaptation de l'histoire mettant en scène de manière littérale le narrateur, sa confrontation avec le corbeau et l'image de sa défunte bien-aimée. Si vous n'avez jamais lu ce poème, cela vous donnera une idée de son argument, mais pas de l'intensité de la confrontation de sentiments contradictoires dans la psyché du narrateur. Si vous avez déjà lu ce poème, il apparaîtra que cette transposition souffre de sa forme littérale et qu'elle n'apporte rien à l'original. Même Corben semble être en mal d'inspiration pour transcrire les tourments intérieurs du narrateur sous forme visuelle, et son déchirement entre faire son deuil et garder le souvenir d'Elenore. J'ai de loin préféré la deuxième adaptation qu'il en a faite dans Haunt of horror.


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The shadow (L'ombre, 8 pages) - Dans la Grèce antique, un groupe de 7 personnes est en train de s'adonner à des libations, dans une pièce barricadée, où repose un mort. Bientôt une ombre s'insinue dans la pièce, et dans l'esprit des convives.


Corben adapte cette fois-ci un court texte (65 lignes, 981 mots) et il en tire la substantifique moelle pour transcrire l'ambiance mortifère qui s'en dégage. Au travers d'images assez simples, le lecteur se sent envahi par cette atmosphère délétère et cet état d'esprit accablé par l'horreur de la situation à l'extérieur de la pièce. Même si les 7 convives sont bodybuildés, le jeu des acteurs et les images conçues par Corben transmettent au lecteur le caractère débilitant et morbide de la situation.

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le 4 juil. 2020

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