Très agréable surprise que cette édition d'Urban Comics nous offrant une série d'épisodes sur le Batman scénarisé par Paul Dini.

J'avoue avoir légèrement appréhendé les numéros qu'il avait scénarisés. Paul Dini est certes très important dans l'univers Batman mais surtout parce qu'il a été un pilier de la série animée Batman au début des années 90. Celle-ci est indéniablement très bonne, accessible à la jeunesse tout en prenant le parti de garder une perspective sombre et premier degré du héros. Un très bon dessin-animé en somme, qui contrastait avec ceux de l'époque et cela pour le meilleur et qui a d'ailleurs permis aussi la bonne série Gargoyles quelques années plus tard.
Elle ne fut pas la seule réussite à l'écran de Dini. En effet, on lui doit aussi l'audacieux mais réussie série animée des années 2000 "Batman la relève" qui poursuit efficacement cette inspiration, et dont Dini est encore un des principaux instigateurs. Concrètement la plus mémorable réussite de ce dessin-animé Batman est le prodigieux succès d'un de ses personnages originaux, Harley Quinn. Si mémorable, qu'elle est intégrée officiellement à l'univers des comics. Personnage récent, la psychiatre acolyte du Joker s'est vite imposée comme essentielle, il est même devenu presque difficile de la concevoir comme l'un des grands vilains de l'univers les plus récents. Le Joker sembla rapidement indéfectiblement lié à ce personnage qui arrive même à obtenir sa propre série de comics, et des films et séries où elle est plus que centrale. Et voilà Paul Dini devenu un auteur consacré de la légende du chevalier noir.

Ces faits ont suffi à convaincre a priori bon nombre de lecteurs de la qualité potentielle des comics dont il était chargé, pourtant il me semblait personnellement y voir de mauvais augures. Deux médias très différents qu'une série animée, destinée en grande partie à la jeunesse, et un comics Batman qui depuis quelques décennies se voulait définitivement sombre et orienté vers un public plus mûr. Ces dernières années en effet, les comics du super-héros marquants nous livrent des runs plus développés, au moins en longueur. La série animée se voyait, elle, contrainte à des histoires indépendantes plus courtes tenant dans le format très serré d'un épisode de vingt minutes. Un format, qui adapté sur papier, me semble assez vain et superficiel. Mais surtout un format qui ne pouvait s'intégrer à la série de comics Batman telle qu'elle était publiée. La série intitulée "Batman" était devenue depuis quelques temps la principale du super-héros, celle qui établissait réellement la chronologie de l'univers et les intrigues principales, bien qu'historiquement elle fut largement postérieure à la série histoire du super-héros, "Detective Comics".
Grandes étaient donc mes craintes. Mais DC comics a eu la merveilleuse idée d'intégrer les numéros de Dini non pas au comics Batman (que Grant Morrison reprenait au même moment) mais à l'historique Detective Comics. Il acquérait alors une marge de libertés qui lui seyait parfaitement tout en conservant Batman comme pilier central. Paul Dini n'était plus autant obligé de s'introduire dans la chronologie et dans l'ambiance particulière auxquelles nous a habitué la série principale. Ce "nous" représente ici particulièrement le lecteur français "relativement" récent qui s'est pleinement immergé dans cet univers avec l'arrivé de l'éditeur "Urban Comics" nous proposant maintes rééditions de l'âge moderne du super-héros, principalement tirées dans un premier temps de la série principale et non de la série historique.

Mais ce n'est pas seulement une question d'ambiance, c'est au contraire avant tout une question de narration. En s'intégrant à un comics qui alterne un certain nombre de personnages, Paul Dini peut user de son talent narratif qui s'est forgé notamment dans le format télévisuel. Et ce premier tome nous livre en effet avant tout des histoires indépendantes qui reprennent la vielle narration du Batman hérité des Detective comics : des histoires courtes, indépendantes et qui sont avant tout des enquêtes policières. Ceux qui me connaissent un peu, s'étonneront de me voir me réjouir de la reprise d'une telle tradition car j'avoue n'avoir jamais été fan de ce que l'on nomme l'âge d'or, d'argent et de bronze. J'en viens même à regretter même des auteurs comme Grant Morrison qui piochent dans ces univers fantasques les idées les plus absurdes et les moins crédibles. Cependant, Paul Dini lui s'inspire moins de l'univers d'antan que de sa narration, et j'y suis beaucoup moins récalcitrant, surtout qu'il excelle dans ce genre d'histoires courtes qui se suffisent à elle-mêmes. Je n'ai jamais eu l'impression en lisant ce tome d’enchaîner des histoires vaines qui n'impactaient pas réellement la sphère de Gotham. Et si je ne suis pas allergique aux histoires courtes, je les appréhende pourtant beaucoup, il faut bien un Paul Dini pour me les faire adorer. Je crois que c'est l'une des premières qualités de ce comics, ne jamais frustrer le lecteur. Au contraire même, on peut lire dans un unique tome un certain nombre d'intrigues dont on a le début, le milieu et la fin, sans jamais avoir l'impression qu'elles soient expédiées ou anodines. Il faut dire que le talent du scénariste est de réussir à garder une continuité qui se fait clairement ressentir entre ces histoires tout en n'ôtant rien à leur caractère autonome. C'est notamment à travers la réutilisation des vilains d'épisode en épisode et à leur statut "nouveau" (je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler), qu'on a toujours l’impression d'avancer pas à pas dans la chronologie de l'univers. Et si l'ambiance du Detective comics reste cependant différente de celle de la série principale, la chronologie de celle-ci bien que plus souple essaie tout de même de s'intégrer de manière relativement précise à celle officielle. Ce tome nous place en effet après les événements de No Man's Land pour les familiers. Aucun bouleversement donc pour l'instant mais une véritable impression d'avancer pas à pas dans la narration.

Si Paul Dini excelle si bien dans ce format, c'est qu'outre un certain savoir-fait acquis à la télé, son talent principal depuis toujours est de nous livrer chaque fois des vilains efficaces et marquants. Ce n'est pas pour rien qu'il a su imposer aux comics le personnage de Harley Quinn, qu'on retrouve d'ailleurs ici à plusieurs reprises. Chaque histoire suffit à rester intense car il y peint et met en scène de manière très réussie les vilains traditionnels.
Poison Ivy, Harley Quinn, le Joker, Scarface, le Sphinx, chaque épisode se centre sur un vilain charismatique ! Et nul n'y semble anodin. C'est vraiment le talent le plus remarquable de Paul Dini qui est ici à l'oeuvre car, cela faisait longtemps en comics qu'on avait pas eu droit à des histoires réussies sur ces vilains que ce soit dans la série principale ou dans la série historique. Bien entendu le Joker est dans cette liste une exception, un vilain toujours à la mode à l'instar des Double Face, Pingouin et quelques autres.

Je ne peux donc que conseiller cette édition d'Urban Comics, il me faut encore cependant justifier cette note de 8, qui aurait atteint 10 s'il n'y avait que des qualités.
On peut les résumer très rapidement. Premièrement, les dessins efficaces et agréables à l'oeil, notamment pour un amateur, comme moi, de couleurs saturées, restent tout de même assez simples. Si l'on peut parler pour ce tome d'un véritable art consommé de la narration, nul aspect véritablement "artistique" d'un point de vue pictural ne s'en dégage. A l'exception malgré tout d'un aspect graphique que j'ai beaucoup apprécié, l'érotisme qui se dégageait de manière simple mais efficace de Poison Ivy. Enfin outre ces dessins, d'un point de vue narratif, le format que maîtrise Dini reste malgré tout fondamentalement limité. Si tout cela est parfaitement réussi, nulle surprise ici, nul bouleversement ne va venir nous convaincre d'avoir affaire à une oeuvre inoubliable, indéboulonnable, qui mériterait les meilleures notes. C'est du bon, du très bon, et pourtant lorsque nous parlerons en amateurs de notre chevalier noir, une intrigue de Dini viendra-t-elle sur le tapis ? Sera-t-elle l'une de celle qui nous viendra en premier à l'esprit, tel "Année Un", "Sombre Reflet", "Un long Halloween", "La cour des hiboux" ? J'en doute.

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le 7 févr. 2015

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Vy Ty

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